Joe Biden: Roosevelt ou Carter?

Wilfrid Galand, Montpensier Finance

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L’économie US résiste aux pénuries. Mais le président, qui se positionnait comme l’héritier de Roosevelt, doit impérativement accélérer pour éviter de devenir le nouveau Jimmy Carter.

Le redémarrage de l’économie américaine post COVID a été très rapide. L’activité, d’abord portée par les commandes industrielles, puis par la demande en services, a même enregistré un rythme de progression annuel de 6,7% au deuxième trimestre. Même si le rythme s’est très nettement assagi au troisième, à 2%, le pays devrait tout de même enregistrer une croissance record en 2021. 

Néanmoins, l’élan semble cassé et le pic de croissance derrière nous. Notre indicateur Montpensier MMS de Momentum économique, à 52, s’inscrit d’ailleurs en net repli depuis le début de l’été. La faute aux pénuries de toutes sortes – matières premières, semi-conducteurs, produits semi-finis ou même main d’oeuvre – qui sont mentionnées aux premiers rangs des préoccupations des dirigeants dans les communiqués de résultats. D’ailleurs, la seule chute des ventes de voitures en raison des pénuries de semi-conducteurs a amputé de 2% les premières estimations de croissance au troisième trimestre.

Le momentum économique américain a perdu 20 points depuis son récent haut de juin 21

Et les revers de l’administration Biden ne font rien contre le désenchantement qui menace. Malgré la baisse marquée du chômage, à 5,4%, les enquêtes d’opinion montrent une glissade rapide dans l’estime que les Américains portent au quarante-sixième président du pays, dont la cote de popularité est désormais proche de celle de Trump dans les derniers mois de son mandat. 

Outre l’impact des pénuries, deux éléments clés expliquent ce changement profond en quelques mois. 

Le premier, et facteur déclencheur principal du décrochage, est le «moment Carter» de l’évacuation précipitée d’Afghanistan fin août 2021. 

Les images dévastatrices des soldats américains négociant avec les talibans l’accès à l’aéroport de Kaboul ont constitué pour Biden le miroir cauchemardesque de l’échec de l’opération de secours «Eagle Claw» de Jimmy Carter le 25 avril 1980, alors que cinquante-trois otages étaient retenus prisonniers dans l’ambassade américaine à Téhéran. 

Le second, moins spectaculaire mais sans doute à effet prolongé, tient dans la grande difficulté de la nouvelle administration américaine à fédérer sa très courte majorité au Congrès pour tenir les promesses de campagnes qui avait incité certains analystes à comparer en 2020 Biden à un nouveau Roosevelt. 

Malgré l’urgence d’un plan pour rebâtir les infrastructures du pays et l’importance politique de donner un tour concret et puissant, aux ambitions de «Rebâtir pour le meilleur» («Build Back Better»), celui-ci peine à se concrétiser et se heurte aux fractures internes du parti démocrate. 

L’objectif initial du candidat Biden était de concevoir un plan complet d’investissement tant dans la reconstruction proprement dite que dans les solutions climatiques et le soutien social, pour plus de 3’500 milliards de dollars. Or, après d’intenses négociations, le nouveau «cadre» en discussions au Sénat a réduit drastiquement cet objectif avec un montant total diminué de moitié, à 1’750 milliards de dollars.

Rappelons que lors de la campagne présidentielle de 2016, Donald Trump et Hilary Clinton s’accordaient sur un montant minimal de 4’000 milliards de dollars, nécessaires pour remettre à niveau les seules infrastructures physiques (routes, ponts, chemins de fer et réseau électrique). 

Ces discussions laborieuses mettent en lumière les fractures profondes du parti démocrate, que seule paraissait unir la volonté de battre Trump: entre les «identitaires», qui veulent avant tout éliminer les injustices ressenties par les différentes communautés du pays, les «rooseveltiens» qui souhaitent redonner de la puissance à l’Etat et mettre au pas les entreprises hyperpuissantes, et les «clintoniens» qui sont concentrés sur l’amélioration de l’efficacité du tissu économique, rien ne va plus.

Or le sujet du plan de relance est doublement important. Economiquement d’abord, son vote, malgré une ambition réduite par rapport aux plans d’origine, pourrait dynamiser l’activité en 2022 aux Etats-Unis et surtout accroitre le potentiel de croissance de l’économie américaine. Mais c’est surtout politiquement qu’un succès, même limité, est indispensable alors que les élections de mi-mandat de 2022 accroissent la pression sur leur faible majorité.

En cas de victoire des Républicains au Sénat en 2022, la polarisation croissante des deux partis dominants aux Etats-Unis laisse en effet présager une présidence à l’arrêt complet entre la Présidence et le Congrès. Et Biden pourrait alors voir le scénario de 1979 se répéter avec un concurrent qui émerge au sein du parti Démocrate pour le contester (ou contester Kamala Harris), à la manière de Ted Kennedy à l’époque. Carter avait surmonté l’obstacle mais les pénuries d’essence à l’été 1979 puis l’échec d’Eagle Claw en avril suivant lui avaient alors coûté l’élection face à Ronald Reagan. Et Trump attend son heure… 

Jusqu’ à présent le désenchantement des Américains vis-à-vis de Joe Biden n’a pas troublé Wall Street qui bat régulièrement de nouveaux records. Néanmoins il est important que les étapes budgétaires, monétaires et diplomatiques de la fin de l’année soient bien franchies par l’administration américaine pour que le rally boursier traditionnel de novembre et décembre se déroule sans anicroches.

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