Dans le pays où l’on a comptabilisé les abeilles à une époque, la transparence est la base la plus importante des analyses objectives. Du moins sur le papier.
A l’époque, je voyais tous les jours des hélicoptères tournoyer le long de la côte toscane. Longtemps, j’en ignorais la raison jusqu’à ce que des habitants m’informent qu’il s’agissait d’hélicoptères de l’administration italienne des finances à la recherche de constructions illégales. Comment? En Italie, les contraintes administratives sont prises un peu moins au sérieux qu’ailleurs dans le monde. Les constructions abusives y sont en effet une sorte de sport national. Aujourd’hui encore, un agrandissement discret du logement grâce au déplacement d’une ou deux cloisons ou la construction d’un étage supplémentaire sont considérés comme une peccadille. En 1994 et en 2003, Silvio Berlusconi a décrété des amnisties qui ont permis de légaliser les constructions abusives du jour au lendemain. Il savait sans doute que c’était une solution plus simple que la démolition qui n’était de toute façon effective que sur le papier. Car sur 16'500 constructions illégales qui auraient dû être démolies au cours des quinze dernières années, seules 500 ont apparemment tâté de la boule de démolition. Ces chiffres devant de toute façon être maniés avec prudence. Les statistiques et l’Italie ne font en effet guère bon ménage.
En Suisse, nous sommes un peu plus pointilleux. Dans le pays où l’on a même comptabilisé les abeilles à une époque (pour des raisons évidentes, ce serait d’ailleurs une bonne chose de recommencer aujourd’hui), la transparence est la base la plus importante des analyses objectives. Du moins sur le papier. Il arrive pourtant qu’il soit difficile de garder une vue d’ensemble, même en Suisse. Les chiffres récemment publiés à propos de la croissance économique suisse au deuxième trimestre de cette années seront par exemple déjà de l’histoire ancienne dans trois mois, parce qu’ils seront alors révisés et encore, ce ne sera pas la dernière fois.Pour que les citoyens suisses connaissent définitivement l’ampleur de la progression de l’économie en 2019, ils devront patienter jusqu’à l’été 2020. Mais à cette date, cela ne les intéressera plus guère, d’autant que les données publiées ne seront alors toujours pas totalement définitives. La conjoncture évolue donc plus ou moins à l’aveugle, le rythme est souvent incertain et on peut déjà s’estimer heureux quand on a au moins une idée de la direction.
Le dénombrement fédéral des logements vacants, qui est désormais disponible pour chaque commune de Suisse, vient juste de paraître. Il y a un an, cette statistique a fait grand bruit dans les médias. Qui plus est, elle a même effrayé les autorités de surveillance qui ont été contraintes de mettre le marché en garde et de le ramener à la raison. Les banques se sont alors elles-mêmes imposé une réglementation lors du financement des immeubles de rapport, que l’Autorité fédérale de surveillance des marchés financiers vient tout juste d’approuver. C’est sans doute aussi la raison pour laquelle la publication des données lundi dernier a fait moins de bruit qu’il y a un an. Cela fait longtemps que les chiffres ont perdu leur caractère explosif et alors qu’il était déjà question de villes fantômes l’an dernier, les comptes rendus dans les médias manquaient également de substance. Les données ne sont pourtant pas sans surprises. Commençons par les chiffres bruts. Le 1er juin 2019, la Suisse comptait 75'323 logements vacants, soit 1,66% du parc immobilier global, comme l’indique le communiqué de presse de l’Office fédéral de la statistique. On est d’abord surpris par la hausse plutôt modeste par rapport à l’année précédente. Le taux de logements vacants a seulement progressé de 1,62% à 1,66%. Même si cela représente près de 5% de logements vacants en plus, tout le monde s’attendait à une augmentation plus importante. C’est la raison pour laquelle, les chiffres sont passés pratiquement inaperçus aux yeux du public. C’est d’ailleurs une bonne chose, car une seule statistique ne suffit pas à expliquer la structure du marché. C’est le tableau d’ensemble qui importe.
Pour calculer le taux de logements vacants, il faut non seulement saisir les logements vacants à la date de référence dans numérateur de la fraction, mais aussi connaître le parc immobilier global, autrement dit le dénominateur. Malheureusement, ni le numérateur ni le dénominateur ne sont au-dessus de tout soupçon. Il arrive régulièrement que les communes fournissent des chiffres erronés à l’Office fédéral, des chiffres totalement erronés même, pour quelque raison que ce soit. Il y a deux ans, Wangen bei Olten a revu son annonce initiale de 10,44% de logements vacants à la baisse de plus de 50%, ce qui était encore beaucoup, mais on était plus proche du malheur que de la catastrophe. En 2013, des communes du canton de Nidwald ont annoncé des données erronées. Ces annonces sont sans doute rarement intentionnelles. La plupart du temps, les données recueillies sont incomplètes et les méthodes varient. Voici ce qu’on peut dire du numérateur. Le dénominateur est également critique, car il recèle lui aussi des impondérables et bondit parfois de façon inexplicable. Les variations du parc immobilier global connaissent de fortes fluctuations. En 2017, il y a eu une progression de 68'983 logements, un accroissement miraculeux, contre «seulement» 48'669 logements en 2018, soit près de 30% de moins. A l’heure actuelle, en 2019, le parc compte 59'404 nouveaux logements. La base fluctue fortement et les chiffres doivent donc être interprétés avec une prudence extrême. Surtout, ils ne doivent jamais être sortis de leur contexte. Un tableau à peu près plausible n’est obtenu qu’en combinaison avec les données de l’offre, telles que les permis de construire et les demandes de permis, l’activité de construction ou la réserve de travail dans le bâtiment et avec les données de la demande, par exemple la croissance démographique ou des revenus.
La situation est alors à peu près la suivante:
Petit bilan en cinq points
- Les logements vacants ne constituentpas un problème sur le marché de la propriété du logement.
- L’offre est excédentaire pour les logements locatifs, mais uniquement là où la demande a été surévaluée. Notamment dans les régions périphériques que les investisseurs ont dépeintes avec beaucoup d’imagination comme des communes attrayantes pour les pendulaires, alors qu’en réalité elles ont été mises en avant, parce qu’elles possèdent encore des terrains constructibles (abordables).
- Les centres attrayants et véritablement recherchés manquent toujours de logements. Dans les cantons de Zoug, Genève, Obwald ou Zurich, le taux officiel de logements vacants est inférieur à 1%. On pourrait presque parler de déficit de logements, voire de pénurie dans certaines villes.
- Le marché réagit, les signaux sous forme de durée de commercialisation prolongée ou de concessions lors de la location sont parfaitement pris au sérieux.
- Nous ne sommes pas dans un cycle du porc, mais le marché réagit lentement et compte une distance de freinage extrêmement longue. D’autant qu’il vient juste de lever le pied de l’accélérateur.