Trump et le paysage actuel des risques économiques mondiaux

Nouriel Roubini, Université de New York

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Si Donald Trump remporte l’élection présidentielle américaine en novembre, le monde sera encore plus déstabilisé.

© Keystone

Nous sommes entrés dans une période d’intensification des rivalités et des conflits géopolitiques. La guerre menée par la Russie contre l’Ukraine en est maintenant à sa troisième année, le conflit entre Israël et le Hamas risque encore d’évoluer en guerre régionale, et la guerre froide de plus en plus profonde entre les États-Unis et la Chine pourrait encore se changer en guerre chaude autour de Taïwan au cours de cette décennie.

Si Donald Trump remporte l’élection présidentielle américaine en novembre, le monde sera encore plus déstabilisé. Or, ces risques n’ont jusqu’à présent exercé qu’un effet limité sur les économies et les marchés. Cela pourrait-il changer prochainement?

Bien que la guerre menée par la Russie en Ukraine soit plus brutale que jamais, ses effets mondiaux s’atténueront probablement. Les risques d’implication directe de l’OTAN, ou d’utilisation d’armes nucléaires tactiques par la Russie, sont plus faibles aujourd’hui qu’antérieurement durant cette guerre. De même, si la guerre a initialement entraîné une hausse des prix de l’énergie, de l’alimentaire, des engrais et des métaux industriels, l’Europe elle-même – région pourtant la plus impactée – a absorbé le choc en ne subissant qu’un modeste ralentissement de sa croissance (ou un coup d’arrêt dans certains cas), plutôt que la récession sévère que redoutaient de nombreux analystes.

Les hydrocarbures russes ont été remplacés par des importations accrues en provenance des États-Unis et des pays du Moyen-Orient. L’impact sur les prix des produits alimentaires a été réduit depuis que l’Ukraine est parvenue à rouvrir en mer Noire un corridor pour ses exportations de céréales.

La guerre entre Israël et le Hamas n’a elle aussi exercé jusqu’à présent qu’un impact économique régional et mondial limité. Le PIB d’Israël a certes nettement reculé au quatrième trimestre 2023, et restera probablement faible tant que le conflit perdurera. Les dégâts économiques à Gaza sont évidemment plus graves encore, et les revenus de l’Égypte issus du canal de Suez – source majeure de recettes en devises étrangères – ont diminué en raison des attaques menées par les houthis yéménites contre les navires de fret en mer Rouge. Pour autant, si le conflit demeure contenu dans ses contours actuels, l’impact économique et financier mondial restera également limité.

La plus grande différence entre Trump et Biden réside dans les questions de l’OTAN, de l’Europe et du conflit entre la Russie et l’Ukraine. 

Il faudrait en effet que survienne une escalade régionale majeure – telle qu’une guerre ouverte entre Israël et le Hezbollah au Liban, ou des signaux selon lesquels Israël (et éventuellement les États-Unis) serait sur la voie d’une guerre contre l’Iran – pour que nous devions nous attendre à des répercussions mondiales plus sévères. Une guerre totale entre Israël et l’Iran réduirait considérablement la production et les exportations d’énergie du Golfe, provoquant une flambée des prix de l’énergie comparable aux chocs stagflationnistes mondiaux qui ont suivi la guerre du Kippour de 1973 et la révolution iranienne de 1979. Fort heureusement, la probabilité d’une sérieuse escalade régionale demeure faible pour le moment.

Bien qu’il faille s’attendre à ce que la guerre froide – ou la compétition stratégique – entre l’Amérique et la Chine s’aggrave avec le temps, les relations ne devraient pas se détériorer outre mesure cette année. Le président américain Joe Biden et son homologue chinois Xi Jinping ont convenu d’un dégel tactique en fin d’année dernière, et la réaction de la Chine face à un résultat qu’elle ne souhaitait pas à l’issue des élections présidentielles de Taïwan est restée relativement contenue. Même si le risque existe de voir la question taïwanaise s’envenimer au cours de cette décennie, cela ne devrait pas se produire cette année, ni la suivante. Les faiblesses et fragilités économiques de la Chine pourraient en effet l’inciter à adopter une attitude moins conflictuelle à l’égard des États-Unis et de l’Occident.

