Courtiers et assureurs: le mode de collaboration remis en question

Yves Hulmann

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Pour Olivier Parenteau de Maklerzentrum, l’accord de branche qui encadre les courtiers indépendants ne permet plus à ces derniers d’être rentables.

Les primes d’assurance maladie pour l'année 2022 ont été dévoilées mardi. Comme chaque année au début de l’automne, de nombreux assurés se posent alors la question de savoir s’ils doivent changer ou non de caisse-maladie ou de modèle d’assurance s’ils restent assurés auprès du même prestataire. Parfois, certains assurés entreprennent de comparer eux-mêmes toutes les offres d’assurance existantes afin de choisir celle qui convient le mieux à leur profil. Souvent, ce sont aussi des courtiers, ou des sociétés mandatées par des assureurs, qui contactent pro-activement les assurés, soit dans l’optique de les faire changer de prestataires, soit pour les aider à opter pour un modèle d’assurance qui correspond mieux à leurs besoins et à leur situation.

Hormis le fait d’être confrontés à l’évolution induite par la numérisation qui modifie la manière avec laquelle les clients peuvent comparer et sélectionner les produits d’assurance en fonction de leurs besoins, les courtiers indépendants vont aussi au-devant de changements importants en raison d’un accord de branche qui s'applique depuis le 1er janvier de cette année.

Le mode de collaboration entre courtiers et assureurs remis en question

Or, les assureurs-maladie, à quelques exceptions près, n’ont pas les capacités pour exploiter eux-mêmes un service externe. «Depuis l'entrée en vigueur de l'accord de branche, les caisses-maladie essaient toutes de créer ou de renforcer leur propre service externe - mais avec peu de succès, car ils avaient délégué cette compétence pendant plus que vingt ans à des courtiers externes», observe Olivier Parenteau, membre de la direction chez Maklerzentrum, une société bâloise spécialisée dans le courtage.

Pour qu’une telle activité soit rentable pour les courtiers, il faudrait que la rémunération atteigne au moins une fois et demi le plafond prévu par l’accord de branche.

Habituellement, l’acquisition de nouveaux clients était réalisée par le biais de courtiers externes. Au fil des années, les provisions pour effectuer ce travail n’ont cessé d’augmenter, l’acquisition de nouveaux clients étant devenue toujours plus difficile, notamment en raison de l’interdiction des prises de contact «à froid» avec des clients potentiels, à cause de la forte concurrence pour obtenir de nouveaux «leads» (soit des contacts qui ont manifesté un certain intérêt pour une offre) via Internet mais aussi à cause des écarts de primes plus resserrés entre les différentes caisses maladie. Au final, pour la recommandation d’un nouveau client, des provisions dépassant les 1’500 francs étaient parfois versées pour chaque client obtenu. 

Malgré tout, ces rémunérations sont restées insuffisantes pour que l’activité des courtiers puisse être rentable, étant donné que les dépenses nécessaires à l’exercice de leur activité – notamment en raison de la hausse des coûts pour l’obtention des «leads» sur Internet, des coûts des systèmes de gestion des relations avec la clientèle (CRM) et des salaires – ont, elles, encore davantage progressé. Face à une situation parfois tendue entre assureurs et courtiers et en raison de pressions croissantes sur le plan politique, la plupart des grands assureurs – à l’exception de Sanitas – ont décidé de signer un accord de branche visant à mieux encadrer les relations entre assureurs et courtiers et à limiter les rémunérations obtenues par ces derniers.

Forte baisse des provisions perçues par les courtiers

Avec quelles conséquences? Pour l’essentiel, cet accord de branche prévoit un plafonnement des commissions versées aux courtiers – à 70 francs en ce qui concerne l’Assurance obligatoire des soins (AOS) ainsi qu’à un montant correspondant à une année de primes s’agissant des contrats d’assurance maladie (LCA) –, tout comme il précise certains points pour encadrer la formation des conseillers. 

«Maintenant, tous les assureurs sont confrontés à de grandes difficultés pour avoir leur propre service interne.»

