COP28: résultats inédits dans un contexte instable

Jon Duncan, Reyl Intesa Sanpaolo

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Est-ce le début de la fin pour les géants des combustibles fossiles?

©Keystone

 

L'année 2023 aura été marquée par des niveaux élevés de risques économiques et politiques mondiaux et par une nouvelle prise de conscience de l'émergence rapide d'un monde multipolaire. Les élections de 2024 aux Etats-Unis, à Taïwan, en Inde, au Pakistan, au Mexique et en Afrique du Sud apporteront un éclairage important sur ce contexte géopolitique changeant. Les récentes élections à Taïwan ont constitué un premier test pour les ambitions de «réunification» de la Chine et ont rappelé au monde le rôle essentiel que joue Taïwan dans l'industrie mondiale des semi-conducteurs. Plus près de chez nous, les élections du Parlement européen en juin seront un bon test du sentiment de l'UE envers l'économie verte et les objectifs de décarbonisation qui, selon certains politiciens, entrent en conflit avec les intérêts nationaux en matière d'emploi et d'économie.

Pour le monde de la finance durable, la fragmentation du monde rend plus difficile l'action «collective» sur les questions environnementales et sociales à l’échelle mondiale. Il est donc surprenant que le sommet sur le climat COP28 de Dubaï ait débouché sur un engagement historique à abandonner les combustibles fossiles. Même si la formulation était imprécise, l'implication la plus importante est une reconnaissance implicite que le déclin à long terme des combustibles fossiles est en cours. Pour les investisseurs à long terme, cela modifie la donne en ce qui concerne le secteur des combustibles fossiles, dont le déclin structurel au cours des 26 prochaines années semble plus certain, alors que le monde vise une économie nette zéro d'ici 2050.

L’Agence internationale de l’énergie1 prévoit un pic mondial de consommation de combustibles fossiles d'ici 2030, principalement en raison du ralentissement et du rééquilibrage de l'économie chinoise. En d’autres termes, la Chine n'a pas besoin d'autant d'acier et de ciment pour les stocks de logements ou d'infrastructures urbaines/de transport. Par conséquent, la prochaine phase de croissance chinoise devrait être moins gourmande en combustibles fossiles. L'AIE indique que chaque baisse de 1% de la croissance économique chinoise pourrait réduire la demande de charbon en 2030 d'un montant équivalent à la demande annuelle de l'Europe. Dans le même temps, en 2022, la Chine a implémenté autant d'énergies renouvelables que le reste du monde. En septembre 2023, 38% des voitures vendues en Chine étaient électriques, ce chiffre augmentant de mois en mois.

Est-ce le début de la fin pour les géants des combustibles fossiles et les sociétés de gestion qui leur sont associées? Ou bien est-ce le début d'une course à la baisse, chaque acteur cherchant à monétiser ses actifs dans le domaine des combustibles fossiles? La consolidation du secteur des combustibles fossiles cotés en bourse devrait se poursuivre, les valorisations étant de plus en plus déterminées par le rendement des dividendes. Il est attendu que les accords de pompage et de tarification de la «Petro-nation» soient mis à rude épreuve, les membres se désolidarisant pour répondre aux exigences du budget national.2

Stimulation de la croissance verte ou subvention des combustibles fossiles: l'exercice d'équilibre du siècle

Le Green Deal de l'UE et la loi américaine sur la réduction de l'inflation (IRA) apportent tous deux un soutien fiscal solide à long terme des deux côtés de l'Atlantique, mais leurs effets ne se sont pas encore totalement cristallisés. A ce jour, l'IRA a joué un rôle clé dans le développement de la «ceinture de batteries», qui s'étend du sud au Midwest des Etats-Unis. Cette région abrite 340 nouveaux projets d'une valeur estimée à 168 milliards de dollars, dont 50% sont axés sur les véhicules électriques et les batteries, et répartis entre l'énergie solaire, l'énergie éolienne, l'énergie nucléaire, le réseau électrique et le stockage. A l'échelle mondiale, les investissements dans les technologies de transition énergétique se sont élevés à 1,11 billion en 2022, grâce aux engagements de capitaux du secteur privé et des gouvernements. Les chiffres de 2023 devraient montrer une croissance d'une année sur l'autre.

Dans le même temps, les gouvernements ont également dû gérer l'impact de la hausse des coûts des combustibles fossiles sur l'inflation. Le FMI indique que le prix élevé des combustibles fossiles a poussé les gouvernements à fournir plus de 1,3 trillion de dollars de subventions explicites pour gérer le choc des prix de l'énergie à la consommation en 2022.3

L'un des textes les moins connus de l'accord de la COP28, mais non moins important dans ses implications, est l'appel à l'élimination progressive des «subventions inefficaces aux combustibles fossiles...».

La suppression des subventions sera politiquement impopulaire et, si elle n'est pas effectuée avec la prudence nécessaire, pourrait avoir des conséquences matérielles sur la sécurité énergétique, l'inflation et la stabilité sociale. De même, les gouvernements doivent trouver une marge de manœuvre budgétaire pour stimuler la croissance économique verte, ce qui n'est pas évident compte tenu des préoccupations liées à l'inflation. Pour compliquer encore les choses, l'impact physique du changement climatique commence à montrer une tendance inquiétante à long terme. Swiss Re a indiqué que les taux de réassurance contre les catastrophes naturelles n'ont jamais été aussi élevés depuis 20 ans. La demande de couverture a augmenté alors que les catastrophes naturelles continuent de causer des dommages matériels dans le monde entier, entraînant des pertes économiques mondiales de 275 milliards de dollars en 2022, dont 150 milliards n'étaient pas assurés. Swiss Re fait état d'une augmentation de 115% des pertes économiques dues aux catastrophes naturelles par rapport à la moyenne des 30 dernières années. L'augmentation des pertes non assurées supportées par les gouvernements risque d'alourdir des budgets déjà très serrés.

Si 2024 apporte sans aucun doute son lot de nouveaux défis pour la finance durable, les fondamentaux de la transition vers l'économie verte restent en place, avec peut-être une appréciation émergente de l'avantage géopolitique stratégique à long terme d'une économie décarbonisée et auto-alimentée.

 


1 IEA: World fossil fuel demand is set to peak by 2030 | World Economic Forum (weforum.org)
2 Angola quit OPEC to sustain oil production above 1MMbpd, top official states (worldoil.com)
3 MF Fossil Fuel Subsidies Data: 2023 Update

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