AI: Artificial Intelligence ou Annihilation Inévitable?

Philippe Szokolóczy-Syllaba

6 minutes de lecture

Chronique d’un pessimiste irréductible. Ou s’agit-il seulement d’un réaliste?

On n’arrête pas le progrès, c’est bien connu! Mais le progrès nous arrêtera-t-il ou, en d’autres termes, se pourrait-il qu’il soit un jour responsable de la fin de l’humanité?

Certains scientifiques estiment que nous sommes rentrés avec la révolution industrielle dans l’anthropocène1, une sixième extinction de masse, la première dont nous serions toutefois entièrement responsables. En effet, ce qui distingue l’être humain des autres formes de vie sur terre, c’est qu’il est le seul à avoir développé la capacité de s’auto-détruire et d’entrainer avec lui dans sa destruction tous les autres sociétaires terrestres. Il a réussi, en l’espace d’un clin d’œil sur l’échelle du temps, à saccager son propre habitat, l’écosystème dont il dépend et qu’il partage avec les autres formes de vie sur terre, et à menacer la biodiversité au point de démarrer, tout seul comme un grand, une extinction de masse dont il n’est pas du tout certain qu’elle n’ait pas déjà dépassé son point de non-retour2.

Il pourrait ne plus subsister grand-chose si nous ne nous décidons pas
d’arrêter de marcher sur la tête avec notre folie des grandeurs.

La communauté scientifique mondiale est quasi unanime, si nous continuons sur notre lancée, nous en avons en substance pour 100 à 200 ans avant que les catastrophes climatiques que nous aurons contribué à créer par notre activité humaine ne nous engloutissent. Pas que nous, êtres humains, mais aussi les animaux, les insectes, les arbres, etc.... Survivront peut-être quelques formes de vie basique du type bactéries ou organismes primitifs, de quoi redémarrer un plan Darwiniste sur les prochaines centaines de milliers d’années, mais en gros il pourrait ne plus subsister grand-chose si nous ne nous décidons pas d’arrêter de marcher sur la tête avec notre folie des grandeurs.

Cette faculté d’auto-destruction unique et propre à l’homme est le résultat de 7'000 ans de ce que nous avons le bon goût d’appeler la Civilisation, terme que nos historiens font remonter à l’époque des Sumériens. Car auparavant, l’être humain, dont on retrouve des traces datant de près de 3 millions d’années, n’était qu’un pauvre sauvage. Il est cependant amusant de noter que ce pauvre sauvage a su traverser plusieurs périodes de glaciations, s’adapter et survivre pendant une durée de temps 400 fois plus étendue que celle que nous appelons Civilisation et ce, en parfaite harmonie avec son écosystème. Notre homme civilisé, en revanche, en l’espace d’environ 150 ans, soit une microseconde sur la durée de son existence, a réussi à avancer l’aiguille du compte à rebours de son espèce pour la placer à minuit moins 1 seconde. Et le plus fou dans tout ça, c’est que tout civilisé qu’il se prétend, il ne le réalise même pas ou ne veut pas s’en rendre compte. Cela pourrait en effet faire baisser la bourse ou perturber la digestion de son petit déjeuner, une éventualité à écarter à tout prix.

Les bien-pensants qui s’offusqueraient à la lecture de ces lignes et rétorqueraient «mais nous faisons déjà beaucoup pour sauver la planète» seraient bien avisés de réaliser que la planète n’a pas vraiment de problèmes. Elle s’en sortira tout au plus avec quelques égratignures mais elle sera encore là dans des millions d’années. En revanche, vraisemblablement sans nous, et ce bien plus vite que nous ne le pensons. Elle saura parfaitement se débarrasser des parasites que nous sommes devenus, lorsque nous aurons réussi à nous rendre suffisamment indésirables. Quelques tremblements de terre avec montées des eaux, tsunamis et éruptions volcaniques, etc...., allez ouste, du balai. Ce n’est pas le manque de moyens qui posera problème le moment venu!

De toute façon, il ne sert à rien de paniquer, nous rassurent nos experts, les solutions viendront d’elles-mêmes grâce à la technologie qui parviendra à nous sortir de ce mauvais pas, avant que ne tombe le couperet. Donc pas la peine de réduire sa consommation, de polluer moins, de se soucier des déchets nucléaires ou de se prendre la tête avec des petits gestes écologiques, le progrès va nous régler tout ça d’un coup de baguette magique. Quant à savoir s’il s’agit du même progrès qui nous a menés là en premier lieu ou d’une nouvelle forme de progrès encore inconnue, la question reste ouverte.

