Acheter la peur, vendre la cupidité

Michel Girardin, Université de Genève

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A chaque fois que les marchés financiers paniquent, la pression sur les stratèges dans les banques et sociétés de gestion augmente sensiblement.

C’est quand la cupidité fait peur qu’il faut vendre les marchés ; pour les racheter quand il ne reste que la peur. Aujourd’hui, la peur que la guerre en Ukraine s’élargisse à un conflit entre l’OTAN et la Russie doit-elle nous inciter à prendre des risques dans nos placements?

Acheter au son du canon, vendre à celui du clairon: la maxime est connue. Qu’en est-il exactement? L’idéal pour acheter, c’est que les prix décrochent. Mais pour que le mouvement ait valeur d’incitation, il ne doit pas être trop exagéré, sous peine de nourrir le sentiment de panique. Jeudi dernier, je montrai en direct à mes étudiants la chute de la Bourse à Moscou, au moment où la Russie attaquait l’Ukraine. Un signal d’achat? Rares étaient les hochements approbateurs dans l’auditoire. Il faut dire que l’indice de la Bourse russe s’est écroulé de 33%, ce qui en fait la 5ème plus forte baisse enregistrée par un indice en une seule journée. Au vu du tollé que provoque cette guerre insensée dans le monde, l’écroulement de la Bourse à Moscou jeudi dernier est plutôt perçu comme une opportunité de parier contre la Russie en vendant son marché à découvert.

A chaque fois que les marchés financiers paniquent, la pression sur les stratèges dans les banques et sociétés de gestion augmente sensiblement. Difficile d’échapper aux réunions de crise où le sentiment de panique finit par prendre le dessus sur la raison. Au point que la tentation est grande, expérience faite, de commencer ces réunions par une mise en garde: attention à ne pas se laisser déborder par les rumeurs les plus insensées, propres à nous faire prendre les pires décisions en matière d’investissements.

Historiquement, les guerres et les attentats terroristes ne laissent pas des traces marquées sur les marchés. Sauf lorsqu’ils les prennent par surprise. Les attentats du 11 septembre 2001, l’assassinat du Président Kennedy ou l’attaque de Pearl Harbor qui allait marquer l’entrée en guerre des Etats-Unis en 1941 ont provoqué une baisse immédiate de la Bourse américaine d’environ 4%. Lorsque ces événements tragiques sont précédés de signes avant-coureurs, la réaction des marchés est moins violente. En prenant les 21 chocs géopolitiques majeurs qu’a connu le monde depuis la 2ème guerre mondiale, la chute immédiate de la Bourse américaine a été d’en moyenne 1.2%. La perte maximale qui a fait suite à ces événements a été de 5%. Rien de bien méchant.

La géopolitique ne semble donc pas affecter durablement les marchés financiers. De là à conclure que la baisse des indices boursiers dans le monde aujourd’hui est un signal d’achat, il n’y a qu’un pas que je ne franchirai pas. Pour deux raisons. La première, c’est que cette guerre a déjà des répercussions majeures sur le prix du pétrole et du gaz. Le prix de ce dernier a bondi de 50% dès que la Russie est passée à l’acte en Ukraine. Normal, le gaz russe représente 40% des besoins énergétiques de l’Europe. La dépendance à la Russie pour ses besoins en pétrole est sensiblement équivalente. Ces tensions ne vont pas s’atténuer de sitôt.

Déjà mis à mal par les perspectives de durcissements sévères des politiques monétaires des banques centrales pour contrer l’augmentation de l’inflation par le renchérissement des matières premières, les marchés financiers risquent de pâtir de la crainte de nouveaux tours de vis, voir carrément d’un risque de récession lié, précisément, à des politiques monétaires trop restrictives.

La deuxième raison, c’est qu’on ne peut pas exclure totalement que la guerre en Ukraine s’élargisse à un conflit avec les pays de l’Otan. Pour l’instant, cela relève du «cygne noir», un événement tout aussi improbable que désastreux. Mais… ne qualifiait-on pas déjà une invasion russe en Ukraine de totalement impensable il y a quelques semaines?

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