Investir dans la souveraineté européenne est une nécessité

Vafa Ahmadi & Bastien Drut, CPR AM

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Avec l'accumulation de crises ces trois dernières années, l'économie mondiale connait un grand «reset» qui remet en question tout ce qui a prévalu jusqu’ici.

Toutes les crises apportent leur lot de changements structurels, de modifications des rapports de force et de réorientations des politiques publiques et des investissements des entreprises. Elles changent souvent radicalement le contexte pour les investisseurs. Avec l'accumulation de crises ces trois dernières années (Covid, crise énergétique en partie provoquée par la guerre en Ukraine, aggravation de la crise climatique, pénuries en tout genre), l'économie mondiale connait un grand «reset» qui remet en question tout ce qui a prévalu jusqu’ici. C'est particulièrement le cas pour l'organisation des relations commerciales, qui avait déjà été mise à rude épreuve avec les «guerres commerciales» lancées par l’administration Trump.

Pour l’Europe, qui est un continent très importateur de matières premières énergétiques, l’invasion de l’Ukraine par la Russie a mis à nu la fragilité de l’approvisionnement en énergies fossiles (il suffit de penser à la destruction du gazoduc Nordstream). Celle-ci a rendu indispensable l’accélération de la transition énergétique mais cela se fait dans un contexte commercial particulièrement tendu. En effet, dans leur plan Inflation Reduction Act de dé-carbonation de leur économie adopté cet été, les Etats-Unis ont inclus des clauses de production locale mais aussi de subventions aux entreprises locales pouvant mettre en difficulté des acteurs européens. La transition énergétique requiert par ailleurs de pouvoir s’approvisionner facilement dans un certain nombre de matières premières critiques telles que le lithium ou les terres rares. Il est donc impératif pour l’Europe d’essayer de diversifier ses sources d’approvisionnement mais aussi de développer des filières européennes de production, de raffinerie et de recyclage de certaines de ces matières premières critiques. Faute de quoi, l’Europe continuera d’être très dépendante de puissances étrangères, soit hostiles soit amicales, mais concurrentes.

Les dernières années ont également mis fin au mythe d’une certaine forme de «mondialisation heureuse» où l’Europe pouvait se fournir en toutes sortes de biens rapidement et de façon peu onéreuse. On peut penser à la difficulté de se procurer des masques au plus fort de la crise Covid, des semi-conducteurs à partir de 2021 et certains médicaments actuellement. Des secteurs aussi essentiels que la santé, l’automobile ou les télécommunications se trouvent ainsi dépendants d’autres zones lointaines et exposées à des risques géopolitiques. C’est notamment pour cela qu’il est impératif de développer des capacités de production de semi-conducteurs et c’est ce que la Commission ambitionne de faire avec son Chips Act. Pour le moment, les annonces de rapatriement d’activités stratégiques peuvent paraître encore vagues ou insuffisantes mais il ne s’agit là très probablement que des premières étapes d’un mouvement inexorable. C’est de toute façon une voie que cherchent à emprunter les autorités européennes, Ursula von der Leyen ayant déclaré dans son discours de l’État de l’Union qu’elle voulait «s’assurer que le futur de l’industrie soit fait en Europe.»

L’investissement dans la souveraineté européenne n’a jamais paru aussi nécessaire et pertinent.

La souveraineté européenne, un axe fondamental pour l’investissement thématique

Le sujet de la souveraineté européenne est déjà très prégnant dans un certain nombre de nos fonds thématiques, par exemple dans la participation à la transition énergétique et en particulier dans la structuration d’une chaîne de valeur de l’économie de l’hydrogène. Mais il est en train de s’imposer comme l’un des grands thèmes de marché pour les années à venir. Les tensions géopolitiques actuelles vont contraindre l’Europe à quitter une certaine forme de naïveté dans ses politiques commerciale et industrielle, et à devoir renforcer de façon drastique son autonomie stratégique. C’est particulièrement clair dans le secteur de l’énergie mais cela l’est plus généralement pour la question de la sécurité sous toutes ses formes.

La guerre en Ukraine, le conflit armé en Europe le plus meurtrier depuis la seconde guerre mondiale, rend notamment impératifs d’importants investissements dans le domaine de la défense. L’Allemagne, par exemple, a annoncé un objectif de dépenses militaires de 2% du PIB, du jamais vu depuis le début des années 1990. Pour l’Europe, réinvestir dans la défense est indispensable pour garantir la paix. Les autorités européennes entendent également renforcer les cyber-protections (voir le Cyber Resilience Act), les enjeux économiques liés à la cybersécurité étant énormes (le coût de la cybercriminalité au niveau mondial était de 5500 milliards d’euros en 2021).

En causant une forte hausse des prix et des pénuries diverses, la guerre en Ukraine a également montré l’importance de la sécurité alimentaire. Il est essentiel pour l’Europe d’investir dans des chaînes de production agricole plus robustes et de soutenir les entreprises qui, notamment via leurs innovations technologiques (agritech), vont lui permettre d’assurer une meilleure souveraineté alimentaire.

Par ailleurs, notre expertise dans les domaines de la pharmacie et de la medtech nous rend particulièrement sensibles au thème de la santé. Un certain nombre de pénuries a mis à nu les trop grandes dépendances de l’Europe vis-à-vis du reste du monde dans ce secteur. Reconstruire des capacités de production et d’innovation dans le domaine médical est une autre priorité de l’Europe. Ainsi, alors que nous avions manqué de paracétamol au début de la crise sanitaire (60% de la production venait de Chine), une usine est en cours de construction dans l’Isère avec l’ambition d’alimenter le tiers du marché européen. C’est une cause qu’il est important de soutenir afin de garantir la bonne prise en charge de la santé des Européens.

De même, un grand projet d’extension d’une usine de semi-conducteurs a été annoncé en juillet dernier tout près de Grenoble. Son objectif sera de servir le secteur automobile et industriel qui souffrent actuellement de la pénurie de semi-conducteurs.

Enfin, puisque nous avons conscience que l’Europe est un continent vieillissant, il nous paraît fondamental de pallier les pénuries de main d’œuvre qui vont se généraliser dans un certain nombre de secteurs en accompagnant l’automatisation et la robotisation, qui contribueront à renforcer la productivité du secteur industriel du continent.

Enfin, puisque nous avons conscience que l’Europe est un continent vieillissant, il nous paraît fondamental de pallier les pénuries de main d’œuvre qui vont se généraliser dans un certain nombre de secteurs en accompagnant l’automatisation et la robotisation, qui contribueront à renforcer la productivité du secteur industriel du continent.

Pour toutes ces raisons, nous sommes convaincus que la question de l’autonomie stratégique de l’Europe va constituer une tendance économique de fond, accompagnée d’investissements publics et privés très importants et qu’il est de notre responsabilité d’y participer.

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