Une telle politique pourrait avoir une influence sur les rendements obligataires à l’étranger.
La courbe de taux des obligations d’État japonaises s’est aplatie ces derniers mois, les échéances très éloignées s’approchant dangereusement de 0%. Cette évolution ne laisse pas de préoccuper les investisseurs institutionnels tenus par leurs engagements à long terme (compagnies d’assurance, fonds de pension). Selon H. Kuroda, gouverneur de la Banque du Japon, une baisse excessive des taux d’intérêt à très long terme pourrait pénaliser l’activité économique. Ceci a alimenté les anticipations selon lesquelles la BoJ s’orienterait vers un contrôle du niveau et de la pente de la courbe de taux. Une telle politique pourrait avoir une influence sur les rendements obligataires à l’étranger. Dans la zone euro, cela pourrait intensifier le débat sur l’impact de la politique de la BCE sur les fonds de pension et les assureurs.
Les investisseurs en titres à revenu fixe cherchent désespérément les rendements. À contrecœur ils prennent plus de risques mais, comme chacun en fait autant, les rendements continuent de reculer en dessous de zéro. Cette semaine, la Grèce a effectué une émission de bons du Trésor à 3 mois à un taux négatif de 2 points de base. L’Allemagne a adjugé 824 millions d’euros à un taux moyen négatif de - 0,11%1 sur son nouvel emprunt à 30 ans lancé en août dernier. Le phénomène de baisse des rendements obligataires est planétaire, sous l’effet conjugué du ralentissement mondial synchronisé et des flux de capitaux internationaux qui créent une corrélation étroite entre les marchés obligataires. Les investisseurs institutionnels nippons, confrontés à la baisse des rendements au Japon, contribuent dans une large mesure à cette évolution en achetant sur les marchés étrangers des titres de longue échéance, assortis d’une couverture de change.
Comme le montre le graphique, la courbe des obligations d’État japonaises (JGB) s’est aplatie ces derniers mois, les très longues maturités s’approchant dangereusement de 0%. Cela ne va pas sans préoccuper les investisseurs institutionnels (compagnies d’assurance, fonds de pension) engagés sur le long terme. Dans un discours récent, H. Kuroda2, gouverneur de la Banque du Japon (BoJ), est apparu parfaitement conscient du problème: «Une baisse excessive des taux d’intérêt sur les très longues échéances pourrait entraîner une diminution des rendements, notamment sur les produits d’assurance et de retraite, ce qui peut avoir un impact négatif sur l’activité économique sous l’effet de la détérioration de la confiance».
Aussi la réunion de la BoJ à la fin du mois revêt-elle une importance toute particulière. Elle pourrait aboutir à l’adoption d’une politique de «contrôle de la pente de la courbe» par laquelle la Banque centrale chercherait non seulement à conserver le contrôle du niveau des taux d’intérêt sur l’ensemble de la courbe (contrôle de la courbe de taux) mais aussi sur l’écart de taux entre, par exemple, les emprunts à 40 ans et à 10 ans ou ceux assortis d’échéances inférieures (contrôle de la pente de la courbe de taux). À cette fin, les achats de JGB pourraient se concentrer sur la partie courte de la courbe, laissant la possibilité aux rendements de remonter sur les très longues échéances, ou, tout au moins, de ne pas baisser. Est-ce que c’est ce qui va réellement se passer? Cela reste à voir, mais on peut en douter : les investisseurs avides de rendement pourraient être tentés de saisir cette opportunité d’achat dès que les rendements sur les longues échéances seront légèrement plus attractifs.
L’adoption d’une telle politique par la BoJ aurait également son importance pour le reste du monde. Tout d’abord, parce que les décisions prises au Japon peuvent avoir des effets d’entraînement dans les autres pays. Lors de la publication de son calendrier d’achats d’obligations pour le mois d’octobre, la BoJ a précisé qu’elle effectuerait moins de rachats que d’ordinaire sur la partie longue de la courbe3, ce qui a suffi à provoquer une hausse des rendements des Treasuries. Ensuite, les décisions de la BoJ seront suivies de près en Europe. Avec des taux d’intérêt résolument en territoire négatif, même sur les longues échéances, dans de nombreux pays de la zone euro, et une inflation qui reste à un niveau bien inférieur à l’objectif de la BCE, la thèse selon laquelle la zone euro suit la même trajectoire que le Japon (japonisation) fait de plus en plus d’émules: «pour savoir où en sera la zone euro dans deux ans, il suffit de voir où en est le Japon aujourd’hui!». De ce point de vue, si la Banque du Japon devait opter pour une politique de «contrôle de la pente de la courbe de taux», cela aurait pour conséquence d’intensifier le débat dans la zone euro sur les effets indésirables de la politique de la BCE pour les fonds de pension et les compagnies d’assurance.
2 Politique économique et monétaire du Japon, discours prononcé lors d’une réunion avec des chefs d’entreprises à Osaka, Haruhiko Kuroda, gouverneur de la Banque du Japon, 24 septembre 2019.
3 Le rendement des Treasuries à 10 ans a enregistré sa plus forte hausse depuis septembre dernier, MarketWatch, 30 septembre 2019.