Les placements durables prennent leur envol

Yves Hulmann

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En 2017, les capitaux investis de manière durable en Suisse ont bondi de 82% pour s’établir à 390,6 milliards de francs, portés par les investisseurs institutionnels.

L’investissement durable ne peut plus être considéré comme un secteur de niche en Suisse. Alors qu’il a fallu huit ans pour que les placements investis de manière durable – passés de 33 milliards en 2007 à 71 milliards de francs en 2014 - parviennent à franchir le seuil des cent milliards de francs d’actifs dans notre pays, ce volume a ensuite quadruplé en trois ans seulement pour avoisiner les 400 milliards de francs l’an dernier. 

En 2017, les capitaux investis de manière durable ont progressé de 82% sur un an pour atteindre 390,6 milliards de francs (215 milliards en 2016), révèle le dernier Rapport sur l’investissement durable en Suisse 2018, présenté mercredi à Zurich par Swiss Sustainable Finance (SSF). Ces données reposent sur les indications fournies par 66 institutions financières qui ont participé à l’étude l’an dernier. Celles-ci se répartissent entre 34 banques et gérants d’actifs (27 un an plus tôt) et 32 investisseurs institutionnels (14 un an plus tôt). 

Volume plus que doublé chez les institutionnels

Le rôle accru joué par les investisseurs institutionnels en matière d’investissements durables est le principal facteur qui explique la hausse spectaculaire des placements observés l’an dernier. En effet, les actifs durables gérés directement par les caisses de pension, les assureurs et d’autres investisseurs institutionnels ont plus que doublé (+128%) pour s’établir à 238,2 milliards de francs, représentant quatre dixième du marché suisse de l’investissement durable. Les fonds de placement durables ont, eux, atteint l’an dernier 94,4 milliards (+47%), représentant un quart du marché total de cette catégorie en Suisse, suivis par les mandats de gestion durable avec 57,9 milliards (+25%) qui représentent 15% de ce marché. 

Un dixième du marché suisse des fonds

Est-ce peu ou beaucoup en comparaison de l’ensemble des avoirs gérés par les institutions financières ? S’agissant des investisseurs institutionnels, Sabine Döbeli, la directrice de SSF, met en perspective le fait que les 238 milliards de francs de placements durables ont représenté 16% du total des capitaux gérés par les caisses de pension et les compagnies d’assurance helvétiques. Quant aux fonds durables, ils ont représenté l’an dernier 9% du total du marché suisse des fonds, contre 7% un an plus tôt.

Une estimation «prudente»

D’un point de vue méthodologique, la forte augmentation en 2017 du nombre des investisseurs institutionnels ayant participé à l’étude ne fausse-t-elle pas les comparaisons sur un an? Pour les auteurs de l’étude, l’importance des placements durable par rapport à l’ensemble de l’univers d’investissement n’est en aucun cas exagérée. Certes, les nouveaux participants à l’enquête ont fortement contribué à la hausse des actifs durables répertoriés par l’étude en 2017 – 134,2 milliards de francs étant issus des 25 nouvelles institutions qui y ont pris part. Pour autant, cela ne signifie pas que les estimations des capitaux investis de manière durable soient exagérées par l’étude. Au contraire, estime Sabine Döbeli : «Il s’agit d’une estimation prudente ».

Les deux grandes banques dominent le marché

Sans surprise, ce sont les deux grandes banques qui se placent en tête avec des parts de marché situées à 23,1% pour UBS et à 14% pour Credit Suisse. Viennent ensuite dans une fourchette relativement proche Bank J. Safra Sarasin (11,4%), Vontobel (8,9%), puis Pictet Group et Partners Group avec chacun 8,1%. Par types d’institutions, ce sont désormais les assurances qui investissent le plus dans les placements durables avec une part de 44,5%, avant même les caisses de pension (39,6%).

Le «filtrage» reste la forme de sélection la plus courante

Quant à savoir selon quels critères les placements durables sont sélectionnés, l’approche la plus couramment utilisée est toujours celle dite du filtrage des investissements fondé sur des normes. A elle seule, cette méthode de sélection représente près de 218 milliards de francs (+42%) de capitaux investis de manière durable. Elle est suivie par l’intégration directe des critères ESG (environnementaux, sociaux et de gouvernance) dans l’analyse financière (+90% à 189 milliards). En revanche, l’approche d’investissement basée sur la seule exclusion de certaines activités (en particulier la fabrication et la production d’armes, le tabac ou nucléaire) a légèrement perdu en importance (-14% à 166 milliards) l’an dernier.

Autre tendance qui a le vent en poupe : l’importance accordée aux Objectifs de développement durable (ODD), ou «Sustainable Development Goal » en anglais. Près de quatre gérants d’actifs sur dix proposent déjà des produits qui y font référence, tandis que 12% d’entre eux prévoient de développer de tels produits.

Pression réglementaire accrue

Pour la suite, les spécialistes de SSF s’attendent à ce que la mise en place, récente ou à venir, de plusieurs réglementations va contribuer à renforcer l’importance accordée à la dimension durable des placements. C’est le cas, par exemple, de l’Ordonnance contre les rémunérations abusives dans les sociétés anonymes cotées en bourse (ORab) qui a contribué à accroître l’exercice des droits de vote des détenteurs d’actions de sociétés cotées. En Europe, la réglementation IORP II obligera dès 2019 toutes les caisses de pension d’indiquer dans un rapport comment elles tiennent compte des critères ESG dans leurs décisions de placement.

Le manque de conviction des conseillers à la clientèle freine l’essor des placements durables

L’étude fournit aussi plusieurs indications à propos de ce que les participants à l’enquête considèrent comme des obstacles potentiels à l’essor des placements durables - ou au contraire des moteurs favorisant la prise en compte de la durabilité dans les décisions d’investissement. Parmi les obstacles mentionnés, les gérants d’actifs évoquent avant tout le « manque de conviction des conseillers à la clientèle » au sujet des placements durables, suivi par les « inquiétudes au sujet de la performance ». Les investisseurs institutionnels citent aussi ce dernier aspect comme obstacle potentiel, suivi par les « inquiétudes à propos de coûts plus élevés ». L’occasion pour Sabine Döbeli de contredire de telles craintes : elle cite une étude publiée par les professeurs Rajna Gibson et Phillippe Krüger de l’Université de Genève qui a montré que la performance ajustée du risque s’améliorait pour les entreprises qui intègrent les critères ESG.

Quant aux éléments moteurs susceptibles de favoriser les placements durables, les gérants d’actifs évoquent d’abord la demande provenant des investisseurs institutionnels, puis celle issue de la clientèle privée. Du côté des institutionnels, ceux-ci citent avant tout la «pression provenant des comités de pilotage» ou la «pression politique» en général comme étant des facteurs qui soutiendront l’essor des placements durables. Dans l’ensemble, Sabine Döbeli s’est dite convaincue que la place financière helvétique continue de progresser dans le domaine des placements durables et que la Suisse peut devenir un «acteur clé» en la matière.  

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