Au-delà de la guerre

Axel Botte, Ostrum AM

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L’accord entre les Etats-Unis et l’Union européenne sur le gaz est un symbole de l’isolation de la Russie.

©Keystone

Les marchés financiers ne semblent plus uniquement focalisés sur la guerre mais tentent désormais d’évaluer les conséquences de l’isolation de la Russie. La peur laisse place progressivement à la reprise de risque. Néanmoins, l’enlisement du conflit fait craindre une escalade et Biden met en garde la Russie contre l’utilisation d’armes nucléaires ou chimiques. Dans un même temps, la réponse économique des Occidentaux à l’invasion de l’Ukraine par la Russie s’amplifie. Les Américains s’engagent à fournir 15 milliards de mètres cubes de gaz naturel liquéfié à l’Union européenne d’ici la fin d’année et 50 milliards par an à l’horizon de 2030. Les infrastructures sont encore insuffisantes pour gérer ces flux, mais la réduction de la dépendance européenne au gaz russe symbolise déjà un nouvel équilibre mondial.

Le Trésor US resserre son étau sur les réserves d’or de Moscou. Un avertissement aux autorités chinoises.

Parallèlement, le cordon sanitaire autour de la Russie s’étend désormais à l’or. Le Trésor américain sanctionnera toute entité facilitant la liquidation par la Banque centrale russe de son stock d’or. Il s’agit aussi d’un avertissement aux autorités chinoises, les réserves russes encore disponibles étant en yuans. Les lingots rendus illiquides forceront la banque de Russie à accepter l’hyperinflation. L’utilisation des réserves en yuans pour la défense du rouble avait provoqué un appel d’air et des rachats sans précédent sur les fonds obligataires chinois en février. Ces sorties massives de capitaux expliquent la réticence de la banque populaire de Chine à assouplir sa politique, afin de contenir les pressions sur sa devise.

Violent choc énergétique en Europe

Sur le plan conjoncturel, les publications américaines dépeignent encore une économie en croissance.  Les inscriptions hebdomadaires au chômage (187k au 19 mars) sont au plus bas depuis 1969. Les enquêtes manufacturières locales progressent en mars. Seul bémol, les commandes de biens durables ont diminué en février. Le transport et les commandes militaires vont cependant se redresser avec les nouvelles dépenses fédérales. En zone euro, les signaux apparaissent contradictoires.  L’indice des directeurs d’achats composite remonte à 54,5, alors que les enquêtes de l’Insee et l’IFO chutent brutalement. Le choc énergétique est violent en Europe et les prix sortie d’usine s’échelonnent entre +2% en France et +40% en Espagne sur 12 mois.

Simultanément à la guerre, les marchés de taux restent soumis à la pression monétaire de la Fed. Les banquiers centraux se succèdent pour préparer le marché à de possibles hausses des Fed funds de 50 points de base. Le durcissement annoncé par la Fed en réponse à l’inflation amplifie l’inversion de la courbe des points morts d’inflation au point de plonger le spread 5-10 ans nominal en territoire négatif (-4 points de base). La demande de TIPS reste soutenue et la classe d’actifs attire les flux, contrairement à la plupart des autres segments du marché de taux.  Les liquidités restent privilégiées, à mesure que le 10 ans perce les niveaux successifs de 2,30%, puis 2,40% − et bientôt 2,50%? Une sous-exposition au taux reste justifiée. Les taux hypothécaires se situent au plus haut depuis 3 ans à 4,5%. L’activité de refinancement s’épuise et l’effet de convexité négative (rallongement de la duration) pénalise les titres de créance hypothécaires, qui enregistrent une nouvelle semaine de rachats.

Les annonces d’entreprises européennes réduisant leurs activités ou quittant la Russie se multiplient.

En zone euro, les mesures budgétaires se succèdent pour amortir le choc énergétique. L’Allemagne débloque ainsi 16 milliards d’euros et le Bund se tend vers 0,57%. Le marché primaire s’est réveillé cette semaine, affichant sa plus forte volumétrie depuis le mois de janvier. Les dettes supranationales (SURE, NGEU, KfW) et agences comptent pour plus de la moitié du total d’émissions hebdomadaire de 60 milliards d’euros. De manière générale, le niveau des swap spreads (65 points de base à 10 ans) constitue un point d’entrée attrayant sur les proxy-swaps, tels que les covered bonds, les agences ou les souverains illiquides (Finlande, Autriche). Au Royaume-Uni, le marché a relevé ses projections de taux après une nouvelle surprise haussière sur l’inflation.

Prudence sur le high yield

Sur le marché du crédit, la semaine était mieux orientée. On relève toutefois une rare sous-performance des hybrides, malgré le resserrement des indices IG.  Les émissions totalisent 15 milliards d’euros, avec une variété d’émetteurs et de maturités.  Les primes attirent une demande solide atteignant jusqu’à 6-7x les montants empruntés. Il convient de rester plus prudent sur le high yield. Les indices sous-performent les obligations, malgré une liquidité médiocre entretenue par les rachats dans les fonds high yield. On observe cependant un ralentissement des flux vendeurs.

Les marchés d’actions ont rebondi aux Etats-Unis. Le Nasdaq et le S&P reprennent 1%. Les valeurs technologiques résistent mieux à la remontée des taux longs, d’autant que le sentiment envers la technologie chinoise s’améliore depuis la communication du gouvernement. La hausse du baril (WTI à 113 dollars) demeure un soutien majeur aux valeurs du secteur de l’énergie qui surperforment nettement (+5% sur la semaine). La balance des flux se redresse aussi, même si l’essentiel des flux mondiaux se concentre sur les grandes capitalisations américaines. Les petites valeurs et la thématique «value» subissent encore la pression vendeuse. En zone euro, les annonces d’entreprises réduisant leurs activités ou quittant la Russie se succèdent. Le risque d’expropriation doit s’analyser à la lumière du risque réputationnel. La baisse de la volatilité est moins marquée en Europe qu’aux Etats-Unis (V2X à 32% contre VIX à 21%).

Enfin, le yen poursuit sa baisse abandonnant près de 2% en cinq séances à 121,6 en fin de semaine. La banque du Japon ne s’est pas opposée à sa faiblesse, encourageant ainsi les intervenants à accroître leur position vendeuse. Les dollars australien (0,75 dollars) et néo-zélandais (0,69 dollars) en profitent, alors que l’euro oscille autour des 1,10 dollars. Le rand sud-africain et le peso réagissent favorablement aux hausses de taux.

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