Espoirs et dangers

Thomas Planell, DNCA Invest

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L’Europe est seule en ligne de front de la guerre énergétique que lui livre Poutine.

Pic d’inflation, pic du dollar, pic des taux d’intérêt: telle une cordée d’arpenteurs, les marchés, pourtant transis d’effroi il y a encore quelques semaines gouttent à l’ivresse des sommets.

Le Dax, suivi du Dow Jones sortent officiellement du bear market en validant une hausse de 20% depuis leurs points bas.

Sur les marchés obligataires, les emprunts émergents libellés en dollars enregistrent leur plus belle performance depuis 1998 à la faveur du repli du billet vert et du relâchement des restrictions sanitaires en Chine.

Le retour de l’optimisme

Les derniers mois de l’année portent les espoirs de la suivante. Celui d’un soft landing des économies occidentales. Aux Etats-Unis, les faillites augmentent, on en compte à présent 2000 par mois mais ce chiffre est trois fois inférieur à la dernière période connue (2007-2008) où les taux courts avaient atteint les 4% de rendement. En Europe, si la production industrielle européenne se contracte, l’emploi et les résultats des entreprises restent pour l’instant résilients: l’un des principaux défis des dirigeants dans les services reste de pourvoir les postes vacants. Le contexte politique est également rassurant: la tempérance budgétaire de Giorgia Meloni n’a rien à envier à la discipline budgétaire retrouvée du Royaume-Uni: qui aurait pu croire que les premiers mots de la première ministre italienne s’adresseraient d’abord aux investisseurs obligataires? Plus loin à l’est, les contre-offensives victorieuses de l’Ukraine revigorent notre foi en un modèle démocratique capable de se défendre et de s’unir face à ceux qui ne respectent pas le droit international. En Chine enfin, l’exaspération manifeste de la population enfin entendue par le pouvoir est un signe encourageant.

La bourse est ainsi faite que lorsqu’il devient raisonnable d’être optimiste, il peut alors être rapidement dangereux d’être pessimiste.

La guerre devient pluri dimensionnelle, constante, diffuse. Depuis Trump, elle est ouvertement économique. Sous Biden elle devient technologique.

Néanmoins, les signaux d’une fin de la surchauffe ne sont pas encore tous au vert, notamment aux Etats-Unis. La progression des salaires et les créations d’emplois continuent de surprendre les pronostics, ce qui rappelle que le défi qui attend Jerome Powell reste entier. A plus long terme malheureusement, il est à craindre que les dangers qui se sont manifestés en 2022 continuent de hanter nos perspectives. La géopolitique, tout particulièrement, s’annonce au nombre des principales inquiétudes que l’on peut formuler.  
 
Comme le déplore Michael Howard dans L'invention de la paix et le retour de la guerre: «le conflit armé entre groupes politiques organisés a été la norme universelle dans l'histoire humaine». La tentation peut être ainsi grande de voir dans les évènements de 2022 et les déclarations d’intention (Taïwan et Turquie en Syrie plus récemment) le retour à cet état séculaire d'opposition entre les nations. Heureusement, à la différence du XXe siècle, la guerre n’est pas totale.

La guerre technologique

La Russie n’a pas employé d’armes non conventionnelles. Les Etats-Unis ne souhaitent pas que l’Ukraine contre-attaque hors de ses frontières ni que le pétrole russe ne cesse de trouver sa voie dans les marchés internationaux hors de l’UE et du G7. Néanmoins la guerre, devient pluri dimensionnelle, constante, diffuse. Depuis Trump, elle est ouvertement économique. Sous Biden elle devient technologique. Le creusement de l’écart technologique avec la Chine est une priorité d’autant plus grande que la débâcle russe confirme à quel point la suprématie de la guerre électronique et du renseignement rabat les cartes du champ de bataille. Tant pis s’il faut sacrifier ses alliés pour parvenir à ses fins.

Ainsi, lorsqu’il annonce s’entretenir avec Emmanuel Macron de commerce technologique, c’est que le démocrate entend bien être suivi par ses alliés dans sa politique de «neo-containment». L’arsenal de cette doctrine de domination technique est impressionnant, sauf autorisation spéciale: interdiction des exportations depuis l’Amérique vers la Chine de designs ou semi-conducteurs à destination des applications de high performance computing, supercomputers, et d’intelligence artificielle; interdiction faite aux citoyens américains travaillant dans ce secteur de collaborer avec des contreparties chinoises, interdiction de vendre des unités de fabrication servant les designs analogiques des 5 dernières années et les applications DRAM conçues depuis 2017. Outre les entreprises relevant de sa juridiction territoriale, l’administration Biden somme les sociétés européennes comme ASML de cesser d’exporter ses machines-outils les plus avancées vers la Chine, tandis qu’au même moment, elle déclenche une véritable guerre des capitaux industriels au travers du très protectionniste Inflation Reduction Act.

Tiraillée par les feux de l’affrontement idéologique qui oppose les Etats-Unis à l’axe Russie - Chine - Corée du Nord - Iran, l’Europe est seule en ligne de front de la guerre énergétique que lui livre Poutine. Il n’est pas impossible que de cette faiblesse, le vieux continent ressorte plus fort en accélérant sa transition énergétique et son indépendance en matière de défense. Ce sont les vœux que l’on peut formuler pour les prochaines années. Mais le défi est de taille. Les réserves mondiales des métaux nécessaires à la transition ou à l’innovation technologiques sont comptées. Leur accès sera probablement au cœur des conflits protéiformes qui risquent malheureusement de confirmer la théorie de Michael Howard.

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