L’heure est au grand basculement

Nicolas Descoqs, Clartan Associés

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Après une décennie de surperformance des actions de croissance, les investisseurs doivent revenir sur des secteurs délaissés.

Nous voyons chaque jour un peu plus clairement que l’année 2021 aura clôt un long cycle de marché remontant à la fin de la crise financière de 2008 et se caractérisant par une surperformance époustouflante des valeurs de croissance en général et de technologie en particulier. Le Nasdaq n’a-t-il pas cru de près de 23% par an depuis son plus bas début 2009 alors que, dans le même temps, les actions émergentes ne généraient même pas 10% de rendement (en dollars US)?

Ce phénomène peut s’expliquer par plusieurs éléments: une période d’inflation faible et stable, un bon dynamisme du consommateur final et un soutien puissant des banques centrales.

Ce qui a été adoré un jour peut rapidement devenir détesté le lendemain. C’est précisément ce que nous observons en ce début d’année 2022.

La faible inflation observée jusqu’en 2021 a en effet rendu possible des taux d’intérêt bas pendant longtemps, et donc de bonnes conditions de financement, ainsi qu’un accès facile pour les entreprises aux ressources (main d’œuvre, matières premières,…). Dans ce contexte, il est naturel que la priorité des acteurs économiques se soit portée sur les gains de productivité en tout genre, et notamment dans le domaine numérique. L’époque était à l’immatériel et à l’inventivité. Certains imaginaient que l’avenir était réservé aux seuls «disrupteurs» comme Netflix, Uber, Facebook ou encore Tesla et que le reste, tout le reste, que ce soit l’industrie, les banques ou encore les distributeurs commerciaux, était voué à une disparition irrémédiable.

Néanmoins, comme toujours en économie, les meilleurs choses ont une fin et ce qui a été adoré un jour peut rapidement devenir détesté le lendemain. Et c’est précisément ce que nous observons en ce début d’année 2022.

Le soudain retour de l’inflation, les problèmes d’approvisionnement et la tension sur le marché du travail obligent toutes les entreprises à se battre bec et ongles pour maintenir leur activité, avant même de songer à la croissance.

Les confinements successifs de 2020 et 2021 ont pu laisser croire que la dématérialisation de l’économie était la solution à tous nos problèmes mais nous voyons désormais que ce n’était qu’une illusion. Les conférences vidéo Zoom ou le commerce électronique ont permis de poursuivre dans l’urgence l’activité mais elles ne peuvent pas complètement remplacer la présence physique. L’économie reste encore une activité où les hommes et les marchandises se déplacent.

La décennie qui vient sera marquée par un long cycle de réinvestissement dans les moyens de production, accompagné d’une relocalisation.

La période allant de la fin de la guerre froide à la crise financière avait été marquée par une forte croissance des pays émergents, une augmentation exponentielle du commerce mondial et une industrialisation galopante de la Chine. Cette dernière, avec ses succursales asiatiques, devenait l’usine du monde. Tout cela s’est fait au prix d’investissements industriels massifs qui se sont arrêtés net après 2009. Le complexe industriel mondial a pour ainsi dire été laissé en jachère pendant 13 ans. La décennie qui vient sera marquée, nous en faisons le pari, par un long cycle de réinvestissement dans les moyens de production, accompagné d’ailleurs d’une relocalisation rendue nécessaire par la montée des tensions géopolitiques. La guerre en Ukraine nous montre en effet qu’il est imprudent de trop reposer sur des fournisseurs venant d’un pays ne faisant pas mystère de son hostilité à notre égard.

Ainsi donc, tout ou presque ce à quoi nous nous étions tranquillement habitués, l’inflation faible, les investissements industriels à l’arrêt, un consommateur en pleine forme, du financement abondant, les banques centrales toujours là pour nous rassurer, la transition inexorable du physique vers le numérique, risque de disparaître pour un temps. Et si c’est bien à cette transition que nous assistons, les conséquences pour les investisseurs seront profondes. Les gagnants d’hier seront les perdants de demain et vice-versa.

C’est pourquoi les investisseurs doivent désormais songer à brûler ce qu’ils ont adoré (les valeurs de croissance et de technologie) et à adorer ce qu’ils ont brûlé (les valeurs industrielles et liées aux matières premières). Et ce jusqu’à la prochaine transition…

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