L’Allemagne: la nouvelle Amérique?

Michel Saugné, La Financière de l’Echiquier (LFDE)

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Depuis le début de l’année, les actions allemandes réalisent un parcours impressionnant. Alors que les actions mondiales progressent de 2,7%, le DAX s’adjuge 22%, bien au-delà des actions européennes qui gagnent pourtant déjà 10,7%.

Tout semble favorable à la bourse allemande depuis quelques mois: un nouveau Chancelier conservateur, a priori favorable aux investisseurs, quoique de façon mesurée car élu à la tête d’une large coalition – la configuration idéale pour les marchés; une réforme historique des règles budgétaires, portée par un consensus inhabituel dans le pays, permettant de stimuler l’économie par la dette; un gigantesque plan de soutien aux dépenses militaires et d’infrastructures, encouragé par l’Union européenne; enfin, une volonté politique de soutenir sur le long terme l’investissement productif, comme en témoigne le projet sur la fiscalité des entreprises dévoilé le 4 juin dernier. Il devrait permettre d’abaisser de 5 points le taux d’imposition sur les sociétés allemandes d’ici 2032.

Pour autant, l’Allemagne est-elle la nouvelle Amérique? Les flux de capitaux vont-ils faire déborder le Rhin, comme ils abreuvent depuis des décennies la Silicon Valley? Certains vents contraires viennent nuancer cette perspective idyllique.

Tout d’abord, le plan de diminution de la fiscalité des entreprises n’est pas gigantesque: 46 milliards d’euros d’ici 2029, soit un peu moins de 1% du PIB sur quatre ans. Cela ne transformera pas radicalement le paysage économique. Le plan de nouvelles dépenses militaires et d’infrastructures est nettement plus significatif, à hauteur d’environ 1000 milliards sur 12 ans, mais il ne devrait commencer à avoir des effets tangibles qu’en 2026. D’ici-là, les prévisions de croissance économiques sont encore très moroses: un petit 0,1% sur 2025 d’après le consensus Bloomberg, après deux années légèrement négatives. Et seulement 1,1% prévu en 2026. Loin d’une envolée, même si les prévisions pourraient – pour une fois – être revues à la hausse.

En outre, l’Allemagne devra faire face à la guerre commerciale menée par les Etats-Unis avec une faiblesse particulière: sa structure économique est particulièrement sensible au commerce mondial, en raison de la part prise par les exportations dans les revenus de ses entreprises. Les perspectives sur la croissance mondiale étant fragilisées par les mesures américaines, le vent de face à surmonter sera considérable.

Enfin, le marché allemand a été très fortement tiré par deux secteurs, aux dépens des autres: les biens d’équipement, dont Rheinmetall et Siemens Energy, et SAP, la pépite technologique du pays. Mais ces valeurs sont désormais très chères. Rheinmetall, après une progression de 205% depuis le début de l’année (et 2400% sur 5 ans!), se négocie à plus de 60 fois les bénéfices par actions prévus en 2025 d’après le consensus Bloomberg, contre 17 fois les bénéfices pour le DAX. Quant à Siemens Energy, elle s’est envolée de 77% cette année, et s’échange à peu près au même prix rapporté aux bénéfices que Rheinmetall. A ce niveau de valorisation, surprendre positivement semble difficile, alors que l’impact d’une déception serait important. 

Cela dit, les grandes capitalisations ne constituent pas l’ensemble de la cote du pays. Les petites entreprises présentent des atouts. Elles ont certes progressé de 25% cette année, mais elles accusent encore un retard très important sur 5 ans sur les grandes. Moins exposées aux errances du commerce mondial, mais soutenues également par les plans de relance domestiques, elles pourraient connaître des trajectoires très favorables dans les prochains trimestres, si une boucle de rétroaction positive sur la confiance se mettait en place.

La posture du gouvernement actuel sera clé pour entretenir l’enthousiasme récemment revenu sur le pays. S’il parvient, comme c’est le cas jusqu’ici, il pourra récolter les fruits d’une redirection, même partielle, des flux traditionnellement orientés vers les Etats-Unis, alors que d’autres pays européens sont embourbés dans leurs difficultés budgétaires. Les premiers signaux sont encourageants.

Après l’heure de la Silicon Valley, celle de la «Metall Valley» sur le Rhin est-elle venue?

 

Opinion rédigée le 6 juin 2025

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