Défendre et diversifier nos interdépendances

Marie Owens Thomsen, Indosuez Wealth Management

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La crise actuelle nous a bien fait comprendre les conséquences de l’isolement. Gare à ne pas le pérenniser!

La crise sanitaire a révélé des failles dans nos systèmes d’approvisionnement et notre réaction, très humaine, a été d’y pallier en exigeant davantage d’autosuffisance. Pourtant, il faut parfois aller à l’encontre de ses réflexes. Comme le skieur qui doit lutter contre l’envie de se pencher vers la montagne et oser se tourner vers la pente qui s’ouvre devant lui.

L’autosuffisance n’a jamais été une voie vers la prospérité. Les pays les plus pauvres dans le monde sont les plus isolés. On peut penser à la Corée du Nord, ou encore au Tchad ou à la République Centrafricaine qui, dépourvus de côtes et d’infrastructures, manquent d’accès pour commercer avec les marchés voisins ou plus éloignés encore. Ces pays n’ont pas pu bénéficier du miracle économique qu’a connu le monde depuis la Seconde Guerre mondiale. Ainsi, il y a seulement 30 ans, 36% de la population mondiale, soit 1,9 milliard de personnes, vivaient avec moins de 1,9 dollar par jour. Selon la Banque mondiale, ce pourcentage est tombé à 10% de la population mondiale en 2015, soit 734 millions de personnes - un chiffre certes encore trop élevé mais qui reflète néanmoins un progrès sans précédent. Ce succès est notamment attribué à l’augmentation des échanges internationaux, aux flux de biens, de services, de personnes et de capital dans le monde. Il faudrait donc résister à la tentation du repli sur soi et chercher à défendre nos interdépendances qui constituent en réalité l’unique option pour sauvegarder notre approvisionnement.

La population mondiale a crû de 50% depuis 1990,
mais les exportations agro-alimentaires ont augmenté d’un facteur de six.

En ce qui concerne l’alimentation, non moins essentielle, il faut savoir que 80% de la population mondiale consomme des produits provenant au moins en partie d’autres pays. La population mondiale a crû de 50% depuis 1990, mais les exportations agro-alimentaires ont augmenté d’un facteur de six. Il manque encore un million de travailleurs migrants cette année pour assurer la récolte de produits agricoles en Europe et aux Etats-Unis. On comprend dès lors la nécessité de maintenir les flux ouverts.

Mais il y a également de quoi faire à l’intérieur de nos frontières. En effet, la FAO (Organisation pour l’alimentation et l’agriculture) nous apprend qu’un tiers de la production alimentaire annuelle fini à la poubelle, et sur ce point nous avons tous notre rôle à jouer. Aux Etats-Unis, le prix de la viande est en train de flamber car 80% de la production est assurée par seulement quatre sociétés, toutes touchées par des réductions de capacité dues au virus. Ce qui fragilise notre approvisionnement et les chaînes de production n’est pas tant notre interdépendance à l’égard d’autres pays mais plutôt notre dépendance à un petit nombre de fournisseurs potentiels. Nous sommes arrivés à ce stade après des fusions et des acquisitions records qui ont entraîné une concentration industrielle et donc une dépendance accrue à seuls quelques interlocuteurs.

Les autorités de concurrence devraient utiliser leurs pouvoirs
pour lutter contre la cartellisation de nos économies.

La recette pour protéger nos chaînes de production consiste à défendre une saine interdépendance en gardant les frontières ouvertes et en diversifiant nos sources d’approvisionnement. Sur ce dernier point, les autorités de concurrence devraient utiliser leurs pouvoirs pour lutter contre la cartellisation de nos économies. Une politique de compétition active, comprenant l’ouverture des frontières, permet d’apporter plus d’options et de solutions aux marchés, de stimuler l’innovation, de promouvoir la qualité des biens et des services, et de limiter les hausses de prix. La crise actuelle nous a bien fait comprendre les conséquences de l’isolement, malgré sa nécessité. Résistons toutefois à la tentation de le pérenniser, dans l’intérêt de tous.

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