La Fed: un cygne noir… prévisible

Nicolette de Joncaire

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«Le premier risque de récession aux Etats-Unis? La Réserve fédérale», affirme Jim Bianco.

Début janvier, Janet Yellen déclarait en substance «Je ne pense pas que les périodes d’expansion (économique) meurent de vieillesse. Deux choses y mettent généralement fin. L'une est un déséquilibre financier, et l'autre est la Fed». Et Ben Bernanke de surenchérir: «Elles ne meurent effectivement pas de vieillesse. Elles meurent assassinées». Toujours un peu provocateur Jim Bianco, président de Bianco Research, reprend à son compte ces remarques. «Le plus grand risque de récession aux Etats-Unis est… la Réserve fédérale» affirmait-il mardi à Genève. Reprise de quelques points clés. 

Une phrase malheureuse

En déclarant le 19 décembre dernier, que «la normalisation du bilan de la Fed était en pilotage automatique» le président de la Fed, Jerome Powell, a provoqué une chute spectaculaire des indices boursiers américains. En effet – et ce n’était peut-être pas suffisamment clair à ses yeux - la taille du bilan de la Fed compte pour les marchés autant, si ce n’est plus, que le relèvement du taux directeur. 

En tenant compte des deux hausses prévues en 2019, on arrivait à 5 hausses de taux!

La Fed a calculé que chaque réduction de 600 milliards de dollars du bilan était l’équivalent d’un seul relèvement de taux mais les estimations des marchés sont plutôt proches de trois hausses de taux. En tenant compte des deux hausses prévues en 2019 (le 19 décembre, c’était encore le consensus et le message de la Fed), on arrivait à 5 hausses de taux, entre relèvement des Fed funds et QT (Quantitative Tightening)! Wall Street a donc plongé, estimant que le QT trop agressif mènerait tout droit à une récession. Jerome Powell ne s’y est pas trompé et a nuancé son discours dès le 4 janvier lors de son intervention à Atlanta en délivrant exactement le message que les marchés attendaient. 

Faucon ou colombe?

Du reste le président de la Fed n’est pas toujours cohérent: tantôt faucon comme en octobre, tantôt colombe comme en novembre, faucon à nouveau en décembre, colombe le 4 janvier puis faucon encore le 10 janvier. «Qu’il se décide» déclare Jim Bianco. «Ses revirements ont joué un rôle déterminant sur la volatilité des marchés au cours des derniers mois». Comme sa déclaration du 19 décembre a provoqué des perturbations sur les marchés (baisse des actions mais également baisse des rendements des emprunts du Trésor et début d’inversion de la courbe), une récession est désormais envisageable. Depuis le discours du 4 janvier, le calme est (temporairement?) revenu mais désormais Wall Street n’attend plus de hausse des taux pour 2019. 

Glissement vers le haut

Mais que signifie la réduction du bilan de la Fed pour les marchés obligataires? Rappelons tout d’abord que la banque centrale américaine ne vend pas les titres assis sur son bilan mais se contente de ne pas les renouveler à échéance (ce qui se fait à l’heure actuelle moins rapidement que prévu). 

Le risque de liquidité est augmenté par le poids désormais prépondérant des ETFs.

Puisque la banque centrale US va cesser d’acheter ces titres de haut de gamme - US Treasuries et emprunts hypothécaires notamment -, les acheteurs qui se substitueront à la Fed seront les investisseurs en investment grade et, par glissement de la demande vers les titres de qualité supérieure, les investisseurs high yield passeront à l’investment grade. Problème: il n’y aura plus personne pour s’y substituer et les obligations à haut rendement se retrouveront délaissées. Une tendance bien entamée puisque les volumes sur le high yield sont au plus bas des cinq dernières années. Le risque de liquidité est donc majeur, augmenté par le poids désormais prépondérant des ETFs dans cette classe d’actifs.

Inversion de la courbe des taux

Une inversion de la courbe des taux américains pendant 10 jours consécutifs est largement considérée comme un indicateur de récession dans les 4 à 9 mois suivants car des taux courts plus élevés que les taux longs reflètent une perte de confiance. Ce fut le cas sept fois depuis 1969, toujours à la suite d’un relèvement des taux par la Fed. L’inversion n’est pas la cause de la récession, elle reflète juste le risque lié au resserrement de politique monétaire qui y mène et qui catalyse une situation déjà fragilisée.  Une nouvelle «maladresse» de la Fed, peut-être en juin… et le tour est joué. 

Perte de confiance

Mais inversion de la courbe et récession ne sont pas les seuls éléments à prendre en compte dans une analyse globale. Il est aussi indispensable de surveiller de près certains indicateurs, explique Jim Bianco. Si les résultats concrets (hard data) du Citi US Data Change Index paraissent stables, ceux fondés sur les sondages (soft data) sont en chute libre. Une perception corroborée par une dégradation de la confiance des directeurs d’achat, reflétée dans l’ISM Manufacturing PMI, et par une détérioration du sentiment des consommateurs, exprimée par l’indicateur de l’Université du Michigan. 

Perspectives de bénéfices

Les prévisions de résultats pour 2019 des entreprises du S&P 500 se sont effondrées au cours des derniers six mois, passant de plus de 12% à moins de 6% sur l’ensemble des secteurs. La croissance des bénéfices opérationnels pourrait passer au-dessous de l’inflation au premier trimestre, voire au second. Les publications décevantes ne remonteront pas le moral des marchés d’autant que l’effet porteur des réformes fiscales de Donald Trump est loin derrière nous. 

Un autre shutdown pourrait lier l'augmentation de la limite de la dette
au débat budgétaire sur le financement du mur à la frontière mexicaine.

Le dernier shutdown en date vient de s’achever. Un autre épisode pourrait se représenter rapidement car le gouvernement n’est rouvert que jusqu'au 15 février. Quant à l’entente conclue l'an dernier par le Congrès pour hausser le plafond de la dette, elle expire au début du mois de mars. Un autre shutdown pourrait lier l'augmentation de la limite de la dette, une question controversée, au débat budgétaire plus large concernant en particulier le financement du fameux mur entre les États-Unis et le Mexique.

Récession ou non?

Aucune des récessions des cinquante dernières années n’a été prédite par les prévisionnistes professionnels qui regardent invariablement au mauvais endroit. Car les indicateurs économiques ne reflètent pas les paramètres qui sont à surveiller de près et qui s’élèvent au nombre de quatre: le comportement de la Fed, le prix du brut, les déséquilibres boursiers et l’instabilité politique extrême. Dans l’environnement actuel, le premier de ces quatre facteurs est à privilégier. «Jerome Powell est encore capable de remonter les taux cette année» estime Bianco qui, en conséquence, relève la probabilité d’une récession à 50%, en cas d’erreur de jugement de la Fed. 

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