La BCE surprend sans surprendre

Stéphanie de Torquat, SILEX

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Au-delà des secousses bancaires récentes, la situation économique fondamentale en zone euro plaide pour un calibrage monétaire prudent.

La Banque Centrale Européenne (BCE) s’est réunie jeudi après-midi, 16 mars, et a annoncé une hausse de ses taux d’intérêt de 0,5%, portant son taux directeur principal à 3%. 

Cette décision, quasiment pré-annoncée par Mme Lagarde début février, était pourtant devenue beaucoup moins consensuelle dans le sillage de la faillite de SVB (une banque régionale américaine) en fin de semaine précédente, et, surtout, de craintes fortement accrues la veille autour de la banque d’importance systémique Crédit Suisse.

Chacun de ces évènements, pris de façon isolée, ne devrait effectivement pas se mettre au travers de la détermination de la BCE à lutter contre une inflation toujours inconfortablement élevée. 

D’autant plus que les mesures annoncées dans la foulée devraient à ce stade suffire à stabiliser la situation. 

Dans le premier cas, des filets de sécurité crédibles ont été annoncés de façon conjointe par la Fed, la FDIC («Federal Deposit Insurance Corporation») et le Trésor afin d’éviter une fuite de dépôts généralisée.

Et dans le second cas, la Banque Nationale Suisse (BNS) et le régulateur des marchés financiers suisse (FINMA) ont rapidement annoncé que Crédit Suisse aurait accès aux fonds nécessaires, tout en soulignant sa solvabilité, avec des niveaux de capital et de liquidité suffisants, et supérieurs aux minima réglementaires.
Mais ces évènements n’en restent pas moins un appel à la vigilance pour les marchés, qui réalisent de façon concrète les dégâts que des conditions monétaires restrictives – et le risque de perte de confiance plus rapide en résultant – peuvent entraîner pour les acteurs les plus vulnérables. 

Compte-tenu de la proximité temporelle de ces événements avec la réunion de la BCE, il était donc tout à fait plausible que celle-ci opte pour une hausse de taux plus mesurée, de 0,25%, certains plaidant même pour une pause.

Cela dit, la hausse de 0,5% annoncée ce jeudi a été accompagnée d’une tonalité bien plus accommodante que lors des précédentes réunions. 

La BCE a certes rassuré – à juste titre – sur la bien meilleure solidité de l’écosystème bancaire par rapport à la période précédent la grande crise financière, et sur sa capacité à activer rapidement les outils aujourd’hui à sa disposition en cas de stress du système financier. 

Certes, l’inflation reste élevée. Mais n’oublions pas que la BCE n’a commencé à monter ses taux qu’en juillet 2022, il y a à peine 8 mois.

Mais elle n’en reste pas moins plus prudente face à une situation qu’elle reconnaît comme étant incertaine. 

Ainsi, elle a finalement donné suite à une annonce faite l’année dernière, mais peu respectée dans les faits jusque-là, à savoir ne pas se «pré-engager» en ce qui concerne ses décisions futures. Ce qui veut dire qu’elle se donne la possibilité, selon les données économiques et l’évolution de l’environnement financier, d’éventuellement s’arrêter ici.

Bien que cela ne soit clairement pas son scénario central à ce stade, ce serait à notre avis une bonne chose.

Certes, l’inflation reste élevée. Mais n’oublions pas que la BCE n’a commencé à monter ses taux qu’en juillet 2022, il y a à peine 8 mois. Cela est encore trop récent pour que les effets soient effectivement et pleinement visibles dans l’économie réelle. La croissance annuelle de la base monétaire M1 (pièces et billets en circulation, dépôts à vue), qui est passée en territoire négatif pour la première fois de son histoire au mois de janvier, devance l’inflation de 18 mois environ. Elle indique que ce qui a déjà été fait est significatif, mais les effets ne se feront vraiment sentir que plus tard.

Le problème est bien sûr que ces effets ne seront pas simplement visibles sur l’inflation (qui est l’objectif), mais aussi sur la croissance (qui en sera un dommage collatéral). En effet, le canal de transmission des hausses de taux à la baisse de l’inflation est la destruction de demande. Le but de l’exercice est donc de détruire suffisamment de demande pour faire baisser les prix, mais suffisamment peu pour préserver la croissance.

Or, la zone euro n’était pas, au début de ce cycle de resserrement monétaire, dans la même situation de résilience fondamentale que les États-Unis. La croissance annuelle des ventes au détail en volume y a été négative sur sept des huit derniers mois, et celles-ci sont encore en dessous de leur tendance pré-Covid. La confiance des investisseurs reste déprimée, et est d’ailleurs repartie à la baisse en mars après 4 mois d’amélioration depuis les creux d’octobre. Quant au PIB (Produit Intérieur Brut), il n’a toujours pas renoué avec sa tendance prépandémique. 

La surchauffe de demande que l’on a très nettement observée aux États-Unis est loin d’être évidente en zone euro. Le niveau de restriction  monétaire nécessaire y est donc moindre. Il n’est pas impossible que nous y soyons déjà.

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