La Chine, de Volcker à Lehman?

Wilfrid Galand, Montpensier Finance

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Les turbulences du marché immobilier affectent le marché obligataire chinois. Au point de poser un dilemme aux autorités: entre ordre et croissance, le choix s’annonce cornélien.

En juillet 2020, excédés par les excès du marché immobilier chinois, les autorités du pays décidaient de frapper fort pour remettre en ordre le secteur. Trois «lignes rouges» ont alors été édictées avec des seuils à ne pas dépasser pour les entreprises en matière de dettes sur actif net, de dettes sur fonds propres et de dettes sur cash-flow. L’objectif était clair: casser la spirale du crédit qui alimente la hausse des prix, empêche les familles de s’élargir par crainte du manque de place et fragilise le système financier. Un véritable «moment Volcker» à la chinoise!

L’enjeu est d’autant plus important que l’immobilier est, en Chine, le socle du patrimoine et de la vie personnelle et locale: il représente les trois quarts de l’endettement des ménages, sert de couramment de dot et de caution pour les actes financiers et, en l’absence de taxe foncière, les ventes de terrains aux promoteurs pèsent 30% des recettes des gouvernements locaux. En outre, les titres de créance des consortiums immobiliers sont très prisés des banques chinoises qui en font une brique essentielle des produits de «wealth management» à fort rendement proposés aux clients.

Le résultat du tour de vis réglementaire a été radical: les ventes immobilières ont plongé. En août 2021, elles étaient en retrait de 23% par rapport à août 2020 et toujours en deçà du niveau de 2019. Les promoteurs et consortiums du secteur, pressés de remettre en ordre leur bilan, se sont lancés dans une course à la cession d’actifs et ont cherché à vendre à tout prix en avance les programmes déjà engagés.

Mais tout ne s’est pas déroulé comme prévu. En mars 2021, le promoteur China Fortune Land Development se déclarait en cessation de paiement, ce qui a entrainé, entre autres, une perte de 3,2 milliards de dollars pour l’assureur Ping An. Désormais, c’est au tour d’Evergrande d’être en difficultés.

Le holding à dominante immobilière a levé au fil des années pour plus de 300 milliards de dollars d’obligations dont 89 viennent à échéance en 2022. D’ici décembre 2021, il doit payer 669 millions de dollars d’intérêt. Les doutes des marchés sont immenses à son sujet: l’obligation 2022, émise à 100, cote moins de 27 et son taux d’intérêt instantané est de plus de 60%!

La contagion gagne désormais l’ensemble du secteur immobilier chinois: des sociétés comme Kaisa Group, Sunac ou Fantasia – dégradé à B par Fitch le 16 septembre – ont vu leurs obligations décrocher. Or l’immobilier représente 70% du marché de la dette à haut rendement en Chine. Le rendement moyen de cette catégorie d’obligations en Chine est ainsi passé de 8% fin juin à 14% mi-septembre.

Les actions de ces sociétés suivent ce mouvement de défiance. Le seul Ping An a une exposition de 10 milliards de dollars en actions de promoteurs chinois. Le titre de l’assureur a décroché de 5% le 17 septembre et encore de 8% lundi 20.

Pour l’instant, la contagion à la dette «classique» et au secteur bancaire semble limitée, même si certains acteurs de taille moyenne, comme Mingshen bank, souffrent en bourse. Les autorités feront tout pour éviter un «moment Lehman» et la PBOC a déjà commencé à injecter massivement des liquidités. Ses injections la semaine du 13 septembre ont été les plus importantes depuis février.

Mais la contagion peut également être plus classique: arrêt de l’activité immobilière, perte de confiance des acteurs économiques et des ménages et chute de la demande de crédit. Déjà les fortes baisses des cours du minerai de fer ou du fer à béton montrent que les conséquences des turbulences immobilières sont réelles. Et la déception récente sur les ventes au détail ne peut s’expliquer uniquement par la politique «zéro CoVid».

La balle est donc dans le camp des régulateurs chinois. Trouver un équilibre entre confiance économique et raison financière, ne pas désespérer les épargnants tout en préservant la solidité du système et en apaisant la folie immobilière, telle est la complexe équation du moment.

En bons historiens de l’économie, ils sauront analyser les erreurs américaines et européennes de 2007-2008, en particulier en réagissant rapidement. A eux maintenant d’inventer leur «sortie de crise à la chinoise».

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