De la substance de la prime «value»

Arne Kerst, DPAM

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La persistance des biais comportementaux justifie celle de l’anomalie «value», source de performances.

Tous les investisseurs ont entendu parler de Warren Buffet et de l’anomalie «value» qui a fait l’objet d’innombrables études universitaires. Mais, rien n’étant jamais figé en matière d’investissement, les styles peuvent connaître des hauts et des bas. Cela a été le cas du style «value», aussi appelé «substance». Ses sous-performances depuis la crise financière de 2008 ont renforcé la conviction selon laquelle il était moribond. Pourtant, ces derniers temps, le marché lui a de nouveau été favorable et il a enregistré des performances remarquables. Explorons les raisons de la prime que recèlent les titres de «substance».

Newton, irrationnel?

Deux écoles s’affrontent pour expliquer l’anomalie «value», l’une se base sur le risque, l’autre sur le comportement des investisseurs. Pour la première qui part de l’hypothèse de l’efficience des marchés, générer une surperformance exige nécessairement de prendre davantage de risques. Par conséquent, selon cette école, la prime des titres de substance représente une compensation pour l’excédent de risques pris par les investisseurs.

Cependant, contrairement à ce qui est postulé dans l’hypothèse d’efficience des marchés, tous les acteurs n’agissent pas toujours de façon rationnelle et cela se vérifie en particulier lors des périodes d’exubérance. Dans l’un de ses fameux «mémos» intitulé «bubble.com» et publié en 2000, Howard Marks, en relate un exemple intéressant, celui de la bulle dite «des mers du Sud»: «La South Sea Company a été créée en 1711 en vue de contribuer au désendettement du gouvernement britannique, une partie de sa dette étant remboursée grâce au produit d’une émission d’actions de la société. En échange de ce service, l’entreprise s’est vue attribuer le monopole du commerce avec les colonies espagnoles d'Amérique du Sud ainsi que le droit exclusif d'y vendre des esclaves.

Tant que les investisseurs auront tendance à surestimer les titres gagnants et à extrapoler leurs résultats, et à sous-estimer les autres, il sera possible de tirer parti de l’anomalie que recèlent les titres de substance.

La demande pour les actions de l’entreprise était forte en raison de l'espoir d'obtenir des profits importants de ses activités, profits qui ne se sont jamais matérialisés. En 1720, une fièvre spéculative se déclenche et le cours de l'action s'envole. Sir Isaac Newton, alors directeur de la Monnaie, rejoint de nombreux autres riches Anglais et investit dans l’entreprise dont l’action passe de 128 £ en janvier à 1 050 £ en juin 1720. Puis, ayant pris conscience de la nature spéculative de cette hausse, il revend ses actions pour un montant de 7000 £. Interrogé sur la direction du marché, il aurait alors répondu: «Je sais calculer le mouvement des corps célestes, mais pas la folie des foules»… Mais, dans l’incapacité de supporter la pression de voir ceux qui l’entouraient réaliser de gros bénéfices, Sir Isaac, comme tant d’autres investisseurs, rachète l’action au plus haut et fini par perdre 20 000 £. En effet, la bulle éclate en septembre 1720 et le cours de l’action tombe au-dessous de 200 £, ce qui représente une baisse de 80% par rapport à son plus haut touché trois mois plus tôt.»

Une anomalie persistante

Ainsi, même un homme qui compte parmi les plus intelligents au monde n’est pas à l’abri d'un comportement irrationnel. Aussi n’est-il pas étonnant que nous nous rejoignions les «comportementalistes» pour leur explication de la prime des valeurs de substance. La finance comportementale a observé et décrit des comportements qui conduisent à des anomalies persistantes du cours de certains actifs. Les investisseurs sont en effet parfois irrationnels, influencés par leurs émotions, sujets à l’erreur ou à des processus de décision qui ne sont pas optimaux.

Cet excès de confiance des investisseurs dans leur propre jugement ainsi que dans l’opinion générale se traduit par des surréactions à long terme et des sous-réactions à court terme lorsque de nouvelles informations émergent. L'anomalie «value» peut donc s'expliquer par les surréactions provoquées par les biais comportementaux. Elle tient au fait que les marchés sous-évaluent légèrement les entreprises bon marché et surévaluent les entreprises plus chères. Tant que les investisseurs auront tendance à surestimer les titres gagnants et à extrapoler leurs résultats, et à sous-estimer les autres, il sera possible de tirer parti de l’anomalie que recèlent les titres de substance et de générer ainsi de la performance.

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