«Si l’intention de vouloir mieux encadrer les relations entre assureurs et courtiers ainsi que la formation des conseillers est en soi louable, les provisions ont en revanche été plafonnées à un niveau beaucoup trop bas», déplore Olivier Parenteau de Maklerzentrum. Pour le spécialiste, le fait d’avoir pratiquement divisé par trois le montant versé pour l’acquisition d’un nouveau client, le réduisant à seulement 500 francs en moyenne, ne permet plus aux courtiers de travailler de façon rentable. Même les caisses maladie ne parviendraient pas à exploiter un service externe de manière rentable pour un tel montant: «L’acquisition d’un nouveau client coûte au moins environ 1’500 francs à un assureur», met-il en perspective. Pour qu’une telle activité soit rentable pour les courtiers, il faudrait que la rémunération atteigne au moins une fois et demi le plafond prévu par l’accord de branche.

Inégalités entre intermédiaires liés et courtiers indépendants

Par ailleurs, souligne Olivier Parenteau, l’accord de branche, tel qu’il est prévu actuellement, comporte un autre problème de fond: celui de l’inégalité de traitement entre, d’un côté, les intermédiaires internes – qui travaillent pour le compte d’une ou plusieurs compagnies d’assurances et dont le rapport avec l’assureur est régi par un contrat de travail – et, de l’autre, les intermédiaires externes, ou courtiers – qui, eux, ne sont pas liés à une ou plusieurs compagnies d’assurances. En principe, ces derniers sont indépendants et travaillent pour le compte de la clientèle, du moins en théorie.

Peu de courtiers sont réellement indépendants

En effet, comme le relevait Olivier Parenteau dans une contribution en avril, un bon nombre d’intermédiaires indépendants (courtiers) réalisent parfois plus de la moitié de leur chiffre d’affaires avec seulement un ou deux assureurs. Ainsi, la distinction entre les intermédiaires liés à des assurances et les intermédiaires indépendants (courtiers) est loin d’être si claire qu’il n’y paraît à premier abord. Le fait de soumettre seulement la seconde catégorie, soit les intermédiaires indépendants, à des conditions plus strictes en termes de plafonnement des commissions engendre une situation de discrimination au sein de la branche des courtiers, critique Olivier Parenteau. Compte tenu de ces contraintes, bon nombre de courtiers n’auront alors plus le choix, et d’autant plus dans un contexte fortement marqué par la crise du COVID-19, que de continuer d’exercer leur activité dans le cadre d’un contrat de travail conclu avec un assureur maladie. 

«Si les clients reçoivent moins d’appels de la part des courtiers, ils risquent d’être contactés séparément par différents assureurs. Au final, chaque assureur fera davantage d’appels.»

Quant aux assureurs, il ne leur est pas si facile de constituer leur propre réseau de distribution pour que cet investissement soit suffisamment rentable. Ils doivent en effet tenir compte de coûts d’acquisition de nouveaux clients parfois très élevés sur Internet. «Maintenant, tous les assureurs sont confrontés à de grandes difficultés pour avoir leur propre service interne. En fin de compte, ils se sont tirés une balle dans le pied, car chaque décision de cette commission de surveillance durcit l'accord de branche et personne n'est content avec cette situation. Mais politiquement ils ne peuvent plus sortir non plus de l’accord», observe Olivier Parenteau. 

Moins d’appels de courtiers mais davantage de la part des assureurs 

En fin de compte, estime l’expert, «c’est le client qui ressort perdant». Selon lui, les clientes et les clients ne pourront, d’une part, plus compter à l’avenir sur les conseils neutres de courtiers à même de leur recommander la caisse maladie la plus avantageuse en fonction de leur profil. D’autre part, si les clients recevaient moins d’appels de la part des courtiers, ils risquent être contactés séparément par différents assureurs. Au final, «chaque assureur fera davantage d’appels», anticipe Olivier Parenteau.

Quelle est la solution qu’il préconise? Il s’agirait de rehausser le plafond autorisé pour chaque client: «Passer d’un coup de commissions de l’ordre de 1500 francs par nouveau client à seulement un tiers de cette somme ne va pas. Une fourchette de l’ordre de 900 à 1’000 francs serait plus appropriée », évalue-t-il. Selon lui, une rémunération correspondant à 12 mois de primes ne suffit pas – une durée de 18 à 24 mois semble plus appropriée. Cela, pour autant que les intermédiaires internes, ceux qui sont liés aux assurances, et les intermédiaires externes, les courtiers indépendants, soient soumis aux mêmes conditions et ainsi placés sur un pied d’égalité.

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