La diversification reste obligataire

Peter de Coensel, DPAM

5 minutes de lecture

Les performances des titres à taux fixes évoluant aux alentours de zéro, comment positionner un portefeuille diversifié dans ce contexte?

Les marchés ont été relativement calmes en août et la reflation des actifs financiers à l’œuvre depuis le mois d’avril s’est confirmée.  Les actifs à risque continuent d’être portés par les politiques monétaires et budgétaires. Dans ce contexte, comment les principaux indices obligataires1 ont-ils évolué depuis le début de l’année et quelles sont les performances à attendre des différents segments du marché des titres à taux fixes?

Sur le marché américain, l’indice Bloomberg Barclays US Treasury a réalisé une performance de +8,44% depuis le début 2020. Mais fin mars, cette dernière s’élevait déjà à environ 8% et depuis, la courbe de rendements n’a guère évolué avec des deux ans rivés autour des 15 points de base (pb), des cinq ans oscillant entre 25 et 35 pb, des dix ans se satisfaisant de 60 à 80 pb et des trente ans se mouvant entre 1,20 et 1,60%. Quant au rendement de l’indice, il s’établit à 0,51%. 

Paroles de Fed

La Fed va ancrer ses taux à un niveau proche de zéro, les programmes d’achats d’actifs étant maintenus en 2020 et 2021. Afin de garder une certaine flexibilité, il est possible que la banque centrale accroisse ses efforts d’assouplissement quantitatif et procède à des achats supplémentaires sur la partie longue de la courbe de manière à limiter le coût du financement à long terme. Pour l’essentiel, la dernière réunion de Jackson Hole aura servi à informer les marchés du fait que la politique de banque centrale ne serait plus fonction de règles spécifiques ou de résultats particuliers (liés au calendrier ou à l’économie). 

En ciblant une inflation moyenne, la Fed indique qu’elle sera moins proactive.

C’est la coopération entre les autorités monétaires et budgétaires qui permettra à l’économie américaine de parvenir à un niveau d’emploi adéquat (et qui respecte le principe du salaire équitable) ainsi qu’à un profil d’inflation satisfaisant. Grâce à ce dernier, la Fed pourra poursuivre sa politique accommodante, même si l’inflation mesurée par l’indice PCE (Personal Consumption Expenditures) touche les 2,5% ou que le CPI (Consumer Price Index) atteint les 3%. En ciblant une inflation moyenne, la Fed indique qu’elle sera moins proactive: autrement dit, il n’y aura pas de nouveaux chocs de type «taper tantrum» ou de resserrements préventifs de la politique monétaire. Cette nouvelle orientation de la Fed implique que les taux d’intérêt sur les échéances courtes ainsi que les taux nominaux sur les échéances longues resteront plus ou moins à leur niveau actuel. 

Etant donné que les prévisions concernant l’inflation recèlent un important potentiel de normalisation à la hausse, on peut tabler sur une baisse des rendements réels des bons du Trésor. De fait, l’indice des US Treasury Inflation Notes est parvenu à réaliser une performance 9% cette année, donc légèrement supérieure à celle de l’indice précité. Et il pourrait continuer sur cette lancée. Nous restons donc favorables à ces deux segments du marché, mais avec une certaine préférence pour les titres indexés sur l’inflation ou TIPS (Treasury Inflation-Protected Securities).

Mais où va le crédit?

Les obligations d’entreprises ont affiché une performance positive de 6,50% (indice Bloomberg Barclays US Corporate) depuis le début de l’année. Mais en août, le segment des emprunts de qualité investissable (IG) a reculé d’environ 1,8%, en raison de surabondance de l’offre sur le marché primaire et d’un moindre soutien de la banque centrale vis-à-vis de ce segment. Ce que l'on sait moins, c'est que cet indice a une duration relativement élevée de 8,5 ans. Elle est de 6,5 ans pour le secteur financier (30,5% de l'indice), 9,2 ans pour le secteur industriel (61,5% de l'indice) et va jusqu’à 11 ans pour le secteur des services publics (8% de l'indice). Le segment IG offrant un rendement de 2,00%, il représente une diversification intéressante par rapport à celui des bons du Trésor.

L’existence et la prolongation éventuelle du PEPP permettront une émission
ordonnée qui ne devrait pas produire de pression haussière excessive sur les taux.

Depuis le début 2020, le haut rendement a réalisé une progression de 1,16% (indice Bloomberg Barclays US High Yield). Dès la fin juillet, il était parvenu à effacer la baisse de 20% qu’il avait subie en mars dernier. Offrant un rendement de 5,38% pour une duration modeste de 3,5 ans, il affiche un différentiel de rendement de 473 pb par rapport aux bons du Trésor. 

En août, les émissions ont atteint un montant record (2e en termes d’émissions mensuelles enregistrées). Ainsi les efforts d'assouplissement du crédit déployés par la Fed auront-ils été couronnés de succès, même si les défauts de paiement sont à la hausse, et devraient évoluer entre 9 et 10 % en 2020. Compte tenu de la corrélation du haut rendement avec des actions américaines aux valorisations élevées, nous restons neutres sur ce segment.

