Les avis quant à la politique monétaire divergent de plus en plus.
Lorsque vous lirez ces lignes que j’ai rédigées hier, la décision prise aujourd’hui par la BNS sera peut-être déjà connue. Les semaines qui l’ont précédée ont été au moins aussi passionnantes que la décision de ce jour. Il est intéressant de les passer en revue, car certains acteurs du marché ont laissé libre cours à leur fantaisie. Je n’ai pas souvenir que la situation ait jamais été aussi chaotique à la veille d’une décision de politique monétaire prise par nos autorités. Et une chose saute aux yeux: les avis quant à la politique monétaire divergent de plus en plus. La situation n’est pas simple pour l’avenir et ne devrait pas non plus épargner la BNS.
Procédons donc à une brève rétrospective. Après l’annonce verbale par le président de la BCE d’une nouvelle baisse des taux d’intérêt et du lancement d’un nouveau programme de rachat de titres, les marchés financiers ont littéralement déraillé. L’euro a plongé face au dollar et au franc suisse et même les taux d’intérêt sont tombés en chute libre, dans le sillage de la force de gravité verbale de Mario Draghi. Le rallye des obligations en CHF a été particulièrement extrême. La formule simple des marchés était la suivante: la BCE affaiblit l’euro, sans doute même massivement et la BNS va (devoir) suivre. Ils ont intégré cette formule à la vitesse de l’éclair, de sorte que les rendements des obligations de la Confédération à dix ans sont tombés en dessous de moins un pour cent et que le taux de change euro/franc s’est rapidement rapproché de son nouveau plus bas annuel de 1,08. Lorsque Mario Draghi a finalement levé le voile jeudi dernier sur les mesures engagées qui n’ont finalement pas été aussi loin qu’annoncé, la réaction contraire a été tout aussi violente. Le cours CHF/EUR a progressé à 1,10 francs et l’euro s’est également négocié à plus de 1,10 pour un dollar US. La situation a donc aussi rapidement évolué pour la BNS. Avec un cours de l’euro de 1,08 et des rendements nettement inférieurs à moins un pour cent, le directoire de notre banque centrale a du se sentir plutôt mal à l’aise. Dans la situation qui prédominait jusqu’à hier avec un taux de change de 1,10 et une baisse qui n’était «plus» que d’un petit demi-pour cent, les responsables de la BNS se sont sans doute sentis un peu mieux. Quels enseignements pouvonsnous à présent tirer de ces excès survenus en l’espace d’un mois?
Commençons par une évidence. Le pouvoir de la politique monétaire sur les marchés financiers est toujours aussi fort. Chaque mot prononcé par les responsables des banques centrales est minutieusement analysé. Tout adjectif en plus ou en moins dans une déclaration de politique monétaire donne tout de suite lieu à une tentative d’interprétation pour essayer de retrouver un nouvel équilibre sur le marché dans un véritable processus de tâtonnement. Autrefois l’interprétation des déclarations de politique monétaire était aussi un processus complexe, mais il n’a jamais été aussi extrême, avec plusieurs changements de signe, qu’au cours de ces quatre dernières semaines. Qui plus est, il n’a jamais été plus évident que les marchés négociaient avant tout des attentes et pas nécessairement des faits. Or, ces attentes peuvent tourner aussi vite que le vent. Ainsi, à la fin de la semaine dernière, un abaissement des taux par la BNS à -1% était encore une cause entendue, avant-hier cette baisse des taux avait de nouveau été complètement intégrée et hier elle l’était pratiquement encore. Le taux de change avec l’euro ayant pu être maintenu à plus de 1,10, la pression sur la BNS s’est sensiblement relâchée.
Le revirement est-il imminent? Sans doute Monsieur Jordan ne savait-il pas encore luimême hier ce qu’il annoncerait aujourd’hui, afin de ne se fermer aucune option en fonction de la situation prédominante sur le marché. Mais la situation du marché ne devrait pas avoir été la seule source de préoccupation de la BNS. Il devrait en être de même des réactions potentielles dans le public, mais aussi dans les milieux politiques. Car le soutien à la reprise inconditionnelle des prescriptions de la BCE faiblit sensiblement. Et ce ne sont plus depuis longtemps que quelques acteurs du marché qui doutent de l’efficacité de la politique de taux négatifs et attirent l’attention sur les effets secondaires de plus en plus manifestes. Cette semaine, nous pourrions donc encore apprendre une autre nouvelle significative: la relativisation de l’argument du différentiel de taux défendu jusqu’ici avec stoïcisme. Cela constituerait en effet un revirement de la politique monétaire et même un changement de paradigme.