L’immobilier titrisé: une protection contre l’inflation?

Laurent Clauzet, BCGE

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Habituellement plébiscitée pour sa bonne couverture contre l’inflation, la classe d’actif «immobilier» tient-elle vraiment cette promesse?

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2021 a signé le retour de l’inflation sur fond de contraintes de production et de logistique liées à la pandémie. Le niveau d’inflation a ainsi atteint 7% l’année dernière aux Etats-Unis, 5% dans la zone euro et 2% en Suisse1. Alors que cette inflation était présentée comme potentiellement limitée et transitoire, la déclaration de guerre de la Russie à l’Ukraine le 24 février dernier a profondément affecté les marchés. Les sanctions mises en place par les pays occidentaux contre la Russie – acteur majeur du marché des matières premières – font peser un risque d’inflation plus élevée encore et à plus long terme. Dans ce contexte, le leitmotiv habituel est de privilégier les investissements dans les actifs réels comme l’or, les matières premières mais aussi l’immobilier. S’il est difficile pour la plupart des investisseurs – y compris institutionnels – d’accéder «directement» à ce type de classes d’actifs, étudions ici les bénéfices d’un investissement dans des fonds de placement et des sociétés immobilières suisses cotées.

Les taux réels pourraient également augmenter à moyen terme après plus d’une décennie de baisse continue.

Il est communément admis qu’avec des loyers pour la plupart nominaux et donc indexés à l’inflation, l’investisseur peut augmenter le loyer du locataire à date fixe et ainsi se prémunir des effets de l’inflation. Selon le code des obligations (CO) suisse qui régit notamment le droit du bail, il existe 3 principaux contrats de baux: le bail à loyer échelonné qui prévoit à l’avance des augmentations annuelles, le bail à loyer au taux d’intérêt de référence (aussi appelé taux hypothécaire) et enfin le bail à loyer indexé. C’est ce dernier qui est le plus intéressant dans notre cas. Selon la loi, il permet au bailleur de répercuter annuellement sur le loyer jusqu’à 100% de l’augmentation de l’indice suisse des prix à la consommation (IPC). D’une durée minimale de 5 ans, ce bail à loyer est encore peu utilisé dans l’immobilier résidentiel et concerne presque exclusivement l’immobilier commercial (bureau, surfaces de vente, logistique, industriel et artisanal, etc.). Au 28 février 2022, environ 43% de l’indice SXI Real Estate® Broad qui regroupe l’ensemble des fonds et sociétés immobilières cotées à la SIX Swiss Exchange était composé d’immobilier commercial. Pour l’immobilier locatif résidentiel, la réalité est nettement plus contrastée: la plupart des baux sont conclus au taux d’intérêt de référence. Ce dernier n’a fait que baisser depuis 2008 et bon nombre de propriétaires n’ayant pas reflété automatiquement de baisse de loyer aux locataires existants, ils ne pourront le faire en cas de ré-augmentation du taux hypothécaire. De plus, certains cantons comme Genève et Vaud (et bientôt Bâle-Ville) encadrent strictement les augmentations de loyer, y compris au tournus entre 2 locataires.

Dans le cadre de l’immobilier indirect, il faudra alors privilégier une allocation commerciale ou des produits mixtes résidentiels avec des états locatifs existants sensiblement plus bas que le niveau actuel du marché. Il ne faut pas oublier que la performance de l’immobilier papier ne provient pas seulement des loyers. Il est vrai qu’elle en est la principale composante, via le dividende qui est distribué annuellement. Mais les loyers étant révisés une fois par an, il y a de facto un décalage important dans la répercussion finale sur ce dernier. De plus, le dividende est aussi impacté par un ensemble de charges immobilières: entretien et réparations, frais généraux des immeubles (eau, électricité, conciergerie, nettoyage, etc.). Ces dernières évoluent bien souvent à la hausse en période d’inflation. Tout comme les taux d’emprunt qui, s’ils augmentent, renchériront les coûts de financement des fonds et sociétés aujourd’hui endettées à hauteur de 27% en moyenne. On ne pourra ainsi conclure que la distribution annuelle est une parfaite couverture à l’inflation. La seconde composante de la performance réside dans la réévaluation annuelle de la valeur des immeubles: la FINMA rend obligatoire une valorisation par un expert indépendant avec la méthode des flux actualisés (DCF). Si l’inflation augmente bien les futurs flux annuels, ces derniers sont actualisés avec un taux d’escompte nominal qui lui aussi intègre l’inflation. De plus, les taux réels pourraient également augmenter à moyen terme après plus d’une décennie de baisse continue. Les gains latents de revalorisation paraissent ainsi peu ou pas protégés de l’inflation. La dernière composante de l’immobilier coté, l’agio – aussi appelé prime – ne semble pas directement lié au niveau d’inflation. Il est plutôt lié à des facteurs internes à chaque véhicule (ancienneté, taille, qualité du parc et de son gestionnaire, niveau de l’impôt latent, niveau du dividende, etc.) ou des facteurs externes comme les taux d’intérêt réels ou le sentiment général des investisseurs sur l’attractivité d’un secteur ou d’une région. Si les banques centrales procèdent progressivement à une remontée des taux directeurs, il est statistiquement peu probable que l’agio de l’immobilier coté progresse dans ce contexte.

Finalement, dans le cadre de l’immobilier titrisé et pour se protéger contre l’inflation, il faudra plutôt favoriser les sous-jacents commerciaux. S’ils offrent une certaine protection à long terme, on ne saurait y investir dans cet unique but. On lui préférera la pérennité du rendement de distribution ou son potentiel de décorrélation avec les autres classes d’actifs.

 

1 Selon Bureau of Labor Statistics (US), Eurostat et Office fédéral de la statistique (Suisse)

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