Attention à la dictature verte

Anne Barrat

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Pour les experts de NN IP, dont Petra Stassen, «exclure n’est pas la solution pour augmenter l’impact dans le monde réel.»

A l’occasion de la conférence Sustainable & Impact 2022, les gérants de NN IP, le spécialiste mondial des obligations vertes entré il y a peu dans le giron de Goldman Sachs, ont exprimé leurs vues devant un parterre d’investisseurs récemment réunis à Genève. L’occasion pour la maison de gestion de La Haye qui affichait fin 2021 303,1 milliards d’actifs sous gestion, dont 91% relèvent de stratégies ESG ou d’impact, de faire le point sur les progrès significatifs réalisés dans le secteur financier vert. Tous, quelle que soit leur classe d’actifs, ont le même mot d’ordre: inclure et non exclure.

«Nous privilégions l’inclusion à l’exclusion», explique Petra Stassen, Responsable de l’intégration ESG chez NN Investment Partners. «Cette approche, qui ne nous empêche pas d’avoir accès à un univers très large de valeurs, suppose un profond engagement avec les sociétés cibles, qui passe par trois canaux privilégiés: des discussions très régulières, une analyse des controverses et le vote aux assemblées générales ordinaires comme extraordinaires. Les discussions que nous avons avec la direction des entreprises permettent de valider la sincérité de leur feuille de route et de les accompagner dans les corrections éventuelles à apporter dans leur modèle d’affaires ou leur stratégie.»

Le monde change, pas seulement du côté de la prise en compte de l’environnement, mais aussi de celui de la philosophie des nouvelles générations d’investisseurs.
Accompagner plutôt que sanctionner

Accompagnement le mot revient souvent, qui peut concerner aussi bien la gestion des compensations qu’une entreprise doit mettre en œuvre dans le cas où elle ne satisfait pas aux standards de performance environnementale ou celle d’une controverse – NN IP a mis en place un Controversy and Engagement Council qui surveille les controverses des sociétés en portefeuille et les conséquences à en tirer. Un accompagnement multiforme donc, qui repose sur un contrat de confiance où la sincérité est déterminante: «La sincérité des entreprises est clé pour nous, insiste Annemieke Coldeweijer, Head Sustainable Fixed Income. Pour nous en assurer, nous examinons la valeur durable d’une entreprise donnée, c’est-à-dire: un comportement durable du management, un modèle d’affaires durable, des produits et/ou services durables, une position concurrentielle durable, une création de valeur durable.» Pas seulement les produits et services donc, mais aussi la stratégie d’entreprise et la manière dont la direction intègre la durabilité dans ses indicateurs de performance, dans sa politique de rémunération. Et la spécialiste du crédit de citer deux exemples de valeurs remarquables de ce point de vue: Signify, le leader néerlandais dans la production d'éclairage LED, issu de la scission des activités de Philips, et Enel, le principal producteur d’électricité en Italie, engagé dans une transition énergétique crédible. «Chez NN IP, nous avons toujours poussé les entreprises à intégrer la durabilité dans leur stratégie et toutes leurs opérations. Contrairement à d’autres gérants d’actifs, qui ont tendance à réinventer le passé, nous avons adopté cette approche depuis le premier jour: c’est notre marque de fabrique, souligne Paul Schofield, Head Impact & Sustainable Equity. Cela n’a pas toujours été facile, nous manquions notamment de données de la part des émetteurs, ce qui nous a conduits à développer des outils propriétaires pour évaluer leur performance E, S et G. Ces derniers nous permettent de nous faire une idée aussi précise que possible de la performance ESG de telle ou telle entreprise, passant outre les contradictions fréquentes entre agences de notation.» Le réseau international d'investisseurs soutenu par les Nations Unies comptaient 3’826 signataires des Principes pour l'investissement responsable, représentant quelque 121,3 mille milliards de dollars à fin décembre 2021.

Inclusion ET diversité

On l’aura compris, l’inclusion ne signifie pas rétrécissement de l’univers investissable.«Si nous excluons certains secteurs, comme par exemple l’extraction de gaz de schiste, explique Bram Bos, Head of Green Bonds, le marché des obligations vertes a une plus grande proportion d’émetteurs du secteur de l’énergie que l’industrie. Et ce, pour la bonne raison que nous nous concentrons sur des entreprises que l’on peut accompagner à changer d’activités pour devenir vertueuses dans les énergies fossiles. Nous excluons donc peu d’entreprises, dès lors qu’elles montrent un réel engagement dans le changement. L’exemple du groupe Royal Schiphol est à cet égard parlant: nous ne l’avons pas retenu, non parce que nous évitons le secteur des aéroports, mais parce que mettre en place une flotte de bus électriques ne suffit pas à démontrer une démarche sincère surtout lorsqu’en même temps la direction travaille activement à l’extension de l’aéroport et de nouvelles pistes.» Volkswagen a, au contraire, été retenue par l'équipe des obligations vertes, et ce parce que l’entreprise a parfaitement intégré les leçons du Dieselgate et opéré un virage, là encore crédible, dans ses activités. Ce segment de marché où l’engagement ne peut passer par l’exercice des droits de vote, et l’accompagnement plus réduit, est en pleine explosion. Ce n’est plus le petit marché que c’était note Bram Bos: très porteur, il devrait croître de 600 milliards d’euros en 2022, ceteris paribus, après avoir affiché une croissance de 400 milliards d’euros en 2021. Popularité oblige, son avenir ne fait aucun doute, qui verra une diversification des émetteurs, aujourd’hui essentiellement européens, et l’augmentation des dettes vertes en dollar et des pays émergents.

«Le monde change, pas seulement du côté de la prise en compte de l’environnement, mais aussi de celui de la philosophie des nouvelles générations d’investisseurs. Concrètement, les millenia, qui placent leurs ambitions de rendement au même niveau que celles d’impact de leurs investissements, sont un catalyseur très puissant de changement. Ils parlent un langage commun et contraignent les gouvernements à légiférer pour encadrer la transition des économies vers la durabilité. Notre rôle est de vérifier que les entreprises s’adaptent aux nouvelles règles, ce qui accroît en général leur profitabilité pour le plus grand bonheur des investisseurs, conclut Allan MacLeod, Head of Global Financial Institutions and Head of Switzerland.»

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