De l’importance de «l’effet de richesse»

Nicolette de Joncaire

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«La réduction du bilan de la Fed est un facteur plus important que les hausses de taux», estime Yves Bonzon de Julius Baer.

 

Avec la normalisation de la politique monétaire entamée par la Fed, la volatilité a repris. Mais qui dit volatilité ne dit pas marché baissier. Les années 1990 sont la preuve même que périodes haussières et forte volatilité sont parfaitement compatibles. Par contre, 2018 illustre combien, en période de dispersion des rendements, il peut être difficile de capturer les hausses. Qu’attendre de 2019? L'analyse d'Yves Bonzon, Chief Investment Officer de la banque Julius Baer.

Comment envisagez-vous les tendances qui se dessinent cette année?

L’économie européenne est plus stable qu’elle ne l’a été depuis bien longtemps. La demande privée est faible mais résiliente. Le désendettement des entreprises et des ménages se poursuit depuis 10 ans et l’inflation est basse. Observez le parc automobile de la zone euro: son âge moyen est de 11 ans ce qui est un record. Les carnets de commande ont été, de plus, handicapés par l’adaptation à la réglementation sur les émissions de CO2 car il faut ajuster les chaînes de production. Devant une telle stabilité des flux internes, seul un facteur externe peut modifier les tendances économiques. Aux Etats-Unis aussi l’économie est résiliente et le désendettement du secteur privé persiste avec une bonne dynamique du crédit même si la sensibilité aux taux d’intérêt est plus forte. Bref, dans un cas comme dans l’autre, la stimulation viendra de l’extérieur, le facteur global de croissance restant la Chine. Or, nous sommes au croisement de deux blocages majeurs: la guerre commerciale et les mesures de Pékin pour contrôler le crédit. L’effet cumulé se révélant pire qu’attendu. Or quand la Chine s’affaiblit, l’Europe et les Etats-Unis ralentissent.

 Si Donald Trump ne se calme pas «Corporate America» va en pâtir
et pour être réélu, il ne peut pas se permettre une récession.
A quelle étape se situent les pays développés?

L’une des meilleures façons de représenter les étapes est, à mon sens, celle de Richard Koo du Nomura Research Institute. Dans une première phase, celle de l’urbanisation, l’investissement est élevé plus particulièrement dans les infrastructures. Durant cette période, les salaires et les prix restent bas en raison de l’afflux de population des campagnes vers les villes et les inégalités se creusent. La deuxième étape se caractérise par une forte augmentation de la consommation, une croissance rapide de l’économie, des salaires et des prix en hausse – donc de l’inflation – et une réduction des inégalités. La troisième étape – qui est celle des pays développés depuis quelques années déjà –, est celle d’un resserrement des opportunités d’investissement, d’une stagnation des salaires et des prix, et d’une ré-aggravation des inégalités. Les politiques fiscales sont efficaces en phase 1, les politiques monétaires en phase 2. Pour la phase 3, il faut un mix équilibré des deux. Ce qui est malheureusement ce que l’Europe n’a pas su mener.

La «guerre commerciale» durera-t-elle?

Le segment industriel du S&P500 a vu ses marges nettes s’améliorer notablement depuis le milieu des années 1990 et même s’envoler au-dessus de la moyenne de l’indice depuis 2009. La guerre commerciale peut faire des ravages sur ces marges. Si Donald Trump ne se calme pas «Corporate America» va en pâtir et pour être réélu, il ne peut pas se permettre une récession. Il est donc probable qu’il va devenir plus conciliant. Notez que l’unique point sur lequel Démocrates et Républicains s’accordent est de contrecarrer la suprématie militaire chinoise.

La structure des marchés a profondément évolué et a développé
une immense sensibilité à l’orientation prospective des banques centrales.
Vous estimez que la réduction du bilan de la Fed est un facteur plus important que les hausses de taux. Pour quelle raison?

Parce que «l’effet de richesse» est devenu plus déterminant sur la demande – et partant sur l’économie au sens plus large – que la variation du taux d’intérêt. En d’autres termes, et on l’observe depuis 2013 environ, la variation du prix des actifs a un impact direct sur celle de la consommation. Même si Jerome Powell a quelques 2500 milliards de dollars de bilan à élaguer, il réassouplira sa politique si les marchés boursiers souffrent afin de ne pas obérer la santé du pays. Vous avez certainement noté qu’en décembre, il a tenté d’éviter le sujet du Quantitative Tightening et que, contraint de le faire, il a eu la maladresse de déclarer que le resserrement était en mode «autopilote». Sans surprise, les marchés se sont écroulés immédiatement. La structure des marchés a profondément évolué et a développé une immense sensibilité à l’orientation prospective (forward guidance) des banques centrales amplifiée par le trading algorithmique.

Un trading algorithmique que vous réprouvez?

Le «flash crash» sur le marché des changes du 3 janvier n’est que le dernier alea du trading à haute fréquence guidé par ordinateur et une nouvelle preuve de son effet nocif. Ce type d’incident est le résultat d’une réglementation laxiste et de l’abrogation en 2008 de l’Uptick Rule1 qui devrait être réinstaurée.

Quelles convictions pour 2019?

Nous restons attentifs. Le ratio P/E du S&P500 s’est effondré de plus de 20 à moins de 15 en 2018 et la prime de risque sur l’equity US est à un plus haut historique. Mais la moitié des pertes de 2018 a déjà été récupérée sur les trois premières semaines de 2019 dans les portefeuilles équilibrés. Je serais par contre extrêmement prudent envers le marché du crédit sur lequel bien des émissions sont basées sur des engagements lacunaires, exposant sérieusement le marché en cas de défaut.  

1 L’Uptick Rule exigeait que toute vente à découvert soit exécutée à un prix plus élevé que la précédente.
 

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