La suspension in extremis de l’introduction boursière de Ant Group a jeté le doute sur les pratiques financières chinoises.
Le listing simultané à Shanghai et Hong Kong s’annonçait historique. Non seulement l’introduction promettait d’atteindre le montant record de plus de 35 milliards de dollars, mais encore, elle avait déjà été sursouscrite plus de 800 fois! Ant Group, la filiale de paiement d’Alibaba, s’apprêtait donc à faire une entrée fracassante sur les marchés. Ce faisant, elle aurait également souligné le poids croissant et l’attractivité des places financières chinoises et la pacification de Hong Kong! De quoi donner confiance et attirer de nouveaux candidats.
Mais voilà que deux jours seulement avant son lancement, ses dirigeants, de nouveau convoqués par les autorités de supervision, se sont vus brutalement contraints de suspendre l’opération. Reportée sine die, la mise sur le marché est – officiellement – conditionnée à la mise en conformité de la société avec les nouvelles règlementations édictées in extremis.
La douche est froide pour la société comme pour toutes les parties prenantes, chinoises et étrangères. Elle compromet également, au moins pour un temps, les efforts d’ouverture mis en œuvre par ces places de marché. Des changements de réglementation aussi brusques et tardifs ne sont pas faits pour rassurer les investisseurs ni les émetteurs. L’audition en dernière minute de Jack Ma, l’enfant terrible et génial de la Tech chinoise, a fait planer le soupçon d’une «sanction» politique pour ses propos tenus une semaine auparavant, et jugés trop critiques à l’égard du secteur bancaire et financier public chinois. Il faut dire qu’il n’y était pas allé de main morte, comparant les banques du pays à de vulgaires «prêteurs sur gages».
échappe en grande partie aux analyses traditionnelles.
Aussi plausible soit-elle, l’explication semble tout de même un peu courte. Ou pour le moins révélatrice d’autres considérations. La Banque Centrale et le régulateur bancaire ont-ils tardé à prendre conscience de la nature exacte et du champ d’action de la petite «fourmi» chinoise. Longtemps elle s’est présentée comme une «Techfin», une «simple» solution technologique de paiements, extension du magasin en ligne Alibaba, somme toute une commodité. Les propos de M. Ma ont servi à sonner l’alarme au plus haut niveau, montrant combien Ant Group était devenue avant tout une «Fintech», c’est-à-dire une puissance financière colossale et disruptive, car capable de distribuer largement du crédit et créer ainsi de la monnaie.
Alors que ces dernières années, la Banque Centrale a mené une lutte sans merci contre le «shadow banking», et qu’elle voit croître avec inquiétude l’endettement des ménages et des entreprises, le système Ant fournissait en réalité - sans grande contrainte de capital – du crédit tous azimuts, en direct ou en partenariat avec le réseau bancaire du pays.
Les nouvelles règles prudentielles et de communication visent ainsi directement à limiter ces activités, en contraignant la société à conserver une partie de ces crédits à son bilan et d’y réserver du capital. Inclure Ant Group dans la catégorie des sociétés financières est certainement conforme à ce qui constitue désormais le cœur de son activité. La crainte des autorités peut donc être considérée comme assez légitime au regard du risque de voir lui échapper la maîtrise de la création monétaire, au point de laisser grossir une nouvelle bulle d’endettement. Ceci montre également combien le système de taux et de change fixe craque de toutes parts.
Mais comment se fait-il que personne n’en ait pris conscience plus tôt? Le modèle économique de ces nouvelles sociétés financières échappe en grande partie aux analyses traditionnelles. Il suscite les plus vives inquiétudes des autorités monétaires au moment où celles-ci se lancent dans la monnaie virtuelle, pour mieux en conserver le contrôle.
Face à cette disruption en cours ou à venir, la Chine s’inquiète. Elle n’est probablement pas la seule.