De l’ordre dans l’exécution

Anne Barrat

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Le regain d’intérêt des investisseurs individuels pour la bourse attire des néo-courtiers. Attention à la pseudo-gratuité prévient Roland Prévôt d’Euronext.

Confinés, les particuliers ont eu tout le temps de gérer leur patrimoine. Les bourses ont été les premières bénéficiaires d’une tendance internationale qui a vu une forte croissance des transactions d’investisseurs individuels. L’Europe n’est pas en reste, qui a connu des pics en mars et novembre 2020 correspondant à la 1ère et 2e vague de COVID-19. La preuve par les chiffres: sur les marchés actions d’Euronext, l’opérateur des marchés de Paris, Bruxelles, Amsterdam, Dublin, Oslo, Lisbonne et Milan, les montants quotidiens négociés par les investisseurs particuliers sur les actions en bourse sont passés de 394 millions d’euros sur les trois premiers trimestres de 2019 à 714 millions d’euros sur la même période en 2020. Ces chiffres ne comprennent pas ceux de la Bourse de Milan, acquise par Euronext en octobre 2020, qui auraient renforcé ce constat. Si le contexte favorable aux actions a incontestablement participé à cette croissance, le mouvement est d’une ampleur telle qu’il laisse à penser qu’il ne prendra pas fin avec celle de la pandémie, d’autant moins que les jeunes générations alimentent les rangs des investisseurs individuels. 

«Ces nouveaux modèles d’exécution fondés sur une relation bilatérale entre un courtier de type neobroker et un market maker manque de transparence.
Néo-courtiers, ou l’illusion de la gratuité 

«La crise sanitaire a réveillé l’appétit des actionnaires individuels, en Europe comme dans le reste du monde, explique Roland Prévôt, Head of Retail, Cash Equity chez Euronext. En réponse à cette demande, la compétition entre courtiers a fortement augmenté, entraînant des solutions très innovantes aussi bien en termes de digitalisation des services que de réduction des frais de courtages. De nouveaux acteurs sont arrivés qui ont proposé des services de courtage en apparence gratuits pour le client final.» Cette nouvelle génération de courtiers propose un modèle d’exécution reposant sur un partenariat unique entre les deux parties, aux termes duquel le courtier se fait rémunérer par le market maker qui exécute ses ordres à un prix discrétionnaire selon un schéma de «payment per order flow». Contrairement au courtier traditionnel qui reçoit un ordre et l’envoie sur une plate-forme boursière ou MTF de type Turquoise ou CBOE, le néo-courtier fait appel à une contrepartie unique, un market maker qui lui offre les coûts liés à l’infrastructure d’exécution, va même jusqu’à le payer pour avoir une exclusivité. Les ordres se feront de gré à gré (OTC). 

Les petits porteurs lésés

«En réalité, souligne Roland Prévôt, l’investisseur continuera à payer la facture, non plus à travers des frais de courtage comme c’est le cas s’il passe par un courtier traditionnel mais sur le prix d’exécution qui sera détérioré afin d’y inclure des frais dissimulés.» De facto, le client final est captif du prix pratiqué par le market maker. Et d’ajouter: «ce nouveau modèle d’affaires fondé sur une relation bilatérale entre un courtier de type neobroker et un market maker manque de transparence. Le grand perdant est l’investisseur.» Très répandu aux Etats-Unis, ce modèle low cost est en principe interdit dans la plupart des pays européens au nom de la protection des investisseurs individuels et du principe de best execution prévu par Mifid II. Il est toutefois couramment pratiqué en Allemagne où l’application de la règlementation européenne est beaucoup plus flexible.

Partant du principe qu’un particulier est moins équipé et moins informé, l’opérateur boursier lui réserve une partie de son carnet d’ordre avec, à la clé, un prix d’exécution compétitif.
Les bourses mobilisées contre une concurrence déloyale

Afin de se distinguer des modèles low cost et ainsi protéger les investisseurs individuels, Euronext a lancé le Best of book, un service garantissant la meilleure exécution au meilleur prix. Une initiative qui devrait faire école en Europe après que l’ESMA a tiré la sonnette d’alarme sur ces pratiques venues des Etats-Unis. Partant du principe qu’un particulier est moins équipé et moins informé, l’opérateur boursier lui réserve une partie de son carnet d’ordre avec, à la clé, des prix d’exécution avantageux. «Deux courtiers suisses, Vontobel et IBKR Interactive Broker, ont déjà adopté ce service d’Euronext. Le SIX Exchange est également en avance sur ces questions avec un modèle similaire au Best of Book d’Euronext pour garantir aux investisseurs particuliers la meilleure exécution», conclut Roland Prévôt. Objectif final: ramener les investisseurs individuels sur les marchés réglementés, même s’ils n’en représentent qu’une modeste fraction, en croissance: 2,95% sur les trois premiers trimestres de 2019, 4,37% sur la même période en 2021.

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