L’AI saura-t-elle nous permettre de revivre
en harmonie avec notre écosystème?

Pour le moment, si l’on s’en tient à la direction choisie par les Américains, qui ont pris un certain retard en matière de solutions durables (et détestent qu’on le leur rappelle), il semblerait qu’ils préfèrent se réfugier derrière l’argument économique des ressources non renouvelables dont ils disposent à foison et qui leur permettraient de durer encore un siècle sans chercher d’alternatives. Peu encourageant!

Alors bien évidemment, le grand joker, c’est l’intelligence artificielle. Confier à des algorithmes le soin de trouver les solutions que l’être humain ne parvient pas à identifier tout seul. Sur papier, l’idée peut paraître géniale. S’en remettre à beaucoup plus fort que nous pour nous tirer d’affaire.  Mais est-ce vraiment souhaitable? Je ne peux m’empêcher de faire le lien avec le docteur qui dirait à son patient enrhumé de prendre des sirops, des émollients, des expectorants, du paracétamol ou encore je ne sais quelle concoction imaginée par l’industrie pharmaceutique au lieu de lui dire de se reposer quelques jours en buvant des tisanes de thym, en faisant des inhalations d’eucalyptus et de renforcer ses défenses immunitaires en mangeant sainement. Faut-il trouver des solutions aux symptômes ou traiter la cause? C’est l’éternelle question, dont la réponse tombe pourtant sous le sens mais que notre vie frénétique nous pousse à ignorer pour des raisons prétendument pratiques. L’AI saura-t-elle nous permettre de revivre en harmonie avec notre écosystème, comme les autres habitants de la planète, y compris l’homme, ont su le faire pendant des millions d’années? Rien n’est moins sûr.

Selon Harari et son Homo Deus3, la science considère que l’humain est aussi un algorithme, certes biologique, mais néanmoins un algorithme ce qui signifierait que tout ce dont il est capable serait reproductible par un algorithme mathématique. Il en découlerait que tôt ou tard, l’AI sera capable de faire tout ce que l’humain sait faire, mais beaucoup mieux que lui. De plus l’AI saura aussi faire tout ce que l’humain ne sait pas faire, ses seules limites étant celles de son imagination ou des lois de la physique. Comme l’AI sait déjà apprendre par elle-même dans bien des cas, on peut légitimement se demander si l’humain parviendra toujours à la contrôler et à la maintenir à son service. Qui nous garantit que l’AI ne se donnera pas un jour les moyens de prendre le contrôle sur les humains? Pour le moment la seule sonnette d’alarme tirée par la communauté scientifique a consisté en une demande de moratoire sur la recherche en matière des robots tueurs, soutenue par Stephen Hawking et Elon Musk4.

A quoi servirait-il de continuer à produire,
avec ou sans robots, si personne n’achète?

Les dés sont-ils lancés et faut-il conclure que les humains ont besoin des robots et que de toute façon le développement de l’AI est inévitable? Dugain et Labbé soutiennent dans l’Homme Nu5 que les algorithmes vont diriger le monde et que la quasi-totalité des jobs seront effectués par des robots dans un avenir proche. Car un robot c’est quand même beaucoup mieux qu’un humain: il ne faut pas lui payer de salaire, de congés, de retraite, il travaille 24 heures sur 24, ne se met pas en grève, ne se syndique pas, ne part pas en vacances ou en congé maternité, n’a pas d’états d’âmes ou de problèmes de santé et ne fait pas d’histoires quand on veut le mettre à la porte pour le remplacer par un modèle plus récent....

Mais pourquoi aurait-on encore besoin d’êtres humains si les robots peuvent tout faire mieux? Pour consommer pardi! A quoi servirait-il de continuer à produire, avec ou sans robots, si personne n’achète? Mais alors, avec quel argent consommerons-nous si nous n’avons plus de travail? Avec un salaire universel, qui est la suite logique et incontournable de l’avènement de l’AI, selon Dugain et Labbé. La seule question qui subsisterait serait de savoir si ce salaire universel sera payé directement par les entreprises aux consommateurs (grâce aux économies d’échelle réalisées à travers la robotisation) ou s’il devra passer par la case État qui prélèvera sa dime au passage sous forme d’imposition des robots pour la redistribuer équitablement au peuple. Vive les débats et Dieu sait à quelle sauce nous serons mangés. Mais peut-être que l’État sera également robotisé et qu’entre robots, ils parviendront à s’entendre sur une solution intelligente et pas trop artificielle tout de même.

