Indices/ETF: succès monstre ou monstrueux succès?

Muriel Tailhades, Edmond de Rothschild (France)

4 minutes de lecture

Face à l’essor des indices et des produits qui les répliquent, une diversification des approches de gestion s’impose.

Les indices rythment nos vies d’investisseurs et jouent un rôle croissant dans le fonctionnement des marchés. Prenons un peu de recul sur leur construction et sur l’émergence de la gestion indicielle. De par leur longévité, les indices actions ont abondamment été étudiés.

Investir au XIXe siècle consistait à devenir actionnaire d’entreprises dont on jugeait l’activité, les perspectives et les résultats intéressants. Investir au XXIe siècle peut prendre quantité d’autres formes mais de plus en plus fréquemment, investir consiste à acheter le « marché » dans une approche infiniment plus court-termiste que nos arrière-grands-parents. C’est un but louable mais, même si représenter un «marché» est la promesse simple et séduisante des indices, ces derniers reflètent-ils vraiment ce qu’ils sont supposés refléter?

Un peu d'histoire

New-York, 1896, les journalistes Charles Dow et Edward Jones conçoivent l’idée de représenter le marché boursier américain à travers un indice, c’est une première. Le mode de construction en est simple, les trente valeurs sont pondérées par leur prix unitaire: l’indice comprend une action de chaque entreprise. Les biais de construction sont nombreux, outre le parti pris initial de créer un indice reflétant la nouvelle économie industrielle de l’époque, le prix des actions n’a pas grand-chose à voir avec la réalité économique des entreprises. Cette approche accorde par ailleurs un poids important aux actions ayant des cours élevés. L’étrange animal qu’est le Dow Jones est sans conteste une représentation subjective du marché américain.

«Savez-vous qu'il existe aujourd'hui
plus d'indices que de valeurs cotées?»

Les années 50 voient l’émergence du S&P 500 et avec lui un nouveau mode de construction d’indices qui demeure le plus populaire à ce jour: la pondération des valeurs dépend de leur capitalisation boursière ainsi que de leur flottant. La plupart des indices européens, créés dans les années 1980, fonctionnent sur ce modèle. Ils ont pris une telle importance ces dernières années qu’on ne conçoit plus d’évoquer l’évolution d’un marché national autrement qu’en se référant à celle de son indice phare.

Et pourtant, les indices pondérés des capitalisations boursières ne sont pas dénués de biais, c’est d’autant plus vrai que l’indice repose sur un nombre restreint de valeurs. C’est ainsi que l’indice suisse SMI vit au rythme d’une entreprise comme Nestlé, que l’indice français, le CAC40, tousse ou s’emballe en même temps que les valeurs du luxe et de Total.

Comme le Dow Jones, les indices pondérés des capitalisations boursières comportent donc eux aussi des biais et sont des outils procycliques. Avant l’éclatement de la bulle technologique, au début des années 2000, les valeurs TMT (technologie, médias, télécoms) étaient surreprésentées, puis nombre d’entre elles ont disparu des indices. Le même phénomène s’est reproduit en 2007 avec les secteurs de la banque et de l’énergie.

Acheter les valeurs de l’indice, c’est souvent acheter des valeurs qui ont déjà connu un parcours boursier exceptionnel et affichent des niveaux de valorisation plus élevés que les actions n’ayant pas le redoutable honneur des indices.

Benchmarks

A l’avènement des indices a succédé l’avènement des benchmarks. Les années 1990 ont vu fleurir de la part des fonds de pension et autres organismes institutionnels, des instructions très précises à l’attention de leurs gérants d’actifs. Ces derniers se doivent de respecter un niveau donné de tracking error (marges de manœuvres autorisées autour de l’indice). L’objectif est clair : limiter les dommages potentiels du gérant qui deviendrait subitement défaillant. L’avantage pour le gérant est qu’il peut facilement mesurer sa contribution personnelle.

Les effets du benchmarking ont été suffisamment
puissants pour modifier la hiérarchie des risques.

Même si cela ressemble à un contrat optimal pour les deux bords, cette approche comporte un biais de taille, le gérant doit être vigilant quant aux positions inférieures aux plus gros poids de l’indice. Si ces actions progressent, les ennuis commencent, le gérant sera contraint de les acheter pour respecter ses limites de tracking error. C’est le problème rencontré par les gérants value1 disposant de contraintes trop strictes: se voir contraints d'acheter des bubble stocks2 dont ils jugent le prix aberrant. La conséquence de tout cela est une fois encore la surévaluation de certains titres et la formation de bulles.

Le phénomène pourrait paraître anecdotique mais ne l’est pas. A l’échelle du marché, les effets du benchmarking ont été suffisamment puissants pour modifier la hiérarchie des risques observés sur des études empiriques datant d’avant cette période. Moins les gérants sont libres (faible tracking error), plus le phénomène s’accroît.

