A contre-courant

Valérie Plagnol, Vision & Perspectives

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Alberto Alesina prônait une austérité bien comprise et bien menée.  A contre-courant aujourd’hui, sera-t-il bientôt dans le vent?

Y aura-t-il un «moment Alesina» comme il y eut un «moment Minsky1» lors de la crise de 2008? On peut le craindre, car la lutte contre la pandémie COVID-19 et ses conséquences économiques ont fait exploser les dépenses publiques dans bon nombre de nos pays qui connaissaient déjà des niveaux de dette alarmants. Certains vont se trouver confrontés désormais au problème de la soutenabilité de leur dette.

Stabilisateurs automatiques, mesures de soutien aux plus fragiles, aux systèmes de santé et aux secteurs touchés, ont été les priorités de tous les pays concernés. A cela se sont ajoutées des mesures bienvenues de solidarités internationales. L’urgence commande, certes, mais qui en avait les moyens?

Alors que se dessine une reprise pour le moins progressive et erratique, le spectre de l’austérité budgétaire se profile à l’horizon. Une perspective tellement «hideuse» que tant de voix s’élèvent déjà pour proposer toutes sortes de remèdes aussi simples que dangereux2.

C’est l’occasion pour nous de revenir sur les travaux de l’économiste Alberto Alesina3, à qui nous voulons rendre hommage. Spécialiste de finances publiques, le professeur Alesina, titulaire entre autres, de la chaire d’économie politique, Nathaniel Ropes, de l’Université de Harvard, s’inscrit depuis bien des années à contre-courant des théories dominantes dans ce domaine.

Les réductions de dépenses publiques causent moins de dégâts
et s’avèrent plus durables et efficaces que les hausses d’impôts.

Pourquoi l’austérité? Premier constat, s’ils agissaient toujours comme ils le devraient, les Etats n’auraient guère à y recourir, affirme d’emblée l’auteur. Car une saine gestion publique consiste à ménager – à contrecycle – des marges de manœuvres budgétaires lorsque l’économie se porte bien pour faire face et soutenir l’économie en période de crise. La dette qui s’accumule résulte alors de mauvais choix de politique économique. Comment ne pas évoquer l’étonnante baisse d’impôts de 2017 décidée par la Président Trump alors que l’économie était au plein emploi? Et puis il y a les circonstances exceptionnelles qui s’imposent à tous. Hier les Etats s’endettaient pour faire la guerre, aujourd’hui c’est pour lutter contre la pandémie.

Quelle austérité alors? Certainement pas n’importe laquelle. En étudiant les implications macroéconomiques de la consolidation budgétaire, Alberto Alesina et ses collègues concluent que les réductions de dépenses publiques causent moins de dégâts et s’avèrent plus durables et efficaces pour l’économie que les hausses d’impôts. La principale conclusion de ces recherches, qui portent sur un éventail large de données sur plus de 30 années pour les pays membres de l’OCDE, est que les politiques d’ajustement des dépenses et de contrôle des transferts publics ont un impact économique négatif bien moindre que les politiques d’augmentation de la fiscalité, qui tendent à réduire durablement les capacités de production d’un pays.

L’austérité budgétaire bien comprise et cohérente
ne compromet pas forcément les chances de réélection.

A l’appui de sa thèse, il avance plusieurs raisons: les effets de richesse induits par la réduction des dépenses publiques compensent leurs effets négatifs immédiats et souvent de court terme. Leur ciblage plus fin les rend plus efficace et évite les rentes de situations ou les accaparements indus. La progression permanente des hausses d’impôt crée des distorsions d’offre, dans un contexte de rigidité des prix. Il en résulte alors une augmentation constante du chômage. Le gonflement de la dette, la crainte d’un recours permanent à l’impôt pour palier ces défaillances, ne fait que renforcer le comportement Ricardian des ménages, prompts à épargner et non à consommer ou investir. Enfin, et cela en surprendra plus d’un, les études des auteurs montrent que loin de condamner les gouvernants à la défaite électorale, l’austérité budgétaire bien comprise et cohérente ne compromet pas forcément leurs chances de réélection.

Force est de constater que la spirale budgétaire qui s’est installée dans beaucoup de nos économies développées, et ce depuis de nombreuses années, n’a pas généré plus de croissance, ni soutenu l’investissement. Alors que le gouvernement de Shinzo Abe lance un énième et gigantesque plan de relance (au moins sur le papier) et dont la Banque Centrale est devenue le financier, on ne voit pas pourquoi celui-ci fonctionnerait mieux que les précédents, qui sont loin d’avoir redynamisé le Japon ces dernières années.

Le professeur en convenait, ses conclusions portent sur les quelques années qui suivent la mise en œuvre de telles politiques et ne peuvent évaluer l’avenir plus lointain. De même, il savait bien que sa seule démonstration ne mettrait pas un terme au débat.  Le terme d’austérité n’était-il pas d’ailleurs une provocation de sa part?  Face à ceux qui affirment qu’il y a une «bonne et une mauvaise dette», Alberto Alesina prônait, quant à lui, la bonne face à la mauvaise austérité.

Le temps n’est-il pas venu de s’y employer?

 

1 Du nom de Hyman Minsky, économiste, spécialiste des crises financières. Le moment Minsky marque le point de retournement où les investisseurs surendettés passent de l’euphorie à la panique.
2 Notre précédent article «La monnaie magique» 2 juin
3 Alberto Alesina, 1957 – 2020 https://scholar.harvard.edu/alesina/biocv

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