Résumons la situation. On a sérieusement prétérité notre futur et celui de toute forme de vie sur cette planète et il est minuit moins une seconde pour réagir, ce que nous ne faisons pas vraiment, car cela nuirait trop à nos petites habitudes. Du coup, on s’en remet à une forme d’intelligence supérieure qui, en optimisant le schmilblick, pourrait nous mettre tous au chômage parce qu’elle est rapidement en train d’apprendre à faire tout mieux que nous. Ce nonobstant on pense qu’on va pouvoir la contrôler et qu’elle aura de toute façon besoin de nous comme consommateurs, donc qu’on se la coulera douce. En tout cas, jusqu’à ce qu’elle invente des robots consommateurs pour nous remplacer. Parce que si elle est si intelligente que ça l’AI, pensez-vous vraiment qu’elle va vouloir nous garder, pauvres tares que nous sommes?

Heureusement des petits malins ont déjà pensé au problème. Il suffira de se transhumaniser, de devenir à notre tour des cyborgs, puis finalement, suite logique, des robots à part entière. Comment résister d’ailleurs à l’idée séduisante de commencer par optimiser sa mémoire ou sa vue, de se faire mettre une ou deux pièces de remplacement bioniques pour mieux fonctionner ou simplement ne pas dépérir? Si la survie de notre espèce dépend de notre capacité à nous adapter à un nouvel écosystème dominé par des machines, il parait cohérent d’en faire partie plutôt que d’en être éliminé.

Serait-il envisageable que nous soyons une partie intégrante
de cette nature au même titre que les autres formes de vie sur terre?

Une des grandes questions est de savoir si l’AI sera capable d’avoir une conscience, sera apte à aimer et à ressentir toutes les émotions que nous connaissons. En d’autres termes est-ce que la conscience ou les émotions sont le fruit d’algorithmes biologiques et sont donc reproductibles, ou proviennent-ils de quelque chose que la science ne saurait expliquer et reproduire, quelque chose qui nous conférerait une essence divine nous distinguant de la machine. Ray Kurzweil chez Google semble penser que non. Il est persuadé que nous pourrons un jour uploader notre cerveau, conscience comprise, dans le cyber espace et exister indépendamment de notre écorce physique. Une forme d’immortalité6.

Personnellement je ne peux pas dire que je bondis d’enthousiasme à cette perspective futuriste. A ceux qui partageraient ce sentiment, je propose une réflexion toute simple sous forme de question: qu’est-ce que la nature? Est-ce un truc sympa à avoir le weekend mais qu’il nous faut à tout prix maitriser pour pouvoir en tirer le meilleur parti possible comme nous le faisons actuellement en nous considérant au-dessus? Ou alors serait-il envisageable que nous soyons une partie intégrante de cette nature au même titre que les autres formes de vie sur terre, bien que nous l’ayons quelque peu oublié, et que notre obsession à la contrôler et à l’exploiter et finalement à la détruire ne revienne pas à nous détruire nous-même puisque nous en faisons partie? Et la solution est-elle d’œuvrer, en nous transhumanisant, dans une direction qui fera que, pour nous passer de cette nature que nous aurons détruite, nous perdrons par la même occasion ce lien qui faisait que nous en faisions partie et peut-être aussi notre connexion divine ou universelle, celle qui nous permet de ressentir des émotions humaines, d’aimer et d’avoir une conscience d’humain?

Je formule le vœu que l’humanité qui nous habite encore, dans sa dimension éclairée et consciente, saura suffisamment consulter son «docteur» intérieur pour savoir qu’il est illusoire de vouloir traiter le mal par le mal, de ne s’attaquer qu’aux symptômes et non à la cause et que la fuite en avant que nous avons initiée peut et doit être arrêtée pendant qu’il est encore temps.

Bon, je vais aller dire bonjour à quelques arbres que je connais, ça me changera un peu de mon ordinateur. Quelqu’un veut-il venir?

 

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