Avant même de connaître le résultat des négociations en cours avec l’Union européenne, certains imaginent déjà le pire et exagèrent les conséquences pour notre pays. Le comité qui vient de lancer l’initiative «Boussole» prétend ainsi que la Suisse deviendra le «vassal» de l’UE et devra reprendre environ 8'000 de ses lois! Face à ces allégations infondées, il paraît important de réagir.
Pour ce qui est de la souveraineté de notre pays, reprise «dynamique» du droit de l’UE ne veut pas dire reprise «automatique». C’est toujours le Parlement fédéral qui votera les lois suisses, et il pourrait refuser de reprendre certaines normes européennes. De même, en cas de référendum, qui reste possible, le peuple pourra aussi refuser cette reprise. Bien sûr, ce refus aura sans doute des conséquences, mais moins qu’actuellement.
Aujourd’hui, l’UE impose unilatéralement ses mesures à la Suisse (perte d’équivalence, non actualisation d’accords), sans que notre pays puisse s’y opposer. A l’avenir, ces mesures devront être proportionnées et discutées avec la Suisse.
En outre, ce n’est de loin pas l’entier du droit de l’UE qui devrait être repris, mais uniquement celui relatif à 8 accords sur 140 (cinq actuels: libre circulation des personnes, transports aériens et terrestre, agriculture et obstacles techniques au commerce et trois nouveaux: électricité, sécurité alimentaire et coopération en matière de santé). Cela ne représente qu’environ 150 textes de lois, comme l’a précisé récemment le Conseil fédéral.
Les règles de l’UE en matière de durabilité, d’intelligence artificielle ou de services numériques par exemple ne devront pas être reprises, faute d’accords bilatéraux dans ces domaines, ainsi que l’a confirmé le Conseil fédéral en réponse à une interpellation. Et pour les domaines sensibles en Suisse, le gouvernement a prévu des exceptions, par exemple en matière d’expulsion des criminels, de protection des salaires ou de conditions de travail sur les liaisons ferroviaires.
Enfin, diaboliser la reprise dynamique du droit européen ne fait pas de sens, alors que la Suisse pratique celle-ci depuis plus de 20 ans en matière de transport aérien et de l’espace Schengen/Dublin. La Suisse a régulièrement adapté son droit à celui de l’UE pour éviter les contrôles à la douane, les files d’attente à l’aéroport etc. Et des référendums pouvaient être demandés, par exemple il y a deux ans, quand 71,5% des citoyens et tous les cantons ont accepté d’augmenter la participation de la Suisse au corps de garde-frontières Frontex, pour que notre pays reste dans l’espace Schengen/Dublin.
Il est important de rappeler aussi qu’il n’est plus question de devenir membre de l’Union européenne; la Suisse a retiré sa demande d’adhésion il y a huit ans déjà. Cela explique les attentes renforcées de l’Union européenne vis-à-vis de la Suisse, qui restera un pays tiers.
Les opposants aux accords argumentent que l’on pourrait aussi exporter vers l’UE sans accords bilatéraux. Oui, mais beaucoup plus difficilement!
Les accords sont justement là pour réduire la bureaucratie, en simplifiant ou supprimant des procédures, en reconnaissant la qualité et la sécurité des produits suisses, souvent en traitant la Suisse comme un Etat membre de l’UE. Sans accords, l’exportation depuis la Suisse coûterait plus cher et de nombreuses entreprises déplaceraient donc leur production voire leur siège dans l’UE et risqueraient de ne plus produire pour le marché suisse.
A noter que l’UE elle-même est en train de se rendre compte de son excès de bureaucratie: dans sa Déclaration de Budapest du 8 novembre 2024 sur un nouveau pacte pour la compétitivité européenne, le Conseil de l’UE indique entre autres que «la Commission doit mettre en œuvre sans tarder (…) la formulation de propositions concrètes pour réduire d’au moins 25% les obligations de déclaration au premier semestre de 2025». Et des propositions ont été déposées pour repousser d’au moins deux ans les nouvelles obligations de diligence et celles découlant du règlement sur la déforestation.
La libre circulation des personnes avec l’UE a certes permis l’immigration de nombreuses personnes – pourvu qu’elles aient un travail – mais celles-ci ne seraient pas venues sans les conditions cadre qui permettent aux entreprises de se développer en Suisse et au-delà. On peut dire que la Suisse a en partie mal géré sa réussite économique, en ne construisant pas assez de logements, de crèches, de routes etc., mais ce n’est pas la faute de l’immigration. Mettre fin à la libre circulation résoudrait ces problèmes en vidant la Suisse de ses grandes entreprises et de leurs emplois; le chômage flamberait, le franc suisse s’affaiblirait, bref notre niveau de vie ferait un bond de trente ans en arrière. Sans compter que l’on devrait réintégrer bon nombre des 500'000 citoyens suisses qui vivent actuellement au sein de l’Union européenne.
Alors foin des craintes irrationnelles et espérons que les négociations avec l’UE aboutiront à un résultat qui puisse satisfaire tout le monde.