L’inflation s’envole en zone euro

Bénédicte Kukla, Indosuez Wealth Management

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A l'avenir, l'inflation restera élevée et toute modération des prix de l'énergie sera remise en cause par l'augmentation des prix alimentaires. La BCE a du pain sur la planche.

L'inflation dans la zone euro a dépassé les attentes du marché en mai 2022 (à 8,1% en glissement annuel contre 7,6% attendu). Les prix de l'énergie et de l’alimentaire restent les principaux contributeurs, bien que l'inflation sous-jacente ait également augmenté en mai. La faiblesse de l'euro a stimulé l'inflation importée. A l'avenir, l'inflation restera élevée et toute modération des prix de l'énergie sera remise en cause par l'augmentation des prix alimentaires. La BCE a du pain sur la planche.

LES CHIFFRES DE L'INFLATION: MAYDAY!

La première estimation du taux d'inflation dans la zone euro montre que cette dernière a atteint un nouveau record de 8,1% en glissement annuel en mai, dépassant largement les prévisions du marché (voir tableau 1). Il est important de noter que cette hausse n'est pas liée à des effets de base, l'inflation ayant augmenté de 0,8% en glissement mensuel. L'énergie reste le principal moteur de l'inflation dans la zone euro, contribuant pour 4,3 points de pourcentage à l'inflation totale en mai. La dépréciation de l'euro par rapport au dollar a augmenté l'inflation importée, notamment celle des produits alimentaires et énergétiques. L'inflation sous-jacente a également progressé de 0,3 point de pourcentage pour atteindre 3,8% en glissement annuel en mai (également supérieur au consensus de 3,5%). L'inflation est généralisée parmi les Etats membres, mais avec des amplitudes différentes : de 5% à plus de 15% en glissement annuel dans les régions baltes. Parmi les chiffres de l'inflation nationale publiés en début de semaine (voir tableau 1) :

  • L'Allemagne a enregistré la plus forte hausse mensuelle de la zone (0,9%). La principale pression est venue des prix de l'énergie et des produits alimentaires, tandis que l'inflation sous-jacente a légèrement diminué par rapport au mois d'avril en raison de la composante services liée aux soldes des vacances de Pâques.
  • L’Espagne, à l’inverse, a bénéficié d'un plafonnement des prix du gaz qui a limité l'impact de la hausse des prix de l'électricité en mai, mais l'inflation sous-jacente a nettement augmenté au cours du mois (+0,5 point de pourcentage à 4,9% en glissement annuel).
  • La France présente un niveau d'inflation moins alarmant (5,2% en glissement annuel), mais selon les estimations de l'INSEE, l'inflation aurait dépassé 7% sans les mesures prises par le gouvernement pour protéger les consommateurs de la hausse des prix de l'énergie.

 

