Retrouvailles

Valérie Plagnol, Vision & Perspectives

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La rencontre Biden-Poutine promet-elle un constat des dissensions plutôt qu’une tentative de rapprochement?

Une rencontre de chefs d’Etats américain et russe à Genève, cela sonne un peu comme un sommet de guerre froide, ce qui, disons-le, n’augure rien de bien bon.  Affaire de personnes ou affaire d’Etats, les intentions semblent trop éloignées et les griefs trop nombreux pour être surmontés. Les observateurs comme les marchés n’attendent d’ailleurs que peu d’avancées du sommet du 16 juin. On est bien loin du dégel de la Perestroïka, qu’ouvrit l’entrevue entre Ronald Reagan et Mikhail Gorbatchev en novembre 1985 dans cette même ville. Cette année-là malgré les incompréhensions et les méfiances, les premiers pas vinrent de l’Est. Il ne semble pas qu’il en sera de même cette fois-ci.

Le séjour européen du Président Biden a concrétisé le retour de l’Amérique auprès de ses alliés, le Royaume-Uni, le G7 et l’OTAN, afin de renouer et renforcer l’Alliance transatlantique, économique comme stratégique, mais plus encore dans le but de rassembler sous l’aile américaine les démocraties amies face à la Chine. Le communiqué commun en est le parfait reflet. Véritable manifeste du réchauffement entre les partenaires présents – étendus à la Corée du Sud, l’Inde et l’Afrique du Sud, invitées – il détaille les engagements pris en matière d’aide internationale et de coopération multilatérale comme des principes et valeurs réaffirmés et défendus, désignant ainsi ses adversaires.

La Russie est plus tentée de jouer la carte économique de la «dédollarisation» et du renforcement de ses avoirs en or et en yuans, un pas de plus en direction de Pékin.

Ainsi Joe Biden arrive-t-il à Genève avec des demandes précises, mais semble-t-il peu d’offres. Même énoncées en termes diplomatiques, les formules du communiqué du G7 sonnent durement:  la Russie y est instamment appelée à «cesser ses entreprises de déstabilisation, et activités néfastes», dénoncée pour avoir directement ou indirectement «interférer dans les affaires intérieures des démocraties» et sommée de «remplir ses obligations et engagements en matière de droits humains». Désignée comme le protecteur sinon l’instigateur de multiples cyberattaques, la Russie est rappelée à l’ordre. Rien que ces derniers jours, alors que le FBI annonçait avoir récupéré une partie des 4,4 millions dollars de la rançon versée par l’entreprise pétrolière Colonial Pipeline, le géant mondial de la viande JBS avouait avoir versé de son côté 11 millions de dollars de rançon aux hackers. En maintenant par ailleurs ses positions dans le conflit ukrainien comme sur la Crimée, le G7 ne semble pas offrir de voie de négociation entre les deux parties.

De l’avis général, Joe Biden et Vladimir Poutine ne se connaissent guère, s’apprécient encore moins et ne se comprennent pas. Leur attitude reflète des agendas trop éloignés, ce d’autant moins conciliables que les intérêts commerciaux directs des deux pays sont distants et leurs échanges commerciaux minimes. Les Etats-Unis ne représentent que 3,2% des exportations russes. Pénalisée par les droits de douanes imposés par l’Administration Trump, la Russie se tourne de plus en plus vers l’Asie et notamment la Chine, qui représente plus de 14% de ses exportations et plus de 23% de ses importations en 20201. De son côté, si l’Union Européenne reste le premier client et le premier fournisseur de la Russie, sa part se réduit chaque année.

Ainsi, face aux menaces de nouvelles sanctions, la Russie est plus tentée de jouer la carte économique de la «dédollarisation» et du renforcement de ses avoirs en or et en yuans, un pas de plus en direction de Pékin. Bref la Russie lorgne à l’Est, par intérêt autant que par affinité. Pourtant cela ne semble pas sans risque. Le «ventre mou» sibérien peu peuplé et riche de son sous-sol, s’offre à une Chine qui se montre de plus en plus entreprenante. En d’autres temps, la grande amitié soviéto-chinoise avait volé en éclats2. Cela ne rend pas l’Amérique plus attirante pour autant. De son côté, celle-ci ne peut totalement renoncer au dialogue, ni même à la tentation de ramener la Russie à l’entente post-guerre froide. L’Europe n’y serait pas forcément opposée. De plus, à la veille de l’élection présidentielle iranienne qui pourrait renforcer la faction dure des «gardiens de la Révolution», les Etats-Unis qui peinent à relancer le dialogue sur le nucléaire, peuvent-ils se passer de tout dialogue avec la Russie, de plus en plus présente dans la région?

Dans les rencontres au sommet de l’après-Covid, on gardera encore ses distances.

 

2 En 1965 au début de la Révolution Culturelle

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