Une contraction mondiale modérée se dessine

Nouriel Roubini, Université de New York

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Même si un ouragan économique majeur apparaît moins probable, nous risquons encore de vivre une tempête susceptible de provoquer d’importants dégâts économiques et financiers.

Quatre scénarios sont actuellement envisageables concernant les perspectives économiques mondiales. Trois d’entre eux s’accompagnent de risques potentiellement sérieux, aux possibles conséquences majeures pour les marchés.

Le scénario le plus favorable est celui d’un «atterrissage en douceur», qui verrait les banques centrales des économies développées parvenir à ramener l’inflation aux objectifs de 2%, sans provoquer de récession. Existe ensuite la possibilité d’un atterrissage un peu moins tranquille, dans lequel l’objectif d’inflation serait atteint, mais au travers d’une récession relativement modérée (courte et superficielle).

Le troisième scénario est celui d’un atterrissage brutal, dans lequel le retour à une inflation de 2% passerait par une récession prolongée, accompagnée d’une instabilité financière potentiellement sévère (nouvelles détresses bancaires, et agents hautement endettés subissant de sérieuses difficultés de service de la dette, par exemple). Si l’effort consistant à dompter l’inflation venait à entraîner une grave instabilité économique et financière, un quatrième scénario deviendrait alors possible : les banques centrales feraient marche arrière, et décideraient de permettre une inflation au-dessus des objectifs, risquant alors un désancrage des anticipations d’inflation, ainsi qu’une spirale salaires-prix persistante.

Les évolutions géopolitiques continuent de pousser le monde vers l’instabilité, la démondialisation et la fragmentation.

En l’état actuel des choses, la zone euro traverse d’ores et déjà une récession technique, son PIB ayant diminué au quatrième trimestre 2022 ainsi qu’au premier trimestre 2023, et l’inflation demeurant bien supérieure à l’objectif (malgré une accalmie récente). Le Royaume-Uni ne connaît pas encore de récession, mais sa croissance a nettement ralenti, et l’inflation y demeure obstinément élevée (au-dessus de la moyenne de l’OCDE). Les États-Unis ont quant à eux souffert d’un important ralentissement au premier trimestre, même si l’inflation de base (qui exclut les prix alimentaires et énergétiques) reste élevée (certes en baisse, elle demeure supérieure à 5%).

Dans le même temps, la reprise post-COVID-19 chinoise semble au point mort, remettant en question l’objectif de croissance relativement modeste du gouvernement, à savoir 5% pour 2023. Les économies des autres marchés émergents et naissants enregistrent une croissance relativement anémique par rapport à leur potentiel (à l’exception de l’Inde), nombre d’entre elles connaissant encore une inflation très élevée.

Lequel de ces quatre scénarios est le plus probable? Bien que l’inflation ait diminué dans la plupart des économies avancées, cette baisse n’est pas aussi rapide que l’avaient espéré les banques centrales, notamment parce que la rigidité du marché du travail et la croissance rapide des salaires ont ajouté aux pressions inflationnistes dans les secteurs des services à forte intensité de main-d’œuvre. Par ailleurs, les politiques budgétaires expansionnistes continuent d’alimenter la demande, et contribuent à la persistance de l’inflation.

Ceci complique la tâche des banques centrales consistant à assurer la stabilité des prix. Les anticipations de marché selon lesquelles les banques centrales en avaient fini avec les hausses de taux d’intérêt, et commenceraient même à réduire les taux au deuxième semestre 2023, ont été anéanties. La Réserve fédérale américaine, la Banque centrale européenne, la Banque d’Angleterre et la plupart des autres grandes banques centrales vont devoir élever les taux d’intérêt encore davantage avant de pouvoir faire une pause. A mesure de ces augmentations, le ralentissement économique deviendra plus persistant, soulevant un risque de contraction économique ainsi que de nouvelles difficultés sur le plan de la dette et des banques.

Le risque de grave resserrement du crédit s’est atténué depuis les faillites bancaires du mois de mars, et les prix de certains produits de base se sont assouplis.

Dans le même temps, les évolutions géopolitiques – pour certaines subites, telles que la marche avortée du groupe Wagner sur Moscou – continuent de pousser le monde vers l’instabilité, la démondialisation et la fragmentation. Et maintenant que sa reprise perd en dynamique, la Chine va devoir soit appliquer des politiques de relance agressives – non sans conséquences pour l’inflation au niveau mondial – soit risquer de manquer significativement son objectif de croissance.

Du côté positif, le risque de grave resserrement du crédit s’est atténué depuis les faillites bancaires du mois de mars, et les prix de certains produits de base se sont assouplis (notamment en raison des anticipations de récession), contribuant à l’accalmie de l’inflation des prix des biens. Le risque d’atterrissage brutal (scénario 3) semble donc moins important qu’il y a quelques mois. La croissance obstinément élevée des salaires et l’inflation de base contraignant les banques à procéder à de nouvelles hausses de taux, une récession courte et superficielle au cours de l’année prochaine (scénario 2) apparaît beaucoup plus probable.

Si une récession modérée venait à se matérialiser, elle risquerait cependant d’éroder encore davantage le moral des consommateurs et des entreprises, créant ainsi les conditions d’un ralentissement plus sévère et plus persistant, tout en accentuant le risque de stress financier et de crédit. Confrontées à la possibilité d’un scénario 2 évoluant en scénario 3, les banques centrales pourraient flancher, et laisser l’inflation demeurer bien au-dessus de 2%, par crainte de provoquer une crise économique et financière majeure.

Ainsi, le trilemme de la politique monétaire du début des années 2020 demeure d’actualité. Les banques centrales ont pour tâche extrêmement difficile d’assurer simultanément stabilité des prix, stabilité de la croissance (pas de récession) et stabilité financière.

Quelles sont les implications concernant les prix des actifs dans ces différents scénarios? Pour l’heure, les actions américaines et mondiales ont connu une inversion de leur marché baissier de 2022, et les rendements des obligations ont légèrement diminué – tendance qui s’inscrit en phase avec un atterrissage en douceur de l’économie mondiale, voyant l’inflation s’atténuer en direction du taux ciblé, et une contraction de la croissance être évitée. Par ailleurs, les actions américaines – principalement dans les technologies – se trouvent dynamisées par l’enthousiasme autour de l’intelligence artificielle générative.

Une récession même courte et superficielle – sans parler d’un atterrissage brutal – provoquerait néanmoins une chute significative des actions américaines et mondiales. Et si les banques centrales venaient à flancher, l’accentuation des anticipations d’inflation qui en résulterait conduirait à la hausse des rendements des obligations à long terme, et impacterait en fin de compte les prix des actions, en raison du facteur d’actualisation plus élevé qui serait appliqué aux dividendes.

Même si un ouragan majeur sur l’économie mondiale apparaît moins probable qu’il y a quelques mois, nous risquons encore de vivre une tempête susceptible de provoquer d’importants dégâts économiques et financiers.

 

Traduit de l’anglais par Martin Morel

Copyright: Project Syndicate, 2023.
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