ET APRÈS?
  • Les prix de l'énergie devraient moins contribuer à l'inflation au cours du second semestre, mais uniquement grâce aux nouvelles mesures de plafonnement des prix. La nouvelle mesure allemande pour réduire les taxes sur les carburants de juin à septembre fera baisser temporairement la hausse des prix de l'énergie et pèsera sur l'inflation globale du pays jusqu'à 1 point de pourcentage sur la période (source : Commerzbank). Toutefois, les moteurs des prix de l'énergie resteront forts, tant pour le gaz avec le conflit ukrainien que pour le pétrole. Les prix de l’or noir devraient rester soutenus par un marché tendu, car le retour de la demande chinoise après le confinement devrait compenser la baisse de la demande en Europe. Du côté de l'offre, les dirigeants de l'UE ont récemment décidé de réduire de 90% les importations de pétrole en provenance de Russie d'ici à la fin 2022 (à l'exclusion du pétrole transporté par oléoduc). Cependant, l'annonce finale des modalités de l'embargo et l'intention de l'Opep (à confirmer) d'augmenter modérément la production (potentiellement sans la Russie) ont contribué à détendre à la marge les prix du pétrole qui ont augmenté rapidement ces derniers jours.
  • L'augmentation des prix alimentaires est susceptible de compenser tout soulagement des prix de l'énergie à venir. La politique agricole commune de l'UE, ainsi que les droits de douane et une autosuffisance alimentaire relativement forte, permettent à l'indice des prix agricoles dans l'UE d'être moins volatil. Toutefois, les prix des produits alimentaires devraient augmenter, car les prix à la production des agriculteurs de l'UE continuent de dépasser les prix à la production et à la consommation (+16 points en février 2022 par rapport à la fin 2019). De plus, la zone dépend des importations pour des produits comme les oléagineux, les huiles végétales et les protéagineux dont la Russie et l'Ukraine sont de grands exportateurs.
  • L'inflation sous-jacente augmente progressivement: l'inflation des biens industriels non énergétiques réagit avec un certain retard à la poussée de l'inflation des prix à la production (les prix à la production dans le secteur manufacturier allemand ont augmenté de 33% en glissement annuel). Du côté des services, malgré un léger soulagement en Allemagne en mai, la reprise du tourisme en Europe cet été favorisera la hausse des prix des services estivaux.
  • Les augmentations de salaires dans la zone euro restent, jusqu'ici, relativement modérées. L'indicateur prospectif des salaires de la BCE, basé sur les récents accords salariaux, indique une hausse des salaires de 3% en 2022, un record pour la décennie. Cette dernière tient compte de l'augmentation des salaires minimums dans 12 des 19 pays de la zone euro d'ici la fin de l'année 2022. Cela reste cependant plus faible que l'augmentation des salaires observée au Royaume-Uni et aux Etats-Unis, où les conditions du marché du travail sont nettement plus tendues. Toutefois, les syndicats demandent davantage dans la zone euro. Le puissant syndicat allemand IG Metall a suscité des inquiétudes en avril en demandant une augmentation de 8,2% des salaires des travailleurs de l'acier. Cependant, les résultats du premier trimestre ont montré que les entreprises ont conservé un fort pouvoir de fixation des prix. Par conséquent, les signes d'une boucle de rétroaction entre les prix et les salaires dans la zone euro restent limités jusqu'à présent, mais les risques sont orientés à la hausse pour 2023.

Globalement, l'inflation va augmenter et durer plus longtemps que prévu dans la zone euro. Les dernières données d'inflation devraient davantage mettre en difficulté la BCE dans sa faculté à piloter sa politique monétaire. Nous prévoyons une inflation de 7,6% en 2022 et de 4,4% en 20231. Cette dernière a annoncé qu'elle abandonnerait les taux négatifs d'ici la fin du troisième trimestre 2022 et qu'elle continuerait à relever les taux vers le taux neutre par la suite. Sa politique est loin d'être aussi agressive que celle de la Fed. Les marchés s'attendent désormais à ce que le taux cible de la zone euro atteigne 1,11% d'ici la fin de l'année. Il est encourageant de constater que la BCE n'est pas seule, puisque la politique budgétaire de la zone euro s'efforce également de plafonner les prix de l'énergie afin d'atténuer l'impact sur le pouvoir d'achat des consommateurs, un avantage par rapport aux consommateurs britanniques. D'après les calculs du think tank européen Bruegel, des réductions des taxes et de la TVA sur l'énergie ont été mises en place dans 20 des 27 Etats membres de l'UE et des aides versées aux catégories de population vulnérables dans 25 Etats. L'Allemagne et la France ont estimé le coût total des mesures gouvernementales prises depuis la crise ukrainienne entre 25 et 30 milliards d'euros (~1% du PIB).

Les marchés boursiers européens ont terminé dans le rouge le dernier jour du mois de mai, inquiets de la montée en flèche de l'inflation et de l'impact que la hausse des taux aura sur la croissance économique pour contenir cette envolée des prix. Le récit de la stagflation en Europe se confirme.

 

 

1 CA CIB Economic Research, prévisions d’inflation du 1 juin 2022.

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