Du positif en Europe

Du côté européen, l’indice JP Morgan GBI EMU affiche une performance de +2,44% depuis le début de l’année. Le segment des emprunts d’Etat européens s’est particulièrement bien distingué jusqu’à présent et offre un rendement de 31 pb pour une échéance moyenne pondérée de 10,19 années et une duration de 8,52 ans. 

Grâce aux efforts de la BCE et en particulier au programme d’achat d’urgence face à la pandémie (PEPP), la convergence des taux au sein de l'Union européenne a pu être préservée et elle devrait encore se renforcer cette année. Dès 2021, le marché devra absorber chaque trimestre entre 40 et 50 milliards d'euros de titres provenant de fonds de relance européen. Cependant, l’existence et la prolongation éventuelle du PEPP permettront une émission ordonnée qui ne devrait pas produire de pression haussière excessive sur les taux.

En ce qui concerne les obligations d’entreprises européennes de qualité (indice IBOXX Euro Corporate), leur performance depuis le début de l’année s’inscrit en hausse de 0,46%. Dès la fin juillet, elles étaient parvenues à compenser leur recul du mois de mars (-7%). Du fait de leur rendement d’environ 0,60% pour une échéance moyenne de 5,3 années et une duration de 5,4 ans, elles devraient être en mesure de continuer à dégager des performances positives jusqu’à la fin de l’année. Leur principale différence avec leurs homologues américaines réside dans leur duration. Les entreprises européennes devraient en effet rechercher les échéances longues afin de tirer parti de coûts de financement historiquement bas. Elles sont assurées de trouver de la demande, compte tenu du « dépeuplement » observé sur les principaux marchés des emprunts d’Etat.

Le haut-rendement a quant à lui enregistré une performance négative depuis le début de l’année, à -1,93% selon l’indice ICE Bank of America Merrill Lynch European High Yield. Il poursuit néanmoins sa remontée (+1,5% en août) après sa forte correction de mars dernier (-13,2%). Au vu de son rendement de l’ordre de 3,95% et de son différentiel de rendement de 450 pb, l’indice du haut-rendement européen pourrait regagner tout le terrain perdu d’ici la fin de l’année. Cela nécessitera toutefois un environnement stable, du moins en termes de risques. Les réunions de la BCE et de la Fed en septembre ne devraient guère modifier l’humeur des investisseurs vis-à-vis de ce segment du marché, le risque le plus important étant l’issue de l’élection présidentielle américaine. La progression du taux d’infection par le coronavirus et le reconfinement paraissent moins probables, mais s’ils devaient se matérialiser, l’aversion au risque pourrait se généraliser rapidement. En Europe, les taux de défaut sont limités et devraient rester inférieurs à 7% en 2020.

Les convertibles devraient susciter un intérêt croissant
chez les institutionnels ces prochaines années.

Avec une progression de 1,09% depuis le début de l’année, le marché européen des convertibles (indice Exane Eurozone Convertible Bond) se prête particulièrement bien à l’investissement en 2020. Ce segment devrait continuer d’enregistrer de belles performances, car les entreprises puisent dans ce gisement pour trouver des capitaux qui satisfont à la fois les investisseurs et les actionnaires existants. Les convertibles devraient susciter un intérêt croissant chez les institutionnels ces prochaines années.

Zéro à l’international

Au niveau international, l’indice Bloomberg Barclays Global Aggregate EUR affiche une performance légèrement négative (-0,09%) depuis le début de l’année. En juillet et août, la dépréciation du dollar a en effet pesé sur ses résultats. Représentant un montant de 53’700 milliards de dollars, cet indice global offre un rendement de 0,91% et une duration de 7,37 années. Sa performance de 2,39% sur l’année et le coupon de 1,55% ont été totalement absorbés par la perte de 3,76% sur la devise. La pondération du dollar dans l’indice est en effet de 42,7% de l’indice, alors que celle de l’euro n’est que de 24,2%. Néanmoins, cet indice reflète assez bien le résultat à attendre d’un portefeuille obligataire diversifié au niveau mondial, à savoir une performance stable en 2020.

Alors que les performances réalisées ces huit derniers mois s’avèrent relativement satisfaisantes, les perspectives des différents marchés obligataires se sont considérablement assombries. Pour la zone euro, les prévisions tablent sur une performance fluctuant autour de zéro, contre 0,50% pour les bons du Trésor américain. Le différentiel de rendement des obligations de qualité investissable est revenu à son niveau d’avant la crise et pour le haut rendement il se situe entre 50 et 75 pb au-dessous de son niveau d’avant la pandémie. Tous les marchés obligataires ont été frappés d’un «dépeuplement» massif et rapide.

Mais en dépit de cette situation, les titres à taux fixe restent un instrument de diversification du risque et gardent toute leur capacité à préserver le capital. Pour que cette préservation soit réellement efficace, il sera nécessaire d’envisager la construction des portefeuilles d’un point de vue global.

 

1 Sauf précision contraire, tous les indices mentionnés sont des indices de rendement total non couverts contre le risque de change.

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