Fed & BCE: deux approches divergentes de la politique monétaire

William De Vijlder, BNP

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L’orientation de la BCE réduit la sensibilité des marchés financiers aux surprises liées aux données tandis que celle de la Fed l’augmente.

La Réserve fédérale américaine et la BCE adoptent des positions très différentes : la Fed dispose d’une plus grande marge de manœuvre pour assouplir sa politique monétaire et elle est plus proche de ses objectifs. L’institution de Francfort, en revanche, n’a qu’une marge limitée alors qu’elle doit faire face à une inflation inférieure à son objectif avec le risque que l’écart se creuse au lieu de se résorber. Ces différences ont conduit à des approches divergentes concernant la conduite de la politique monétaire et la communication en la matière. La Fed dépend des chiffres économiques à court terme et, à l’exception des projections des membres du FOMC, elle ne donne pas de guidance. La BCE est indifférente aux données et centre sa communication autour d’une forward guidance liée à l’état de l’économie: le resserrement interviendra uniquement si la cible d’inflation est atteinte. L’orientation de la BCE réduit la sensibilité des marchés financiers aux surprises liées aux données tandis que celle de la Fed l’augmente. Il existe donc un risque de hausse de la volatilité aux Etats-Unis, mais également à l’étranger, du fait des effets de contagion internationaux.

Les décisions récentes de la BCE et de la Réserve fédérale américaine présentent certains points communs. Les deux banques centrales ont décidé d’assouplir leur politique et, dans les deux cas, cette décision a eu ses détracteursi.

Dans leur évaluation des perspectives économiques elles ont, toutes deux, mis l’accent sur l’environnement international. Les révisions à la baisse des projections relatives à la croissance du PIB réel en 2020, établies par les services de la BCE, sont dans une large mesure dictées par une plus grande morosité de la croissance des exportations. Le communiqué de presse du FOMC indique, quant à lui, que la décision d’assouplissement de la politique monétaire a été prise «à la lumière des conséquences des évolutions mondiales sur les perspectives économiques mais aussi en raison de la faiblesse des tensions inflationnistes».

L’inflation figurait aussi en bonne place dans la déclaration introductive de la conférence de presse de Mario Draghi, selon lequel la décision de rendre la politique monétaire encore plus accommodante est due à «l’insuffisance persistante de l’inflation par rapport à nos objectifs». Mais il existe aussi de grandes différences entre les deux banques centrales: les projections médianes des membres du FOMC pour 2020, relatives à la croissance et à l’inflation, sont restées stables par rapport au communiqué du mois de juin, tandis que les nouvelles projections établies par les services de la BCE mettent en évidence un ralentissement de la croissance et un repli de l’inflation l’année prochaine. Autres différences marquantes: le niveau actuel de la croissance, celui de l’inflation et des taux directeurs sont tous trois supérieurs aux Etats-Unis. 

Ces différences ont conduit à une importante divergence concernant la conduite de la politique monétaire et la communication dans ce domaine.

En théorie différents choix de politique monétaire peuvent être envisagés: des décisions sur les taux d’intérêt indépendantes des données économiques à court terme, des décisions dépendantes des données, une forward guidance liée à l’état de l’économie ou basée sur le calendrierii . Le choix se fera dans une large mesure en fonction de la marge de manœuvre disponible (une marge suffisante pour baisser les taux si nécessaire?) et de l’écart par rapport à l’objectif (en cas de ciblage d’inflation, quel est l’écart entre l’inflation observée et l’objectif de la banque centrale?).

Prenons le cas d’une économie qui entre en récession avec des taux d’intérêt relativement élevés et une inflation en baisse, inférieure à la cible. Les taux d’intérêt seront dans ce cas rapidement diminués et la banque centrale sera indifférente aux flux de données, tout au moins jusqu’à ce qu’elle constate que l’assouplissement de sa politique commence à avoir l’effet recherché sur la croissance et l’inflation. Au fur et à mesure du redressement de la croissance, les marchés vont commencer à anticiper une normalisation de la politique monétaire. Cela peut entraîner un resserrement prématuré des conditions financières (hausse des rendements obligataires). La forward guidance basée sur le calendrier peut être un moyen de contrôler la courbe des taux. Si la variable cible est proche de l’objectif de l’autorité monétaire, cette dernière sera probablement très centrée sur les données, que la marge de manœuvre de la politique monétaire soit élevée ou non : une série de données robustes ou faibles peut pousser la variable cible au-delà de l’objectif ou l’en écarter. Telle est la situation dans laquelle se trouve actuellement la Réserve fédérale : la croissance reste satisfaisante, malgré des risques à la baisse, et l’inflation, quoique modérée, n’est pas trop basse. 

Pour sa part, la BCE est confrontée à une marge de manœuvre limitée (le taux de dépôt est déjà nettement en territoire négatif et le marché s’interroge sur les limites de ses capacités de rachat d’actifs dans le cadre de l’assouplissement quantitatif), tandis que l’inflation est bien inférieure à l’objectif et va très probablement se maintenir à ce niveau, tout au moins à court terme. Une forward guidance liée à l’état de l’économie devient dès lors une stratégie de dernier recours. Elle offre l’avantage de repousser la date du premier relèvement des taux dans un avenir lointain et de créer des anticipations selon lesquelles les rachats d’actifs seront poursuivis pendant une longue période, la BCE ayant déclaré qu’ils prendraient fin peu de temps avant qu’elle commence à relever les taux. Cela permet une visibilité sur les conditions de financement à long terme et soutient ainsi la demande de crédit et les dépenses.

Dans ce cadre, il est clair que la Réserve fédérale et la BCE sont dans des positions très différentes et, par conséquent, adoptent des approches très divergentes. La Fed a déclaré que ses décisions dépendent des chiffres économiques, de sorte qu’il n’y a quasiment pas de guidance (à l’exception des projections des membres du FOMC). La BCE est, quant à elle, indépendante à l’égard des données : la politique monétaire est entièrement construite autour de la forward guidance, l’écart entre l’inflation observée et l’inflation cible étant le facteur déterminant. Une telle politique devrait réduire la sensibilité des marchés financiers de la zone euro aux surprises liées aux données ; en effet, ces dernières n’influenceront pas l’orientation de la politique monétaire européenne aussi longtemps que l’inflation demeurera trop faible par rapport à l’objectif de la banque centrale. Aux Etats-Unis, en revanche, le choix d’une politique dépendante des données devrait accroître la sensibilité des cours du marché aux chiffres économiques, entraînant une hausse de la volatilité. Cela devrait entraîner des effets de contagion au niveau international, via les marchés des changes, les marchés obligataires et les marchés actions.

 

i S’agissant de la BCE, le désaccord a porté sur le retour au programme de rachats d’actifs. Concernant le FOMC, certains membres se sont opposés à la baisse des taux tandis qu’un autre était partisan d’une détente plus prononcée. 
ii En adoptant une forward guidance liée à l’état de l’économie, la banque centrale s’engage à maintenir sa politique tant que sa cible d’inflation n’est pas atteinte ou que certaines variables clés n’ont pas atteint un certain niveau (ex. taux de chômage). Avec une forward guidance basée sur le calendrier, elle s’engage à maintenir sa politique jusqu’à une certaine date.
 

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