Contrôle ou contagion? Les taux élevés pèsent sur les banques

Stéphane Monier, Lombard Odier

4 minutes de lecture

Les problèmes du secteur bancaire illustrent la façon dont l’économie réelle réagit au cycle de resserrement monétaire de la Fed.

Points clés
  • Les turbulences du secteur bancaire s’inscrivent dans un contexte de remontée des taux d’intérêt et de resserrement des conditions financières
  • Les autorités ont réagi rapidement et de manière décisive afin de contenir les tensions sur les marchés financiers. Les banques centrales ont annoncé une action coordonnée afin de soutenir la liquidité mondiale
  • De manière générale, les banques semblent mieux capitalisées qu’avant la crise financière mondiale de 2008. Le ralentissement de la croissance des prêts pèsera sur l’activité économique, avec un possible impact désinflationniste
  • Nous maintenons un positionnement de portefeuille équilibré et avons récemment augmenté les allocations aux liquidités. Nous suivons de près l’évolution de la situation.

Le 19 mars, à la suite de plusieurs faillites de banques américaines et de la détérioration du sentiment de marché, un accord d’urgence a été conclu pour vendre Credit Suisse à sa concurrente UBS. Certes, il est trop tôt pour prédire si cet accord rétablira la confiance des marchés, mais l’environnement actuel semble très différent de celui qui a précédé la crise financière de 2008.

La succession d’événements qui ont secoué système bancaire a commencé le 10 mars avec la faillite de la Silicon Valley Bank (SVB), basée en Californie. Le 8 mars, Silvergate, un prêteur spécialisé dans le secteur des cryptomonnaies, avait annoncé qu’il mettrait fin à ses activités bancaires. Le 12 mars, la Signature Bank, basée à New York, a fait faillite à la suite d’un retrait massif de dépôts. Le 17 mars, les actions de la First Republic, basée à San-Francisco, ont continué à chuter, malgré le soutien de la Réserve fédérale (Fed) et de onze grandes banques. En Europe, le cours de l’action Credit Suisse a dévissé, malgré une injection de liquidités de CHF 50 milliards par la Banque nationale suisse (BNS), ce qui a abouti le 19 mars au sauvetage organisé par la BNS et la Confédération.

Ce n’est pas un remake de 2008

Ces développements s’inscrivent dans un contexte général de remontée des taux d’intérêt et de resserrement quantitatif, ce qui se traduit par un durcissement des conditions financières. Cela dit, la situation actuelle semble très différente de celle qui régnait début 2008, alors que la crise financière mondiale couvait. Les banques disposent de réserves de capitaux plus importantes, en particulier les grandes banques, pour lesquelles les exigences en matière de fonds propres ont été considérablement relevées après la crise financière mondiale. La réglementation a été renforcée et les régulateurs ont tiré des enseignements sur l’importance d’une action rapide et décisive.

De portée mondiale et de nature complexe, l’accord entre UBS et Credit Suisse a ainsi été décidé en un week-end. Le Trésor américain, la Fed et la Federal Deposit Insurance Corporation ont rapidement garanti tous les dépôts dans les banques américaines en faillite et offert à l’ensemble des banques une facilité de prêt couverte par des actifs valorisés à la valeur nominale, ce qui signifie que tout prêteur ayant besoin de liquidités n’aurait pas à éroder son capital en vendant des titres à perte. Il y a quinze ans, puis à nouveau pendant la crise de la dette souveraine européenne, les régulateurs ont imposé des décotes sur les actifs détenus par les institutions souhaitant accéder aux plans de sauvetage. L’autre différence notable par rapport à 2008 est que les indicateurs de « crise », tels que les conditions de prêt interbancaire, restent relativement sains et que, pour la plupart des banques, les spreads des Credit Default Swaps – le montant annuel que les détenteurs doivent payer pour s’assurer contre le risque de défaillance de la dette d’une banque – se sont écartés, mais pas à des niveaux indiquant que les marchés anticipent un problème plus profond.

Recul des bénéfices, durcissement des conditions de prêt

Même en tenant compte de tous ces facteurs, il est trop tôt pour dire si les problèmes ont été circonscrits. Le modèle d’affaires des banques repose sur la confiance, et l’effondrement soudain de la SVB témoigne de la rapidité avec laquelle un retrait massif des dépôts bancaires peut se matérialiser, en partie due aux réseaux sociaux et à la possibilité de transférer des dépôts d’une banque à l’autre en ligne en quelques clics.

