Divergence émergente entre politiques monétaires

Andrew Lake, Mirabaud Asset Management

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Le marché anticipe des fonctions de réaction différentes pour les économies européennes, américaines et britanniques, en ignorant largement les contextes sous-jacents.

Si l’assouplissement des politiques monétaires et les baisses des taux ont déjà débuté dans les économies des pays développés, force est de constater que l’Europe, les Etats-Unis et le Royaume-Uni ne partent pas du même point. Chaque banque centrale se situe à un stade différent de la trajectoire des baisses des taux qu’elle considère comme adaptée à sa situation. Par ailleurs, les mandats qui leur sont dévolus jouent également un rôle dans l’assouplissement des politiques monétaires.

Aux Etats-Unis, malgré l’incertitude qui règne avant chaque réunion de la Réserve fédérale (Fed), le marché anticipe désormais un assouplissement assez agressif, qui se manifestera notamment sous la forme de trois baisses de taux supplémentaires d’ici la fin de l’année. Les marchés obligataires avaient anticipé un ralentissement plus brutal de la croissance américaine, diamétralement opposé à ce que l’on peut observer actuellement: des marchés boursiers en pleine effervescence et une conjoncture économique idéale.

En effet, le PIB a progressé plus que prévu (+3%), les créations d’emplois flambent et les consommateurs, qui conservent leurs emplois, continuent à dépenser. De fait, les derniers chiffres de l’emploi se sont révélés particulièrement solides et les prévisions du marché concordent désormais plus ou moins avec le graphique à points de la Fed, quand bien même le marché se montre légèrement plus restrictif que la Fed au moment où nous écrivons ces lignes. Les marchés obligataires ont donc dû réviser leurs prévisions peu réjouissantes pour le moment.

En Europe, la dynamique macroéconomique est diamétralement opposée. Le marché anticipe seulement deux baisses de taux d’ici la fin de l’année 2024 et pourtant, il est légitime de déclarer que l’économie européenne se porte moins bien que l’économie américaine.

L’Allemagne, fer de lance historique de l’économie européenne, est embourbée dans une récession lente de la croissance. Les difficultés qu’elle rencontre sont particulièrement visibles dans le secteur automobile, où l’effondrement du marché chinois des exportations amplifie la contraction de la demande. L’Europe et la Chine se rendent coup pour coup dans la guerre des droits de douane, ce qui aggrave les déboires du secteur.

La France, deuxième puissance économique européenne, est pour sa part exposée à des risques idiosyncratiques. Le premier ministre Michel Barnier doit rapidement réduire le déficit et stimuler l’économie, mais il dispose d'un arsenal limité pour y parvenir. Les hausses d’impôt et les coupes budgétaires n’augurent rien de bon pour la croissance.

Au Royaume-Uni, le marché exclut désormais toute baisse des taux. En effet, il se pourrait que la Banque d’Angleterre n’abaisse pas ses taux en novembre car les prix des services continuent à augmenter fortement. L’incertitude règne également en ce qui concerne le budget qui sera annoncé fin octobre mais il y a fort à parier que la tendance sera aux coupes budgétaires.

Pour résumer, nous sommes face à une contradiction: le marché anticipe des fonctions de réaction différentes pour les trois économies, en ignorant largement les contextes sous-jacents. La Fed prévoit toujours plus de baisses de taux que les autres grandes banques centrales, alors qu’elle n’a pas besoin de cela. La Banque centrale européenne (BCE) fait preuve d’une plus grande neutralité en la matière. La Banque d’Angleterre semble faire marche arrière sur sa rhétorique.

Cette dichotomie est d’autant plus intéressante au regard de la forte corrélation persistante entre les bons du Trésor américain et les obligations d’Etat européennes. En effet, la divergence à laquelle on pouvait s’attendre n’a pas eu lieu: la courbe des taux s’est pentifiée aux Etats-Unis et on a pu observer le même phénomène en Europe. C’est au niveau du taux de change que tout ou presque se joue, puisque l’euro s’est affaibli face au dollar US en prévision de l’accélération du rythme des baisses de taux.

Que faudrait-il pour que cette corrélation disparaisse? Etant donné qu’il faut en général au moins 6 à 8 semaines pour que l’assouplissement monétaire se répercute sur l’économie, il se pourrait que les États-Unis commencent à prendre une bonne longueur d’avance fin novembre, début décembre, ce qui créerait une plus grande divergence entre les deux marchés avec, éventuellement, une croissance plus forte et une inflation plus tenace. Par ailleurs, il y a fort à parier que l’issue de l’élection présidentielle américaine impulsera une direction aux marchés, compte tenu des différences considérables qui existent entre les deux candidats.

De la même manière, il se pourrait que le nombre de baisses de taux prévues soit revu à la hausse en Europe, les injonctions à agir se multipliant. Il existe toutefois un argument qui va à l’encontre de ce scénario: si les taux baissent en Europe, cela signifie que les conditions de financement sont moins restrictives et, partant, que la BCE n’a pas besoin d’intervenir aussi rapidement ou agressivement. Mais cet argument ne tient pas la route puisque l’économie européenne a besoin de baisses de taux immédiatement, et en plus grand nombre que ce que la BCE a pu faire jusqu’à présent.

Quoi qu’il en soit, la forte corrélation entre les deux marchés de la dette souveraine perdure. En revanche, il existe une divergence et, partant, une opportunité d’investissement au niveau des écarts de taux entre les obligations d’Etat françaises et les obligations d’Etat allemandes, et même avec certaines obligations d’Etat des pays de l’Europe périphérique. Malgré la piètre santé économique de l’Allemagne, les Bunds restent étroitement corrélés aux bons du Trésor américain.

En revanche, les primes de risque des obligations d’Etat françaises sont en ce moment plus élevées que celles des obligations souveraines grecques. Cela signifie qu’il y a une crise de confiance à l’encontre du marché de la dette souveraine française, qui devrait perdurer jusqu’à ce que le gouvernement règle ses problèmes budgétaires. Certes, la France a clairement laissé filer son déficit, mais la réaction du marché et la hausse de la prime de risque sur la dette française semblent exagérées. Cela pourrait offrir une opportunité d'investissement. La perspective d’une crise de confiance, voire d'un événement de défaut de paiement, est extrêmement faible à ce stade. 

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