Brexit sans accord et banques britanniques

Aabid Hanif, Indosuez Wealth Management

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Les perspectives des banques britanniques sont négatives car elles demeurent les plus vulnérables dans l’éventualité d’un Brexit sans accord.

© Keystone

L'élection de Boris Johnson à la tête du Parti conservateur britannique, puis au poste de Premier ministre du Royaume- Uni, accroît le risque d'un Brexit sans accord. Compte tenu de la situation actuelle et des impacts sectoriels, les perspectives des banques britanniques sont incontestablement négatives car elles demeurent les plus vulnérables dans l’éventualité d’un Brexit sans accord. Fondamentalement, les banques britanniques sont bien positionnées en matière de fonds propres, de financement et de liquidité, mais elles sont susceptibles de souffrir si les marchés de gros devaient être perturbés pendant une longue période.

Après le référendum de 2016, l’un des enjeux clés pour les banques britanniques a concerné le passeport financier, autrement dit leur capacité à servir les clients de l'Union Européenne (UE) dans n'importe quelle juridiction de l'UE. En raison d’une préparation au cas le plus défavorable, peu d’acteurs de l'industrie ont supposé que les banques britanniques continueraient de bénéficier du passeport financier après le Brexit. La plupart des banques britanniques mettent en oeuvre un plan de secours pour le Brexit visant à s'établir dans l'UE par le biais de fusions transfrontalières ou, le cas échéant, de créations d'entités agréées supplémentaires. Cependant, pour nombre des grandes institutions, cela pose moins de problèmes car elles disposent déjà de filiales importantes en Europe continentale, à partir desquelles elles peuvent continuer à servir leurs clients européens.

Les banques moins diversifiées s’avèrent plus vulnérables
aux remous provoqués par un Brexit sans accord.

Un Brexit sans accord entraînerait une perturbation substantielle des perspectives économiques et commerciales du Royaume-Uni, au moins à court terme. Un Brexit sans accord aura sans aucun doute un effet négatif sur la croissance économique. Une récession de la même ampleur que celle observée au Royaume-Uni au début des années 1990, lorsque le PIB réel a reculé de 2% sur une période de six trimestres, constitue une base de comparaison raisonnable pour évaluer les tensions macroéconomiques potentielles. Cela étant dit, un Brexit sans accord susciterait une politique budgétaire et monétaire visant à atténuer son impact négatif sur les perspectives macroéconomiques. Dans son rapport trimestriel sur l'inflation, le Comité de politique monétaire de la Banque d'Angleterre a révisé à la baisse ses prévisions de croissance pour l’année en cours et la suivante, à 1,3% contre une estimation antérieure de 1,5%, ce qui constituerait la plus faible expansion économique depuis 2012.

Par rapport à leurs homologues européennes, les banques britanniques seront probablement les plus vulnérables dans un scénario de Brexit sans accord. Cependant, même un ralentissement macroéconomique sévère, entraînant une hausse des faillites d'entreprises et un affaiblissement des garanties, ne nuirait à la qualité des actifs bancaires et aux bénéfices et fonds propres des banques qu’après un certain temps. Le ralentissement de la croissance économique et la montée du chômage entraîneront probablement une augmentation des pertes sur créances et se traduiront inévitablement par des tensions sur les segments du crédit aux particuliers et du crédit commercial.

Il convient de distinguer les différents types de banques susceptibles d’être affectées. Au Royaume-Uni, les banques moins diversifiées, les banques plus exposées à des secteurs hautement cycliques, ou encore celles qui ciblent des emprunteurs ou des entreprises appartenant à des marchés de niche, s’avèrent plus vulnérables aux remous provoqués par un Brexit sans accord que leurs concurrentes plus importantes et plus diversifiées (par produit et géographiquement). Ainsi, les répercussions économiques négatives d'un Brexit sans accord pourraient toucher plus sévèrement les petits prêteurs nationaux, les banques de taille moyenne et les établissements de financement immobilier, qui se concentrent sur la banque de détail ou les prêts immobiliers au Royaume-Uni.

Les effets néfastes d'un Brexit dur mettront certainement les modèles
économiques des établissements à rude épreuve.

Il convient également d’évaluer l’impact éventuel d’un Brexit sans accord sur les marchés de gros. Une déstabilisation des marchés de gros pèserait sur le secteur dans son ensemble. L'élargissement des spreads ou la perturbation du financement pour les banques et les autres entreprises britanniques pourraient s’avérer plus graves si le marché percevait une dégradation du risque souverain britannique (en cas de Brexit sans accord, la note des emprunts d’État serait probablement abaissée par les agences de notation).

Quelle serait la résilience du secteur bancaire britannique en cas de crise significative? Le 28 novembre 2018, la Banque d'Angleterre a publié les résultats annuels des tests de résistance pour les banques britanniques. Ces résultats ont montré que le système bancaire était résilient face à des récessions profondes frappant simultanément le Royaume-Uni et l’économie mondiale, s’avérant globalement plus sévères que la crise financière mondiale d’il y a 10 ans et s'accompagnant en outre d'une forte baisse des prix des actifs et de difficultés liées au coût de la fraude. Malgré des taux de pertes comparables à ceux de la crise financière mondiale, le ratio global de fonds propres CET1 des grandes banques britanniques après la crise hypothétique serait encore deux fois supérieur à celui observé avant la crise de 2008. Toutes les banques participantes sont restées au-dessus des ratios critiques de solvabilité (CET1 et Tier 1).

Malgré les répercussions d’une absence d’accord sur les banques britanniques, nous estimons que leurs profils financiers demeureront robustes et permettront d’amortir d’éventuels effets négatifs. Cette appréciation repose sur la qualité des actifs et les profils de financement et de liquidité solides des banques britanniques, mais aussi sur les tests de résistance de la Bank of England (BoE). Les notes de crédit de la majorité des banques du Royaume-Uni se situant dans la catégorie investment-grade, ces dernières sont en mesure de faire face à des récessions modérées. D'autres secteurs bancaires en Europe pourraient également souffrir d’une absence d’accord, notamment au sein d’économies ouvertes comme l'Irlande, la Belgique ou les Pays-Bas, mais nous considérons que les banques de ces pays s'adapteront mieux aux conséquences négatives.

Quelle que soit la résilience du secteur bancaire britannique, les effets néfastes d'un Brexit dur, conjugués aux pressions résultant d'un ralentissement économique mondial, mettront certainement les modèles économiques des établissements à rude épreuve.

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