Il semble également trop tôt pour en prédire les implications pour les banques et l’économie américaine au sens large. De nombreux clients transfèrent leurs dépôts d’institutions plus petites vers les grandes banques américaines, perçues comme plus sûres. Les banques de petite et moyenne taille pourraient être incitées à offrir des taux d’intérêt plus élevés pour conserver leurs déposants ou pour les attirer. Ou alors rechercher d’autres sources de financement plus coûteuses. Aucune de ces solutions ne favorisera la rentabilité.

Les événements récents augmentent également la probabilité d’une extension à tous les prêteurs américains des exigences en matière de fonds propres imposées aux grandes banques, ce qui réduira encore leur rentabilité. Les marchés exigent déjà un coût des fonds propres plus élevé tenant compte de cette baisse de rentabilité. Étant donné son impact sur leurs bénéfices, les banques risquent à leur tour de resserrer les normes de prêts et d’octroi de crédit, ce qui réduira encore les emprunts des consommateurs et des entreprises. Cette situation aurait un effet désinflationniste et ralentirait la croissance économique.

D’une manière générale, cependant, la plupart des banques européennes et britanniques opèrent dans des conditions très différentes de celles de leurs paires américaines. La plupart d’entre elles profitent toujours de l’augmentation de la rentabilité due à la remontée des taux, alors que pour de nombreuses banques américaines, cet avantage s’est désormais estompé. Les banques de la région affichent un ratio moyen de couverture de liquidités (Liquidity coverage ratio ou LCR) compris entre 140 % et plus de 160 %, alors que l’exigence minimale est de 100 %. Le LCR est conçu pour garantir que les banques détiennent une réserve suffisante d’actifs liquides de haute qualité pour faire face à une période de stress important et à des sorties potentielles de dépôts d’une durée de 30 jours. En outre, leurs dépôts sont moins concentrés. De plus, leurs portefeuilles de titres sont généralement plus modestes et bénéficient souvent d’une couverture contre les fluctuations adverses des taux d’intérêt. Malgré cela, la confiance des déposants reste déterminante.

Alors que les investisseurs examinent les risques qui pèsent sur le secteur bancaire mondial, les banques chinoises opèrent dans un environnement très différent. Elles attireraient même des dépôts grâce à leur stabilité perçue. De nombreuses banques chinoises appartiennent à l’État et la politique monétaire reste accommodante, avec des réglementations qui facilitent les prêts bancaires et l’émission d’obligations. Les prêts non performants des entreprises de certains secteurs restent leur principal problème, mais l’économie chinoise bénéficie d’une forte reprise.

Trop tôt pour se prononcer

Les problèmes du secteur bancaire illustrent la façon dont l’économie réelle réagit au cycle de resserrement monétaire de la Fed. Le risque est que le resserrement des conditions financières et la diminution des liquidités qui en résulte amplifient des vulnérabilités non encore identifiées sur d’autres marchés. Pour apaiser ces inquiétudes, la Fed et les autres grandes banques centrales, dont la Banque centrale européenne, la BNS, la Banque d’Angleterre, la Banque du Canada et la Banque du Japon, ont annoncé une action coordonnée pour renforcer la liquidité mondiale.

Afin d’évaluer l’impact de cette situation sur les marchés, nous nous concentrons sur plusieurs indicateurs : premièrement, les indicateurs de contagion, notamment le marché de la dette convertible contingente émise par les banques - très affecté par les récents développements - ainsi que les mesures de stress sur les marchés monétaires, et l’évolution des cours des titres bancaires. Deuxièmement, l’utilisation des facilités de liquidité introduites par les banques centrales ; le nouveau programme de financement de la Fed a déjà été largement utilisé. Et enfin, l’impact sur la future politique monétaire, et notamment sur la question de savoir si les banques centrales continueront à relever leurs taux. La prochaine réunion de la Fed, le 22 mars, donnera le ton.

En ce qui concerne les marchés boursiers, nous estimons que le S&P 500 terminera l’année 2023 autour de son niveau actuel de 3 900. Toutefois, face aux risques de récession, nous voyons une probabilité accrue que l’indice tombe à 3 200. Dans ce contexte, nous maintenons un positionnement de portefeuille équilibré et avons récemment augmenté les liquidités. Nous continuons à suivre de près l’évolution de la situation et, si nécessaire, à ajuster notre allocation d’actifs.
 

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