ETF ou Trackers

Après l’offensive «benchmark», les esprits étaient prêts dans les années 2000 à voir l’émergence de produits de gestion passive. Il s’agit d’offrir des véhicules permettant d’acheter l’indice dans son intégralité. Leur succès est planétaire. Leurs encours n’ont cessé de croître ces dernières années avec des progressions annuelles à deux chiffres tant aux Etats-Unis qu’en Europe.

Les ETF conduisent à une situation où les décisions d'achat
ou de vente se prennent en fonction de tendances de marché.

La gestion passive a un atout de taille : proposée à des prix très attractifs, elle permet de minorer le coût des investissements. Les ETF conduisent cependant à une situation où les décisions d’achat ou de vente ne se prennent plus en fonction des caractéristiques des entreprises mais en fonction de tendances de marché.

Toutes les actions sont acquises en même temps et revendues en même temps. Ainsi, un marché sur lequel la proportion de gestion passive croît, verra augmenter la corrélation entre les actions composant les indices. L’effet de diversification décroît! Cela signifie que ces marchés sont beaucoup plus vulnérables en cas de retournement.

Diverses études démontrent, par ailleurs, que ces phénomènes de «co-mouvements» se retrouvent également sur des éléments comme l’espérance de gain qui a tendance à s’homogénéiser ou le risque de liquidité qui a tendance à croître.

Et demain?

Un nombre de plus en plus élevé de transactions boursières n’a pas grand-chose à voir avec la valeur fondamentale des actifs. La plupart de ces transactions sont des transactions de court terme. Notre investisseur du XIXe serait surpris par la brutale accélération du «temps de l’investissement»! Que dirait-il, d’ailleurs, de la fréquence très rapprochée de valorisation des actifs? Il se demanderait sans doute à quoi cela peut servir.

Nous, gérants du XXIe siècle, serions ravis de lui conseiller de garder ses bonnes habitudes et de conserver durablement et majoritairement un solide portefeuille d’actions en tâchant de repérer des entreprises qui ne seraient pas trop soumises aux aléas précédemment cités. Nous lui conseillerions de demeurer un actionnaire, responsable, averti et actif connaissant chacune des entreprises composant son portefeuille.

Peu importe les motifs qui conduisent à s’intéresser à l’approche ESG,
ils contribuent tous à faire de ce domaine l’un des rares à proscrire le court-termisme.

Nous lui dirions probablement aussi de regarder les nouveaux outils mis à sa disposition par les marchés actuels, trackers compris, pour diversifier les approches de gestion. Un peu de momentum dans une stratégie globale, après tout, c’est utile et pas cher.

A l’instar de notre Hibernatus, la prise de conscience des phénomènes précédemment évoqués est réelle et a d’ores et déjà fait évoluer notre industrie. Benchmarking et tracking error ont moins le vent en poupe. La gestion active devient très active. L’une des vocations de la toute jeune gestion alternative (à l’échelle des marchés boursiers) n’est-elle pas de s’affranchir des benchmarks?

Par ailleurs, une gestion nécessairement moins contrainte fait beaucoup parler d’elle depuis 10 ans, c’est la gestion ESG (pour Environnement, Social et Gouvernance).

Il existe plusieurs raisons pour lesquelles un investisseur peut choisir une approche ESG: Avoir un impact concret sur des questions environnementales ou sociales, la conviction que sur le long terme, les entreprises qui se préoccupent de ces sujets seront de meilleure qualité que les autres, s’épargner la publicité de détenir des entreprises moralement questionnables.

En réalité, peu importe le motif qui a conduit à s’intéresser à cette approche, tous ces motifs contribuent à faire de ce domaine l’un des rares à proscrire le court-termisme. Il est un formidable creuset pour une gestion vraiment active pour laquelle nos clients/partenaires nous offrent ce qui nous fait trop souvent défaut ainsi qu’aux entreprises qui ont choisi les marchés de capitaux: du temps.

1 Recherche d'actions disposant d'un prix raisonnable
2 Actions dont le cours croît à un point tel qu'il ne peut plus s'expliquer facilement par des éléments fondamentaux
Sources:
Curse of the Benchmarks, march 2016 – Dimitri Vayanos, Paul Woolley -
London School of Economics
Index-Linked Investing : A curse for the Stability of Financial Markets
around the Globe ?, spring 2016 – Lidia Bolla, Alexander Kohler, Hagen
Wittig – Algofin AG, Deloitte Consulting
How Index Trading Increases Market Vulnerability, September 2011 –
Rodney Sullivan, James X. Xiong – Financial Analysts Journal

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