L’inflation mondiale a fortement ralenti au cours des deux dernières années et se situe désormais à portée de 2%. Toutefois, le chemin vers la désinflation a été inégal selon les pays et les régions, la plupart des marchés développés ayant subi un ralentissement en cours de route en raison du resserrement de la politique monétaire. Les Etats- Unis constituent une exception, ayant enregistré une croissance économique accélérée et un plein emploi sans effet notable de la politique monétaire restrictive.
Les Etats-Unis ont-ils réussi un atterrissage en douceur? Ou l’impact des taux d’intérêt élevés finira-t-il par provoquer un atterrissage brutal? Ces questions ont dominé le discours du marché ces deux dernières années, l’accent étant mis sur la capacité de la Réserve fédérale américaine à ajuster parfaitement le cycle de réduction des taux pour parvenir à une désinflation sans douleur.
Pourtant, cet accent mis sur «l’atterrissage» n’explique peut-être pas entièrement l’association d’une croissance exceptionnellement forte et d’une inflation en baisse observée aux Etats-Unis. Les forces qui l’expliquent suggèrent un nouveau récit pour l’économie et les marchés.
Dans nos perspectives pour 2025, nous adoptons un cadre centré sur les forces du côté de l’offre qui ont façonné l’économie américaine. Celles-ci incluent une augmentation de la productivité du travail et une hausse de la main-d’oeuvre disponible. Les forces du côté de l’offre offrent une explication plus satisfaisante de la dynamique positive entre la croissance et l’inflation. Les risques émergents, tels que ceux liés aux politiques d’immigration, à la géopolitique ou aux éventuels tarifs douaniers, s’inscrivent également plus naturellement dans ce cadre axé sur l’offre.
La résilience de l’économie américaine ne dépend pas de la politique de la Fed
Dans un contexte de politique monétaire restrictive, l’économie américaine a bénéficié d’une combinaison favorable: une forte croissance réelle du PIB, un assouplissement des marchés du travail précédemment tendus et une inflation en baisse. Il peut être tentant d’attribuer cette chance à un «atterrissage en douceur» orchestré par la Fed. Cependant, une analyse plus approfondie suggère que cette interprétation peut être insuffisante.
La robustesse persistante des Etats-Unis pourrait plutôt être due à des facteurs favorables du côté de l’offre, notamment une croissance accrue de la productivité et une augmentation de la main-d’oeuvre disponible. Une production plus élevée et une inflation plus faible ne peuvent généralement coexister que lorsque les forces du côté de l’offre sont aux commandes. Ces dynamiques ont modifié nos perspectives économiques de base pour les États-Unis et mettent en lumière les principaux risques à venir.
Bien que ces moteurs positifs de la croissance du côté de l’offre puissent se poursuivre en 2025, des risques politiques émergents tels que la mise en oeuvre de tarifs commerciaux et des politiques d’immigration plus strictes pourraient compenser les gains. Dans un tel scénario, la croissance réelle du PIB des Etats-Unis passerait de son taux actuel d’environ 3% à environ 2%.
Ces risques politiques compensatoires pourraient également augmenter les pressions inflationnistes. Par conséquent, nous anticipons que l’inflation sous-jacente restera au-dessus de 2,5% pendant la majeure partie de 2025. Bien que nous nous attendions à ce que la Fed réduise son taux directeur à 4%, de nouvelles réductions seraient difficiles, car tout affaiblissement de la croissance devrait être mis en balance avec une éventuelle résurgence de l’inflation.
Les économies en dehors des Etats-Unis ont eu moins de chance du côté de l’offre, et n’ont donc pas pu obtenir la même combinaison d’une forte croissance et d’une réduction significative de l’inflation. Si l’inflation est désormais proche de l’objectif dans la zone euro, c’est au prix d’une stagnation en 2023 et 2024, avec une demande extérieure atone, une faible productivité et les effets persistants de la crise énergétique qui freinent l’activité. La croissance devrait rester inférieure à la tendance l’année prochaine, un ralentissement du commerce mondial représentant un risque majeur. La Banque centrale européenne devrait abaisser ses taux en dessous du niveau neutre, à 1,75%, d’ici à la fin de 2025.
En Chine, les décideurs politiques ont encore du travail malgré leur pivot politique coordonné à la fin de 2024. La croissance devrait s’accélérer dans les prochains trimestres avec l’assouplissement des conditions de financement et les mesures de relance budgétaire. Cependant, des mesures plus décisives et agressives sont nécessaires pour surmonter des vents contraires extérieurs croissants, des problèmes structurels dans le secteur immobilier et une faible confiance des ménages et des entreprises. Nous maintenons notre vision séculaire plus faible que le consensus sur la croissance chinoise, et nous prévoyons donc un assouplissement monétaire et budgétaire supplémentaire en 2025.
L’ère de la monnaie saine se poursuit, avec l’émergence d’un nouveau point de tension
Bien que les banques centrales assouplissent désormais leurs politiques monétaires, nous maintenons notre opinion selon laquelle les taux directeurs se stabiliseront à des niveaux plus élevés que dans les années 2010. Cet environnement constitue la base de rendements solides pour les liquidités et les obligations au cours de la prochaine décennie, mais la vision sur les actions reste plus prudente. Ce thème structurel reste valable même dans un scénario où les banques centrales réduiraient temporairement leurs taux en dessous du niveau neutre pour atténuer des turbulences passagères de croissance. L’ère de la monnaie saine – caractérisée par des taux d’intérêt réels positifs – se poursuit.
