Salut Brice, qu’est-ce qu’on casse aujourd’hui?

Philippe Szokolóczy-Syllaba

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Difficile chronique d'un optimiste.

«Tu critiques, tu dénonces, tu casses, c’est un peu facile», me dit l’autre jour mon ami Pierre. «Si je dirigeais mon entreprise comme ça, je n’irais pas loin. Tu ne voudrais pas essayer d’écrire quelque chose de positif pour changer?». Et d’ajouter: «tu verras, c’est plus difficile, mais c’est peut-être un exercice qui pourrait te faire du bien».

Je dois avouer que ça m’a turlupiné, cette remarque. Serais-je de ceux qui versent dans la critique facile, un insurgé du dimanche atteint du syndrome du téléspectateur à la terrasse d’un café, regardant le malheureux qui vient de rater son tir au but (et provoquer par la même occasion l’élimination de son pays de la Coupe du Monde) en s’exclamant: «quelle pive celui-là, même-moi je ne l’aurais pas raté ce pénalty»? C’est vrai qu’assis sur son derrière au bistrot avec sa bière en main, il est facile de traiter tout le monde de gros nul. De même, critiquer pour critiquer, pour le plaisir, sans offrir de solution ou d’alternative sérieuse, ce n’est guère constructif.

Est-ce qu’on arrive à aller au fond des choses
avec cette méthode du feedback positif?

Dans le même ordre d’idée, il faut aussi reconnaître que beaucoup ne réagissent pas fantastiquement à la critique, et bien mieux au feedback positif. Qu’on obtient souvent de beaucoup meilleurs résultats en encourageant les gens à faire mieux, plutôt qu’en leur rabâchant tout ce qui va mal. Même s’ils font tout faux, d’ailleurs. Que le leur faire remarquer ne fait que les braquer et ne fait pas nécessairement avancer le schmilblick, bien au contraire. Et que du coup, on finit par se faire des ennemis.

Mais alors, comment faire pour réveiller les consciences? Dire à quelqu’un qui vit dans le déni que c’est très bien ce qu’il fait, mais qu’il pourrait faire encore mieux, a certes l’avantage de ne brusquer personne et de permettre à tout le monde de rester amis. C’est d’ailleurs un excellent exercice, qui produit souvent des résultats surprenants et que nos amis anglo-saxons maitrisent bien mieux que nous (et dire que nous les traitons d’hypocrites, il faudrait savoir). Mais est-ce qu’on arrive à aller au fond des choses avec cette méthode de la suggestion positive? C’est toujours mieux que de braquer son interlocuteur me direz-vous, lequel pourrait ensuite vous en vouloir à vie d’avoir mis le doigt sur une vérité dérangeante et devenir totalement réfractaire à toute velléité subséquente de lui soumettre quelque idée que ce soit. Mais on dit aussi qu’il y a des vérités qui ne sont pas nécessairement agréables à entendre et qu’il n’y a pas trente-six façons de les dire.

Je pars du principe que si l’on veut changer les mentalités, il faut hélas les bousculer quelque peu. Et surtout, qu’il est indispensable de comprendre à quoi l’on s’attaque et donc de poser les bonnes questions, sans se voiler la face ou se donner bonne conscience en s’en prenant à d’inoffensifs moulins pour éviter de regarder en face the elephant in the room. Si votre fils vous dit qu’en réparant la chambre à air de son vélo, il a trouvé la solution pour aller de Gibraltar à Tanger en faisant le tour de la Méditerranée, alors qu’à priori ce serait quand même plus simple de prendre un bateau, j’imagine que vous allez lui dire qu’il n’a pas pris le problème dans le bon sens. Il va peut-être se vexer, mais vous n’allez pas nécessairement le laisser partir avec son péclôt pour ne pas le heurter. De même, faut-il continuer à donner des petites pilules roses à tous ceux qui ont des problèmes de santé en leur disant «prenez-moi ça, ça ira mieux», sans se préoccuper de traiter la cause et en se bornant à gérer ponctuellement le symptôme? Une société malade, ça ne se soigne pas à coups de pilules roses ou en encourageant le déni. A un moment il faut savoir regarder la cause profonde du problème en face, si l’on souhaite vraiment la guérir. Même si ça peut être très désagréable de passer par là. Sevrer un toxicomane n’est pas une partie de plaisir, mais le traiter à vie à la méthadone n’est pas nécessairement une solution.

