Genève, épicentre de la finance durable

Salima Barragan

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Genève était jeudi au cœur des investissements sociaux et responsables lors de la 9e édition du Geneva Forum for Sustainable Investment  (GFSI) destiné aux investisseurs professionnels.

 

Avec des acteurs helvétiques de premier plan dont Nicholas Niggli, directeur du développement économique, de la recherche et de l’innovation pour Genève, cette édition – qui réunissait près de 400 participants – confirme l’éveil d’une prise de conscience sur la nécessité de concilier rendements financiers et sociaux.

L’essor de la finance durable

Les résultats de l’enquête 2018 du Swiss Sustainable Finance sur l’investissement durable sont éloquents et témoignent de l’essor des investissements durables en Suisse:

  • Hausse de 82% de l’investissement durable à 390,6 milliards de francs suisses
  • Augmentation de 92% des fonds ISR détenus par des clients institutionnels et 38% pour la clientèle privée

«On perçoit un nouvel intérêt de la part des acteurs institutionnels pour participer et communiquer sur l’investissement durable», estime, Jean Laville, deputy CEO de Swiss Sustainable Finance. De l’intégration ESG à l’investissement d’impact, la finance durable se décline en diverses approches. L’exclusion des secteurs dits «sensibles» (tabac, nucléaire, armement etc.) est actuellement la stratégie la plus prisée. On note aussi de nouveaux efforts chez les investisseurs institutionnels comme l’intensification de l'activisme actionnarial ainsi que la mise en place de politiques d’engagement pour édifier les best practices du métier. Les banques privées commencent à proposer une offre en investissement durable visant particulièrement les Millenials pour qui les décisions d’investissement sont une façon d’exprimer leurs convictions sociales, politiques et environnementales. «75% des clients privés sont intéressés au développement durable et cette proportion monte à 88% chez les Millenials», indique Claire Douchy, responsable ISR et philanthropie à la Société Générale.

Mesurer l’impact des investissements durables

Selon les objectifs des  Objectifs de développement durable des Nations-Unies (ODD), l’incorporation de paramètres ESG vise à mieux gérer les risques et améliorer les rendements soutenables à long terme. Sycomore, dont la mission est d’humaniser l’investissement, a labellisé des investissement ISR. «Nous rencontrons les entreprises ainsi que tout leur écosystème. Notre conviction est que pour créer de la valeur à long terme, l’entreprise doit créer de la valeur pour toutes ses parties prenantes», déclare Bertille Knuckey, responsable ISR chez Sycomore Asset management. Comment mesurer l’impact des investissements? L’impact est lié à l’objectif que s’est fixé l’entreprise. «Il est difficile à mesurer mais l’effort d’explication est important pour le client qui souhaite être l’acteur de ses investissements», explique Frédéric Ponchon, gérant de portefeuille. Il voit l’investissement durable comme un avantage compétitif qui permettra d’attirer des actionnaires sur le long terme. «Les clients sont prêts à mettre le prix sur un produit qui exprime certaines valeurs», ajoute-il.

L’émergence de «l’impact investing»

Approche souvent écartée par les investisseurs, l’investissement d’impact souffre toujours d’idées reçues. Selon Daniel Wild, responsable ISR chez RobecoSAM: «Il y a beaucoup de mythes autour de l’impact investing tel que le compromis entre rendements financiers et objectifs philanthropiques». Les solutions d’impact investing sont financièrement fiables et profitent d’investissements importants. Elles ne concernent plus uniquement des investissements alternatifs mais se répandent parmi les investissements cotés qui contribueront à sa généralisation d’ici quelques années.

Symbiotics se focalise sur les marchés émergents et marchés frontières, un secteur en pleine croissance. «En 10 ans, nous avons multiplié par 7 notre masse sous gestion», explique Roland Dominicé, CEO de Symbiotics. Son but est de conduire le capital dans des niches de création de valeur. «Certaines zones telles que le Nigeria ou le Zimbabwe semblent des inaccessibles mais elles ont un vrai potentiel de croissance». Pour peu de volatilité et une basse corrélation aux marchés globaux, l’impact investing est donc adéquat pour stabiliser et diversifier les portefeuilles.

Ce qu'en disent les caisses de pension

Les critères ESG sont présents dans tous les choix, à travers toutes les classes d'actifs, de la Caisse de Prévoyance de l'Etat de Genève qui exerce une politique générale dans ce domaine. «Notre activité s'inscrit dans la perspective du développement durable et des investissements responsables. C'est aussi la volonté de nos assurés» affirme Christian Morard, CFO de la CPEG qui note qu'il est encore difficile d'appliquer ces critères dans certaines classes comme, par exemple, les Senior Loans. Pour mémoire, le premier appel d'offre de la CPEG pour un investissement «éthique» (c'est ainsi qu'on l'appelait alors) date de 1995. L'état d'esprit est le même à la Caisse de compensation et de pension du bâtiment. 37% des investissements de la CCB se font dans l'immobilier avec une préférence marquée pour les logements à but social et l'immobilier labellisé vert. Son directeur, Jean-Remy Roulet, a d'ailleurs été Membre du Conseil de Fondation d'Ethos de 2007 à 2016.  

Genève à une croisée des chemins

Fiona Frick, CEO d'Unigestion, perçoit une croissance de la demande en fonds ESG: «Ce qui était, il y a peu, un marché de niche, se généralise dans toutes les régions du monde dont la Suisse». La Suisse, qui a une grande tradition du respect de l’environnement, jouit de la qualité de son écosystème, d’un monde académique dédié et d’un label de qualité. «La durabilité est au sein de l’ADN suisse», estime Fiona Frick. Genève est aussi un lieu de foisonnement d’idées et d’initiatives. Selon Mark Haller, ancien directeur de l’IISD, «la place financière de Genève possède là un élément de compétitivité qui doit être mis en valeur afin d'accroître son rayonnement en tant que place financière». Cette mission a été assignée à Nicholas Niggli dont le rôle est de faire briller le savoir-faire de la place en tant que centre de l’économie durable. Selon lui, «Genève est à une croisée des chemins où les anciens modèles d’affaire sont devenus obsolètes et où la demande des clients change. Genève doit se réinventer». Nicholas Niggli a vu dans le réseau global FC4S des places financières, une opportunité pour faire de Genève l’épicentre de la finance durable. «Nous sommes au début d’une histoire et, à terme, nous espérons un résultat qui pourra faire de la finance durable la norme en finance».

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