Le défi d’investissement réside dans une tension croissante entre élan et surévaluation pour les actifs risqués. Les actifs aux fondamentaux les plus solides présentent les valorisations relatives les plus tendues, et vice versa. Les risques économiques et politiques pour 2025 détermineront si l’élan ou les valorisations domineront les rendements des investissements l’année prochaine.
Les obligations favorisées par l’équilibre des risques
Des rendements de départ plus élevés ont considérablement amélioré le compromis risque-rendement des obligations. Les obligations sont toujours de retour. Au cours de la prochaine décennie, nous prévoyons des rendements annualisés de 4,3% à 5,3% pour les obligations américaines et mondiales hors Etats-Unis couvertes contre le risque de change. Ce point de vue reflète une normalisation progressive des taux d’intérêt et des courbes de rendement, même si des risques importants subsistent à court terme.
Nous pensons que les rendements sur l’ensemble de la courbe devraient rester supérieurs à 4% aux Etats-Unis. Un scénario dans lequel les vents contraires du côté de l’offre persistent soutiendra la croissance tendancielle et donc les taux réels. Par ailleurs, les risques émergents liés au commerce mondial et aux politiques d’immigration maintiendraient également les taux à un niveau élevé en raison de l’augmentation des attentes en matière d’inflation. Ces risques doivent être mis en balance avec la possibilité qu’un choc de croissance, et tout assouplissement monétaire ou «fuite vers la sécurité» qui en découlerait, entraîne une baisse significative des rendements par rapport aux niveaux actuels.
Des rendements de départ plus élevés, qui impliquent un «mur de coupons», signifient que les rendements obligataires futurs sont moins exposés à de modestes hausses de rendements. En fait, pour les investisseurs ayant un horizon temporel leur permettant de percevoir les paiements de coupons, des taux d’intérêt qui augmenteraient encore amélioreraient leurs rendements totaux malgré une certaine douleur à court terme. Nous continuons à croire que les obligations jouent un rôle important en tant que ballast dans les portefeuilles à long terme. Le plus grand risque baissier pour les obligations concerne également les actions: à savoir, une hausse des taux à long terme en raison de la poursuite des déficits budgétaires ou du retrait du soutien du côté de l’offre. Ce sont les dynamiques que nous surveillons de près.
Exubérance rationnelle ou irrationnelle: seul le temps le dira
Les actions américaines ont généralement enregistré de solides rendements ces dernières années. L’année 2024 n’a pas fait exception, la croissance des bénéfices et les ratios cours/bénéfices ayant dépassé les attentes. La question clé pour les investisseurs est: «Que se passe-t-il ensuite?»
Selon nous, les valorisations américaines sont élevées, mais pas aussi tendues que ne le laissent supposer les indicateurs traditionnels. Malgré la hausse des taux d’intérêt, de nombreuses grandes entreprises se sont prémunies contre le resserrement de la politique monétaire en bloquant à l’avance des coûts de financement peu élevés. Plus important encore, le marché s’est de plus en plus concentré sur des secteurs orientés vers la croissance, tels que la technologie, qui soutiennent des valorisations plus élevées.
Néanmoins, la probabilité que nous soyons au milieu d’un boom de la productivité soutenant les valorisations, semblable au milieu des années 1990, doit être mise en balance avec la possibilité que l’environnement actuel soit plus analogue à 1999. Dans ce dernier scénario, un développement économique négatif pourrait exposer la vulnérabilité des valorisations actuelles du marché boursier.
Si nos perspectives de rendement médian pour les États-Unis au cours de la prochaine décennie semblent prudentes, l’éventail des résultats possibles est large, et les valorisations sont rarement un bon outil pour choisir le bon moment. En fin de compte, les valorisations initiales élevées pèseront sur les rendements à long terme. Mais l’histoire montre qu’en l’absence de choc économique ou de croissance des bénéfices, les rendements des marchés d’actions américains peuvent continuer à défier la sévérité de leurs valorisations à court terme.
Les valorisations internationales sont plus attrayantes. Nous pensons que cette tendance pourrait se poursuivre, car ces économies sont probablement les plus exposées à l’augmentation des risques économiques et politiques au niveau mondial. Les différences entre les ratios cours/bénéfice à long terme sont le principal moteur des rendements relatifs sur plus de cinq ans, mais la croissance économique et les bénéfices ont plus d’importance sur des horizons plus courts. Au cours des dernières années, la faiblesse persistante de la croissance des économies et des bénéfices en dehors des États-Unis a fait que les rendements internationaux sont restés tièdes par rapport aux rendements remarquables du marché américain.
Au sein des marchés émergents, la Chine est la seule raison pour laquelle les valorisations sont inférieures à la juste valeur, mais les risques de tensions commerciales croissantes et de relance budgétaire insuffisante en Chine constituent des vents contraires supplémentaires.