On finit par s’habituer à avoir les molaires
qui trempent béatement dans le Bircher.

Un autre avantage en disant telles quelles des choses qui dérangent, c’est que vous coupez court aux tentatives de s’en sortir avec une pirouette. Plus difficile pour votre interlocuteur de se lancer dans de grandes explications sur les mérites de tel ou tel candidat dont l’élection changerait tout et serait forcément la solution à tous les maux, lorsque vous lui lâchez d’emblée: «va plutôt regarder ce que dit Pierre Rabi sur l’holacratie et tu comprendras pourquoi ça ne m’intéresse plus vraiment de voter pour encore un autre pantin». Ce n’est pas nécessairement diplomatique, mais j’avoue qu’il m’est devenu pénible d’entendre le paquet d’âneries que les gens sont capables de vous déblatérer pour se rassurer qu’en ne changeant finalement rien et en perpétuant un système inepte, tout va s’arranger.

Et puis, à force d’avoir été bassinés par nos profs, nos publicistes, nos politiciens, nos ecclésiastes et nos voisins bien-pensants, on finit par s’habituer à avoir les molaires qui trempent béatement dans le Bircher, et on a un peu de mal à regarder certaines réalités en face et à se bouger les fesses pour y remédier. Que n’entend-on pas: finalement tout ne va pas si mal et puis à quoi ça sert de s’exciter, ça ne changera pas grand-chose, on n’y peut rien, etc…. «La vie est belle et si simple» me dit une chère amie en me renvoyant une vue de sa chambre d’hôtel sur la Méditerranée après que je lui aie envoyé mon dernier article sur les psychopathes. D’un côté, elle a raison, pourquoi se prendre la tête quand on peut se remplir du bonheur que procure la contemplation des merveilles de la nature. Il est d’ailleurs important de le faire aussi souvent que l’on peut. Ce n’est pas parce que l’on est conscient et éveillé à certaines des réalités pénibles, même écœurantes de notre monde qu’il faut en oublier tout ce que la vie réserve de beau, de magique, d’apaisant, de ressourçant. Au contraire, c’est même ainsi que l’on réalise d’autant mieux que ces moments sont précieux, notamment parce que les challenges auxquels l’humanité est confrontée ne nous permettront peut-être pas d’en profiter indéfiniment. Surtout si nous ne faisons rien pour nous en assurer.

Toujours est-il mon cher Pierre, que pour abonder dans ton sens et voir le bon côté des choses, voici quelques initiatives réjouissantes et recommandations «feel good» à mettre en œuvre sans tarder:

  1. Regarder le film Demain, César du meilleur documentaire 2016 de Cyril Dion et Mélanie Laurent pour s’enthousiasmer sur toutes les solutions pratiques pour participer à un monde meilleur.
  2. Acheter ses fruits et légumes au travers de La Ruche Qui Dit Oui pour soutenir les artisans et producteurs locaux en direct.
  3. Investir dans le développement durable au travers de véhicules d’investissements soutenant des entrepreneurs dans l’agro-alimentaire «éthique».
  4. Visionner en boucle les sages préceptes du délicieux et facétieux Sadhguru.

L’humble but de mes propos séditieux n’est donc ni de critiquer sans proposer d’alternative, ni de convaincre qui que ce soit de leur justesse. Et lorsque certains sujets ou leur angle d’attaque dérangent, je me dis que c’est un mal pour un bien. Car si je n’ai pas la prétention de proposer des solutions aux maux que je tente d’exposer, je ne désespère par contre pas de la merveilleuse capacité de l’être humain à trouver ces solutions par lui-même. Si ma modeste contribution consiste juste à être un des grains de sable qui poussera certains d’entre nous à sortir de notre zone de confort pour tacler quelques-uns des problèmes que j’évoque, ce ne sera déjà pas si mal. Comme disait un des responsables militaires qui avait participé au raid final contre Bin Laden lorsqu’on lui demandait s’il pourrait un jour le pardonner: «Ce n’est pas à moi de pardonner Bin Laden, c’est au Créateur. Mon job consistait juste à faire en sorte qu’ils se rencontrent».

Maintenant, quant à la question de savoir si c’était vraiment Bin Laden qui a fait sauter les tours….ça y est, je recommence, décidemment on ne se refait pas!

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