Stagflation? Pas si vite…

Wilfrid Galand, Montpensier Finance

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Les craintes d’envolée de l’inflation conjuguée à une décélération de la croissance font resurgir le spectre de la stagflation des années 1970. Mais la situation n’est pas comparable, même si le contexte économique change profondément.

A l’occasion de la remise de ses nouvelles prévisions économiques, le 12 octobre, le FMI a attiré l’attention sur le ralentissement de la croissance mondiale et la montée des pressions inflationnistes, au point de mettre en garde les banquiers centraux contre toute complaisance sur ce sujet. Croissance faible, inflation en hausse: il n’en fallait pas plus pour que les comparaisons avec la «stagflation» des années 1970 resurgissent.

Deux éléments permettent effectivement de faire le rapprochement. Le premier est la montée rapide du prix des matières premières. Certes, le choc de 1973 et des années suivantes a été extrême et reste inégalé avec un pétrole saoudien passant de 2,8 dollars à plus de 9 dollars le baril en trois mois et terminant l’année 1979 à plus de 40 dollars.

La hausse récente n’en n’est pas moins impressionnante: depuis un an, le cours du baril de brut léger américain a doublé et le prix du gaz naturel en Europe du Nord (Pays Bas et Allemagne) a été multiplié par 6, tandis que les métaux industriels suivent le même chemin: aluminium, zinc ou manganèse battent record sur record.

La deuxième similarité de la période actuelle avec le changement de régime économique des années 1970 réside dans la relance fiscale massive opérée par les autorités budgétaires américaines durant les années précédentes.

A l’extraordinaire relance Covid – un déficit budgétaire de 15% du PIB aux Etats-Unis en 2020 – correspond en effet la dépense publique très élevée de la présidence de Lyndon Johnson, nécessitée par les coûts de la guerre du Vietnam et du plan «Great Society» visant à créer un système de protection sociale. En 1968, le déficit budgétaire américain dépassa 25% du PIB!

Mais heureusement un ingrédient manque à la similarité des situations: celui de l’instabilité monétaire. En décembre 1971, Nixon abandonne l’étalon-or et le système de Bretton Woods par les accords de Washington, ouvrant la voie au système de change flottant qui s’impose de facto en mars 1973, à peine plus de 6 mois avant l’envolée des cours du pétrole.

Or c’est bien cette instabilité monétaire générée par l’effondrement du dollar qui a été le moteur le plus puissant conduisant à l’installation du régime de stagflation. Les «actifs réels» n’ont, au démarrage, fait que compenser la perte de valeur du dollar avant que l’effet demande, les pressions salariales et les bouleversements géopolitiques autour de la guerre du Kippour ne viennent enclencher la fameuse «boucle prix-salaires». Rien de tel aujourd’hui, les banques centrales veillent et le cours Euro-Dollar est remarquablement stable.

Même si la situation n’est donc pas comparable, la remontée des coûts dans l’économie mondiale -financement, logistique et d’approvisionnement, recrutement - est néanmoins désormais bien présente. Les taux d’intérêt remontent, le prix du fret reste au plus haut et les pénuries de main d’œuvre se multiplient non seulement aux États-Unis mais aussi en Europe.

Cette évolution constitue un changement de paradigme majeur pour les acteurs économiques. D’abord pour les entreprises qui vont devoir arbitrer entre réduction des marges, augmentation des prix au consommateur et efforts accrus de productivité ; ensuite pour les ménages, dont le pouvoir d’achat, en l’absence d’augmentation généralisée des salaires, est sous pression. Et enfin pour les États, pris en tenaille entre un endettement très élevé qui risque de se renchérir – 33 milliards d’euros de charge de la dette pour la France en 2020 soit à peine plus de 1% du PIB contre 3% il y a 20 ans – et une pression sociale de plus en plus forte pour soutenir le pouvoir d’achat.

Du côté des entreprises, les premières communications de la saison des résultats sont rassurantes, en dépit d’une vigilance sur l’impact à venir des difficultés d’approvisionnement. Attention néanmoins aux projections sur 2022: longtemps ancrées au-dessus de 10%, les projections de croissance des bénéfices par action des analystes ne sont plus désormais que de 7,5% pour l’ensemble des marchés mondiaux.

Reste à surveiller l’attitude des consommateurs, les demandes des citoyens et les réactions des autorités à ce changement profond de contexte économique, en particulier lorsque d’importantes échéances électorales se profilent!

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