Dans le même temps, les démarches occidentales de dérisquage, de reshoring, de friend-shoring et de restrictions sur le commerce de biens, services, capitaux et technologies ne devraient pas réellement s’intensifier à court terme. Tant que la compétition stratégique demeurera gérée, l’impact économique mondial restera modeste.

Le plus grand risque géopolitique pour la croissance et les marchés réside en réalité dans la prochaine élection américaine. Il est toutefois important ici de noter que Trump et Biden partagent certaines priorités en matière de politique étrangère. Démocrates et Républicains se montrent égaux dans leur hostilité à l’égard de la Chine, et le resteront. Biden et Trump soutiennent tous deux fortement Israël, tout en reconnaissant que la normalisation souhaitée des relations entre Israël et l’Arabie saoudite pourrait nécessiter une forme d’acceptation d’une solution à deux États, tôt ou tard.

La plus grande différence entre Trump et Biden réside dans les questions de l’OTAN, de l’Europe et du conflit entre la Russie et l’Ukraine. Certains craignent que Trump n’abandonne l’Ukraine et laisse la Russie remporter la guerre. Trump étant néanmoins voué à demeurer hostile à la Chine, il pourrait s’inquiéter du signal (concernant Taïwan) qu’enverrait une carte blanche pour la Russie en Ukraine. Par ailleurs, ce que souhaite réellement Trump, c’est que les membres européens de l’OTAN dépensent davantage dans la défense. S’ils s’exécutaient, Trump pourrait reconnaître à cette alliance une certaine valeur, dans son pivot vers l’Asie aux fins d’une dissuasion de la Chine.

La principale manière dont une seconde administration Trump pourrait impacter les marchés résiderait dans ses politiques économiques. Il ne fait aucun doute que les politiques protectionnistes américaines deviendraient plus sévères. Trump a d’ores et déjà fait savoir qu’il imposerait des droits de douane de 10% sur toutes les importations arrivant aux États-Unis (le taux moyen des droits de douane s’élève actuellement à environ 2%), et des droits de douane probablement plus élevés encore sur les importations en provenance de Chine. Une telle décision déclencherait de nouvelles guerres commerciales, non seulement avec des rivaux stratégiques tels que la Chine, mais également avec les alliés de l’Amérique en Europe et en Asie, tels que le Japon et la Corée du Sud.

Une guerre commerciale mondiale réduirait la croissance et augmenterait l’inflation, ce qui en fait le plus grand risque géopolitique que les marchés devraient envisager dans les mois à venir. Dans un tel scénario, la démondialisation, le découplage, la fragmentation, le protectionnisme, la balkanisation des chaînes d’approvisionnement mondiales et la dédollarisation deviendraient des risques encore plus importants pour la croissance économique et les marchés financiers.

Parmi les autres risques stagflationnistes liés à Trump figurent son attitude négationniste concernant le changement climatique, et la probabilité qu’il tente de remplacer le président de la Réserve fédérale américaine, Jerome Powell, par une figure plus docile et plus conciliante. Enfin, les politiques budgétaires de Trump augmenteraient des déficits déjà trop élevés. Les réductions d’impôts actuellement vouées à expirer seraient en effet prolongées, de même que les dépenses accrues dans la défense et les avantages sociaux. Le risque de voir les défenseurs des obligations bouleverser le marché obligataire avec des rendements beaucoup plus élevés augmenterait. Le creusement des dettes privées et publiques ferait apparaître le spectre d’une crise financière.

Pour reprendre une formule célèbre, «Ce qui compte, c’est l’économie, imbécile!». C’est aujourd'hui l’agenda de politique économique proposé par Trump qui constitue la plus grande menace pour les économies et les marchés à travers le monde.

 

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