La crise en Ukraine renforcera l’attractivité de l’Europe de l’Est

Anne Barrat

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Pour Arrash Zafari de Quaero Capital, il ne faut pas confondre la perception et la réalité du conflit actuel. Il profitera plus à l’Est qu’à l’Ouest de l’Europe.

Une Europe plus unie en quelques semaines qu’en plusieurs décennies, l’Otan ressuscitée de l’état de mort cérébrale, une trêve entre Républicains et Démocrates aux Etats-Unis,…: la liste des effets inattendus, sinon paradoxaux, de la crise ukrainienne s’allonge de jour en jour. Sans oublier qu’elle a relégué une autre crise, sanitaire celle-là, au second plan tout en réveillant au Royaume-Uni une nostalgie d’une appartenance à une certaine idée de l’Europe de l’Atlantique à l’Oural, plus qu’à l’Union européenne, que le Brexit meurt de ne pas dissiper. Arrash Zafari, gérant du fonds New Europe chez Quaero Capital, a fait le point sur «L’impact du conflit en Ukraine sur les marchés d’Europe de l’Est» à l’occasion d’une présentation qui s’est tenue hier à Genève.

«L’entrée de l’Ukraine dans l’UE n’est pas le problème pour la Russie de Vladimir Poutine: c’est son adhésion à l’Otan qui, seule, est inacceptable et insurmontable.»

Rien ne sert de surestimer l’impact des sanctions infligées à la Russie ni de sous-estimer les capacités militaires de cette dernière, sauf à se bercer d’illusions dont l’ampleur n’a d’égal que le malentendu sur les intentions de Poutine souligne Arrash Zafari: «Pour qui comprend l’état d’esprit de Poutine, la reconnaissance du Sud de l’Ukraine donc de l’accès à la mer Noire, de la frontière (Marioupol) jusqu’à Mykolaïv en passant par la Crimée, d’une part, la neutralité de l’Ukraine comme peut l’être la Suisse, garantissant la sécurité militaire de ses frontières d’autre part, suffirait  probablement à désamorcer les hostilités. Le conflit serait pour ainsi dire  « gelé », à l’image de ce que l’on a pu voir dans d’autres parties de l'ancienne URSS. Les territoires stratégiques du sud pourraient soit être intégrés à la Fédération de Russie soit bénéficier d'un statut souverain ou d'un niveau d'autonomie théoriquement différent, ce qui éviterait l'apparence d'une défaite. L’entrée de l’Ukraine dans l’Union européenne n’est pas le problème pour la Russie de Vladimir Poutine: c’est son adhésion à l’Otan qui, seule, est inacceptable et insurmontable.» Autrement dit, alors que tout l’Occident se répand en spéculations sur une partition Est-Ouest, et autre diabolisation du chef du Kremlin, le double enjeu de la crise actuelle mérite d’être examiné sous un angle militaire et économique Nord-Sud. Il s’agit notamment d’estimer les réelles capacités de l’armée russe et, surtout, des sociétés militaires privées que le Kremlin peut mobiliser, Wagner en tête, et d’apprécier à leur juste valeur l’impact des sanctions. Sans quoi, tel pourrait être pris qui croyait prendre.

L'arroseur arrosé?

Non seulement les sanctions infligées à la Russie ne servent pas les objectifs des économies d’Europe de l’Ouest, mettre à genoux l’économie russe, mais se retournent-elles contre elles, prévient Arrash Zafari: «Les sanctions aboutissent surtout à renchérir le prix des matières premières. Ce qui nuit en tout premier lieu aux consommateurs d’Europe de l’Ouest. Les entreprises d’énergie – gaz et pétrole – russes continuent à produire avec des coûts en roubles, faibles, et à vendre des volumes plus élevés en dollars. In fine, cette situation, nonobstant le gel des avoirs russes à l'étranger, profite à l’économie russe.» Arrash Zafari rappelle que la confiscation des avoirs de la banque nationale russe, la plus symbolique et violente des sanctions prises contre la Russie, pourrait mener celle-ci à intenter des actions en justice auprès d’instances internationales.

«La normalisation des conditions de marchés ne devrait pas se faire attendre.»

Cette situation favorable aux entreprises énergétiques russes, dans un contexte où les velléités d’indépendance de l’Union européenne vis-à-vis d'elles sont loin d’avoir trouvé des alternatives durables, l’est également pour certaines entreprises énergétiques d’Europe de l’Est, de Pologne et de Roumanie notamment.

Des entreprises prometteuses et sous-valorisées

La normalisation des conditions de marchés ne devrait pas se faire attendre, explique Arrash Zafari, et ce parce que le coût de la guerre sera très vite trop élevé pour l’ensemble des parties prenantes. Une exposition aux entreprises des économies d’Europe de l’Est aura alors encore plus de sens: «Les entreprises sont sous-valorisées en Europe de l’Est. Que ce soit en Roumanie, où les producteurs d’énergies renouvelables sont très concurrentiels, avec des valorisations très basses par rapport à leurs paires en Allemagne par exemple, mais avec des perspectives de rendements plus élevées, ou en Pologne, qui présente de belles opportunités, dans les secteurs de la tech notamment – nous avons renforcé notre position dans un portail de recrutement sur internet qui devrait profiter de l’afflux de réfugiés d’Ukraine. Quant à la République Tchèque ou la Hongrie, ce sont des marchés que nous surveillons de près, conclut Arrash Zafari.» Et pour cause: même si les marchés de ces pays ont connu des désaffections de la cote ces dernière années, favorisant les investissements en private equity au détriment de ceux dans des sociétés cotées, ils offrent aujourd’hui des conditions d’entrée et des perspectives de rendement qui ne peuvent laisser les investisseurs indifférents. La stratégie New Europe de Quaero, qui compte des positions historiques en Pologne, en Russie (aujourd’hui suspendues), en Roumanie, et en Géorgie, affiche une surperformance (+28,3%) par rapport à son indice de référence, le MSCI EM Europe (-65,6%), depuis son lancement en juin 2014.

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