Avons-nous vu le plancher sur les rendements obligataires?

François Savary, Prime Partners

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Tout se passe comme si les investisseurs mettaient l’accent sur le moyen terme et non sur l'incertitude de court terme.

Les taux longs américains connaissent, depuis quelques semaines, une tension qui est loin d’être anodine, malgré des chiffres de contaminations à la COVID-19 particulièrement inquiétants aux USA et en Europe. Alors que la première vague de la pandémie avait clairement profité aux marchés obligataires et à leur statut de valeur refuge, la seconde ne produit pas les mêmes effets. Certes, les niveaux de rémunération très faible offerts par ces actifs ont de quoi refroidir les investisseurs, mais il ne faut pas oublier que les gardiennes du Temple, les banques centrales pour ne pas les citer, restent toujours en embuscade pour se porter acquéreurs de la dette gouvernementale.

Pourtant, nous avons vu les rendements du bon du trésor américain à 10 ans se rapprocher dangereusement de la barre des 1%.La faute est clairement imputable à deux développements: les perspectives d’un énorme plan de stimulation fiscale en cas de victoire confirmée de Joe Biden dans un premier temps et les annonces de la commercialisation «possible» d’un vaccin dans un second; cette dernière a même plus que comblé le fait que le Président élu des Etats-Unis n’aura vraisemblablement pas les coudées franches pour «dépenser sans limite».

Tout se passe comme si les investisseurs mettaient l’accent sur le moyen terme, à savoir l’émergence d’une situation post-Covid, induite par la disponibilité d’un ou de plusieurs vaccins, plutôt que sur les incertitudes de court terme pour la conjoncture. Une forme de reconnaissance qu’une normalisation de celle-ci est possible et que la reprise économique mondiale est pérenne au-delà des effets de la seconde vague de la Covid-19 à court terme.

Cette appréciation, qui nous semble conforme à la réalité, n’est pas sans conséquence à bien des égards. 

Orienter la poche obligataire traditionnelle vers des
stratégies de «relative value» est un axe intéressant

D’abord, elle renforce notre conviction que les dettes gouvernementales ont peu d’intérêt dans une allocation diversifiée, tant que les rendements n’auront pas atteints des niveaux plus attractifs pour l’investisseur; à chacun de définir ce qu’il considère comme un rendement acceptable. Nous considérons que nous en sommes éloignés et que l’effet de duration de la dette gouvernementale est «tellement négatif» dans une perspective de poursuite de la tension sur les rendements, que le jeu n’en vaut pas la chandelle.

Le scénario de reprise pérenne de la conjoncture mondiale doit inciter à biaiser son allocation obligataire en faveur du crédit et de la dette émergente. Deux facteurs doivent néanmoins conduire à ne pas exagérer un tel positionnement: le fait que cette option est largement consensuelle d’une part et des considérations de gestion du risque total d’un portefeuille de l’autre; en effet, les conséquences de la Covid-19 sur les défauts d’entreprises ne sont pas aussi claires que beaucoup d’investisseurs semble le considérer.

Dans un tel contexte, trouver des alternatives à la poche obligataire traditionnelle est une nécessité pour affronter les prochains trimestres; orienter celle-ci vers des stratégies de «relative value» est un axe intéressant à considérer tant sur les dettes gouvernementales que sur le crédit; détenir une exposition en obligations convertibles peut constituer un autre choix judicieux; enfin, investir en stratégies alternatives liquides demeure une solution qui fait sens.   

Ce qui nous conduit à la question des actions, de leur poids dans une allocation d’une part et de la nature de cette dernière de l’autre. Dans la perspective d’une affirmation progressive d’une reprise pérenne de l’activité, la tension sur les rendements et une diffusion de la «superliquidité» des marchés financiers vers l’économie réelle qu’elle implique ne sont pas, a priori, négatifs pour les bourses. Biaiser son portefeuille vers les marchés boursiers au détriment des actifs à revenus fixes semble une option raisonnable pour 2021, pour autant que l’on accepte la volatilité que cela implique.

En ce qui concerne la nature de l’exposition en actions, la question obligataire prend toute sa valeur. Il n’a échappé à personne que les dernières semaines ont vu des mouvements importants sur les prix des valeurs phare de la cote; la fameuse croissance visible à laquelle les investisseurs se sont accrochés au cours des derniers trimestres. S’il est toujours difficile de généraliser, on doit néanmoins bien reconnaître que l’évaluation de certaines de ces valeurs a atteint des niveaux qui ne laissent guère de place à la (moindre) déception.

Désormais c’est bien la croissance des
bénéfices qui devra soutenir la hausse des cours.

Une période de tension complémentaire sur les rendements obligataires devrait conduire à remettre en cause le phénomène de progression des bourses par l’expansion de leur multiple. Désormais c’est bien la croissance des bénéfices qui devra soutenir la hausse des cours.

Vous me direz que les titres à croissance visible sont parfaits dans un tel environnement; l’argument se défend mais on peut aussi arguer du fait que leur croissance est devenue tellement visible et tellement consensuelle qu’elle en devient «dangereuse» parce que très (pour ne pas dire trop) intégrée dans les cours.

Une tension complémentaire sur les rendements obligataires qu’une reprise pérenne de la conjoncture mondiale implique va nécessairement peser sur les multiples et remettre sur le devant de la scène la question de la croissance bénéficiaire. Un tel contexte doit certainement conduire à s’intéresser à la pondération relative des valeurs de croissance visible par rapport aux «délaissés» de la cote dans un portefeuille dans une optique à 12 mois.

En conclusion, nous croyons que les rendements obligataires sur la dette gouvernementale, américaine en particulier, ont franchi leur point bas et que le mouvement de tension des derniers mois n’est pas achevé. Nous en avons tiré les conséquences dans notre allocation sur les marchés financiers dans la perspective de 2021.

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