Budget carbone mondial et implications pour les investisseurs

Jan Amrit Poser, J. Safra Sarasin

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De nouveaux secteurs d’activités à bilan carbone positif verront le jour afin de compenser les émissions de carbone restantes.

Nous sommes encore loin de la pénurie d’énergies fossiles…

Dans les années 1970, les scientifiques du «Club de Rome» prévoyaient que les limites de la croissance seraient bientôt atteintes. Leur argumentaire reposait sur la finitude des stocks d’énergies fossiles, et donc de la croissance d’une économie reposant sur ces dernières. Une fois les réserves consumées, la croissance devait cesser, puisque ce carburant n’était pas renouvelable.

Le facteur limitant des énergies fossiles n’est pas leur finitude,
mais la capacité d’absorption de l’atmosphère terrestre.

Depuis cet avertissement, toutefois, l’exploitation de nouveaux gisements de pétrole et de gaz a permis de repousser de quelque 400 ans l’échéance du scénario de l’épuisement des ressources, d’une part, tandis que le revirement structurel en faveur des services a fortement réduit l’intensité carbone de la croissance économique, d’autre part, ce qui signifie que les réserves d’énergies fossiles pourraient même durer encore plus longtemps. Doit-on en déduire qu’il ne s’agissait que d’un accès de panique? La réponse est non, car le facteur limitant des énergies fossiles n’est pas leur finitude, mais la capacité d’absorption de l’atmosphère terrestre. 

…mais nous ne devons pas pour autant épuiser le budget carbone qui nous reste

Nous savons qu’il existe un lien direct entre les gaz à effet de serre (GES) émis par l’homme et la hausse de la température mondiale par rapport à l’ère préindustrielle. Si les émissions augmentent, les températures augmentent également. Ainsi, pour chaque quantité de gaz à effet de serre émise, le GIEC calcule une température probable. Le réchauffement de la planète atteint déjà environ 1°C. Afin de limiter la hausse de la température à 1,5°C, le GIEC estime que nous ne pourrons émettre que 300 gigatonnes (Gt) de CO2e au total. C’est ce que l’on appelle le «budget carbone» qui nous reste. Au rythme actuel, il ne durera plus que sept ans. Mais moins nous émettons aujourd’hui, plus le budget perdurera.

Part du charbon dans la production totale d’énergie, en %

Source: Refinitiv, J. Safra Sarasin, 15.02.2021 

 

Quelles sont les implications du budget carbone?

Ce budget suppose de réduire drastiquement les émissions de CO2. S’il existe de nombreux moyens d’y parvenir, il est généralement admis que l’humanité doit viser la neutralité carbone d’ici 2050. Cela signifie que la quantité de carbone émise devra être totalement absorbée, ce qui est très ambitieux. La bonne nouvelle, c’est que de plus en plus de pays s’engagent à respecter l’accord de Paris en se fixant des objectifs concrets. Un grand nombre, notamment le Japon, le Royaume-Uni et la Suisse, ont annoncé l’année dernière qu’ils réduiraient leurs émissions nettes de gaz à effet de serre à zéro d’ici 2050. Même la Chine, l’un des plus grands émetteurs de GES, vise à atteindre la neutralité d’ici 2060. La nouvelle administration américaine a annoncé qu’elle intensifierait ses efforts en vue d’un pacte vert. L’UE relève son objectif de réduction, de 40% à 55% d’ici 2030.

Part des énergies renouvelables dans la production totale d’énergie, en %

Source: Refinitiv, J. Safra Sarasin, 15.02.2021 

 

Qu’implique le budget carbone pour les investisseurs?

Ces annonces seront suivies d’un renforcement des réglementations, taxes, pénalités et incitations. Ceci est de mauvais augure pour le secteur des combustibles fossiles. Les réserves connues de gaz, de pétrole et de charbon fossiles dépassent de loin le budget carbone. Si l’on y ajoute les réserves présumées mais encore inexploitées, les émissions potentielles de CO2e atteignent près de 3’000 Gt. 

Le risque lié aux «actifs abandonnés» est un problème
pour les sociétés mais aussi pour les investisseurs.

Mais si, conformément aux objectifs climatiques, seulement 300 Gt environ peuvent être émises, le reliquat de réserves perdra de sa valeur très prochainement. Ces réserves seront abandonnées. Et avec elles, les centrales, bateaux, avions et camions qui les consomment ainsi que les sociétés qui les fabriquent. 

Quel est le risque pour les investisseurs?

Le risque lié aux «actifs abandonnés» est un problème pour les sociétés mais aussi pour les investisseurs. Au cours des prochaines années, ces titres pourraient être fortement décotés. Selon CarbonTracker, 26’000 milliards de dollars de capitalisation boursière sont menacés au total. Ces experts affirment depuis longtemps que les actifs abandonnés représentent une bulle de carbone prête à éclater. Préoccupé par cette perspective, le Conseil de stabilité financière mondiale, présidé par Mark Carney, ancien gouverneur de la Banque d’Angleterre, a tout mis en œuvre pour accroître le niveau d’information disponible sur les expositions liées au climat, en encourageant les entreprises à les communiquer. L’analyse de la performance des actions énergétiques au cours des dix dernières années fait apparaître que la bulle s’est déjà progressivement dégonflée. Le secteur de l’énergie, essentiellement fossile, a sous-performé l’indice MSCI World d’environ 75% au cours des dix dernières années. Et cette sous-performance devrait perdurer.

Le secteur de l’énergie accuse depuis 10 ans un retard sur l’ensemble du marché

Source: Refinitiv, J. Safra Sarasin, 15.02.2021

 

Comment les investisseurs doivent-ils se positionner?

Alors que la bulle du carbone se dégonfle et que les actifs fossiles sont abandonnés, d’énormes opportunités devraient se présenter pour les investisseurs. L’introduction de taxes sur le carbone et de systèmes de plafonnement et d’échange de droits d’émission favorisera la transition structurelle vers une économie mondiale neutre en carbone d’ici 2050. 

De nouveaux secteurs d’activités à bilan carbone positif – captage et stockage du carbone, sylviculture et préservation des sols – verront le jour afin de compenser les émissions de carbone restantes. D’autres secteurs utiliseront des technologies afin de remplacer ou stocker le carbone. De plus en plus de bâtiments seront ainsi construits avec du bois pour stocker le CO2. Les entreprises diversifieront leurs activités afin d’avoir un bilan neutre ou positif en carbone. Les investisseurs peuvent en tirer profit en choisissant ces champions de demain. Dans le même temps, ils doivent éviter les actifs abandonnés tout en réduisant l’empreinte carbone afin de protéger les portefeuilles contre l’inévitable transition climatique.

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