Atterrissage en douceur pour l'économie américaine?

Michael R. Strain

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Les attentes quant à la croissance pour 2024 se sont améliorées au cours de l'année dernière du fait de la décision de la Fed de ne plus augmenter les taux d'intérêt.

Beaucoup d'économistes et de commentateurs ont sablé au champagne la politique de la Fed (la Réserve fédérale américaine) pour piloter l'économie américaine vers un atterrissage en douceur. Mais subsiste un problème en suspens: l'économie n'a pas encore atterri.

A quoi pourrait ressembler un atterrissage en douceur? L'inflation resterait proche de la cible de 2% que s'est fixée la Fed pour une période assez longue, tandis que l'emploi et la production augmenteraient suffisamment pour éviter la récession, mais pas trop, de manière à éviter une hausse des prix.

Il est vrai que l'économie américaine a considérablement ralenti, mais sans causer trop de dégâts, contrairement à ce que beaucoup (y compris moi-même) appréhendaient. En 2021, en moyenne 604'000 emplois nets ont été créés chaque mois. Par contre en 2023 le nombre mensuel de création d'emplois n'était plus que de 251'000. De même, la hausse des prix à la consommation a diminué significativement. Si on se réfère au critère de choix de la Fed (sur une base annuelle l'indice des prix à la consommation des ménages), l'inflation a connu un pic à 7,1% en juin 2022 pour descendre à 2,4% en janvier 2024. Durant cette période, le taux de chômage est toujours resté inférieur à 4%.

Malgré ces progrès impressionnants, l'économie n'est pas sur le point d'atterrir en douceur. Le marché de l'emploi est en ébullition, une situation qui ne pourra se maintenir longtemps. En février il y a eu 275'000 créations d'emplois, environ trois fois plus que ce à quoi on pourrait attendre lors d'un atterrissage en douceur. Au premier trimestre 2024, le PIB devrait croître à un rythme qui, s'il ne fléchit pas, accentuera les pressions inflationnistes. Mesurée par l'indice sous-jacent des prix à la consommation des ménages, l'inflation mensuelle a été plus élevée en janvier 2024 qu'au cours de n'importe quel mois depuis janvier 2023.

Au-delà des chiffres mensuels, il y a d'autres raisons de craindre que cette tendance ne s'accentue. Dans ce cas, l'inflation pourrait rester à un niveau largement supérieur à l'objectif de la Fed, ce qui réduirait (peut-être même à zéro) le nombre de fois où la Fed réduira ses taux d'intérêt cette année.

Les attentes quant à la croissance pour 2024 se sont améliorées au cours de l'année dernière du fait de la décision de la Fed de ne plus augmenter les taux d'intérêt. Les conditions financières se sont détendues au quatrième trimestre 2023 et sont plus souples qu'il y a un an, ce qui pourrait entraîner une surchauffe de l'économie. Le rythme des créations d'emplois s'est maintenu l'année dernière. Le nombre d'empois net a peut-être même augmenté au entre le quatrième trimestre 2023 et février 2024. La hausse des salaires a oscillé autour de 4,5% au cours de l'année dernière, ce qui n'est guère compatible avec l'objectif de la Fed en matière de hausse des prix.

L'avenir économique est exceptionnellement difficile à prévoir, avec des indicateurs très différents les uns des autres. Certains signes indiquent que l'économie est sur le point de ralentir plutôt que de s'emballer. Néanmoins ces indicateurs suggèrent également qu'un atterrissage brutal - une récession - est plus probable qu'un atterrissage en douceur.

Les nouvelles commandes de moyens de production ont nettement diminué, ce qui laisse entrevoir de sombres perspectives pour les investissements des entreprises et la croissance globale du PIB. En outre, d'autres facteurs renforcent les inquiétudes quant aux perspectives de dépenses des ménages. En janvier, les ventes au détail ont chuté de 0,8% par rapport au mois précédent, alors que les prévisionnistes n'attendaient qu'une baisse de 0,1%. Depuis début 2022, les impayés de cartes de crédit augmentent - et ce dans toutes les tranches d'âge. Ils ont récemment dépassé leur niveau précédant la pandémie.

Mais surtout, probablement en raison du niveau élevé des prix et des taux d'intérêt, les consommateurs ont l'impression de vivre une récession. C'est un facteur important, car la perte de confiance dans l'avenir est une cause essentielle des récessions. Les consommateurs qui s'inquiètent pour leur budget à court terme limitent leurs dépenses. Le sentiment de récession s'installe, ce qui incite les entreprises à supprimer des postes vacants et à licencier des travailleurs, ce qui à son tour réduit encore la demande.

Une réaccélération ou une légère contraction de l'économie est plus probable qu'un atterrissage en douceur (une inflation durablement conforme à la valeur cible de la Fed, accompagnée d'une croissance durable de l'emploi et du PIB). Et si un état d'esprit de récession s'installe, l'économie pourrait se contracter rapidement, car aucune entreprise ne veut être la dernière à réagir en matière de dépenses et d'effectifs. Lorsque le taux de chômage augmente d'un demi pour cent en l'espace d'un an, il continue de s'approcher d'une valeur récessionniste (il monte rapidement mais redescend lentement).

Certes, on ne peut exclure un atterrissage en douceur. L'argument le plus pertinent en ce sens tient au marché de l'emploi: la tension sur ce marché est due largement au grand nombre d'emplois non pourvus, et non à un emplois excessif. En mars 2022, le nombre d'offres d'emplois avait augmenté de 75% par rapport à février 2020, mais ce nombre est inférieur de plus de 33% à ce qu'il était avant la pandémie. Si les taux d'intérêt élevés peuvent contribuer à la baisse de l'offre d'emplois sans menacer les emplois existants, la Fed pourrait réussir un atterrissage en douceur.

Cette dernière doit parvenir à identifier dans quelle direction s'oriente l'économie. Au moment d'écrire ces lignes, les investisseurs du marché obligataire s'attendent à une première baisse des taux en juin. Le taux directeur de la Fed étant largement supérieur au «taux neutre», c'est une prévision raisonnable. Mais si l'économie est aussi forte au printemps qu'elle l'était au début de l'année, le risque principal tiendra beaucoup moins à une baisse des taux.

Autrement dit, ce n'est pas le moment de sabler le champagne.

 

Traduit de l’anglais par Patrice Horovitz

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