100 premiers jours bien étranges

Julien Serbit, Prime Partners

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La déroute boursière consécutive aux annonces tarifaires américaines semble s’être calmée et un rebond non négligeable s’est produit sur les indices américains.

Déjà plus de trois mois que Donald Trump et son équipe ont pris les commandes de l’Amérique (et un peu celles du monde en toute franchise). Jamais avare de surprise et autre bonne blague on peut dire que le fantasque président américain aura une fois de plus étonné pas mal de gens mais, à l’inverse de son premier mandat, pas forcément dans le bons sens cette fois. Le point d’orgue de ses 100 premiers jours dans le bureau ovale (même si c’est plutôt Air Force One et Mar-A-Lago qui semblent avoir les faveurs du président) reste évidemment le «Liberation day» du 2 avril dernier où le commerce mondial a probablement dit adieu au format qui était le sien depuis quelques décennies pour aller…vers l’inconnu.

Restons à bonne distance du débat sans fin sur la psychologie du leader de la première puissance mondiale dont le parcours jusqu’à une deuxième investiture en tant que président des Etats-Unis montre qu’il est tout sauf stupide. Dans cette optique, il y a fort à parier que si Donald Trump juge que les premiers résultats de son énorme coup de pied dans la fourmilière du commerce mondial sont trop défavorables aux américains il saura tempérer ses velléités tarifaires et le justifier avec brio (en tout cas dans l’esprit de ses électeurs). Il parait en revanche plus inquiétant de constater un certain flou à la suite des annonces du 2 avril dernier, notamment en termes de préparation de l’administration américaine à négocier rapidement avec de nombreux pays en même temps et ce, durant le «délai» de 90 jours finalement voulu par le président. Il semblerait même probable qu’au-delà du choc des annonces initiales, l’administration américaine ne sache pas encore vraiment ce qu’elle souhaite conclure en termes de «deal» et que la complexité de la situation ait pu être sous-estimée.

Comme l’histoire le démontre, les investisseurs aiment les situations claires, bonnes ou mauvaises. Si les tarifs douaniers devaient rester à leurs niveaux actuels et s’appliquer d’ici deux mois alors nul doute que les bourses le refléteront rapidement. Une croissance mondiale bien plus faible sur fond de perte de confiance envers l’Amérique, de nombreux secteurs durement touchés par le retour du protectionnisme et tout de même quelques gagnants émergeraient d’un tel remue-ménage. Disons-le franchement, dans un scénario comme celui-là, revoir les 6'000 points de l’indice S&P 500 ne serait plus qu’un doux rêve.  Cependant, l’évolution boursière de la dernière partie d’avril n’a pas privilégié ce développement, misant plutôt sur une adaptation progressive des tarifs douaniers au travers d’accords à venir entre les Etats Unis et leurs partenaires. En d’autres termes, un retour à une certaine rationalité des échanges permettant à la croissance mondiale de rester tant bien que mal sur une trajectoire décente.

Les marchés actions ont également trouvé récemment du soutien dans les annonces des résultats du premier trimestre, obtenant notamment la confirmation que les investissements réalisés par les mammouths de la technologie dans l’intelligence artificielle n’étaient pas remis en cause et que malgré tout nous étions bien en train d’assister à une révolution technologique. C’est bien le poids important du secteur technologique qui a contribué en bonne partie au rebond des indices américains. L’épisode «Deepseek» étant passé par là, les multiples de plusieurs grands acteurs de la technologie américaine commençaient déjà à être attrayants avant même les annonces tarifaires de début avril. Sur un strict plan boursier, Donald Trump peut remercier le trend de l’intelligence artificielle d’avoir réussi jusque-là à faire contrepoids à la perspective d’une forte détérioration du commerce mondial, qu’elle soit transitoire ou plus durable.

La question des prochaines semaines est donc de savoir s’il faut profiter du rebond pour réduire son exposition au marché américain ou si au contraire ce dernier va une fois de plus démontrer sa résilience et son leadership mondial. Sans surprise il n’y a pas de réponse toute faite à cette question mais il semble important de bien avoir en tête quelques éléments. Premièrement comment ne pas croire qu’il existe une forme de «Trump put» à une potentielle chute violente des actions américaines? Il est évident qu’un président issu du secteur privé et clamant depuis des années vouloir rendre à l’Amérique sa grandeur fera en sorte d’éviter ou du moins de modérer une débâcle boursière durant son mandat. Attention cependant, Donald Trump n’a pas paru juger le seuil des 5'000 points du S&P 500 comme alarmant ces dernières semaines et il semblerait plutôt que ce soit le stress du marché obligataire qui l’ait contraint à adresser quelques bons mots aux investisseurs.

Secondement, comme évoqué plus haut, l’administration américaine ne donne pas vraiment l’impression d’être préparée à des négociations tous azimuts avec de nombreuses contreparties. Le délai de 90 jours parait trop court pour donner aux marchés une image claire des flux commerciaux pour le deuxième semestre de l’année. Enfin, un troisième élément sur lequel peu de doute sont permis concerne l’attitude de la Chine. Comment imaginer objectivement un scénario dans lequel Pékin se plierait aux exigences américaines? Tant les consommateurs américains que les travailleurs chinois risquent d’être les grands perdants de la guerre commerciale mais les premiers nommés seront des électeurs en 2028 alors que les seconds…    

En définitive, le récent rebond des bourses s’apparente davantage à un ajustement à la réalité, après une phase de stress bien compréhensible, plutôt qu’à un retour vers l’optimisme des deux dernières années concernant l’exceptionnalisme américain. Ce dernier semble en effet voué à disparaitre en partie si la politique commerciale américaine se teinte durablement de protectionnisme. La croissance américaine devrait alors se modérer pour s’établir à un niveau à peine supérieur à celui de l’Europe, échappant certes à la récession, mais moins apte à faire office de véritable locomotive de l’économie mondiale. On peut ajouter à cela que la saison des résultats du premier trimestre a tout du trompe l’œil car ces derniers sont certes bons mais risquent aussi d’être les meilleurs des 4 trimestres de 2025.

Cette évolution de la dynamique du commerce mondial ouvre une question plus large pour de futurs investissements. La très longue période de domination des actions américaines en termes de performance pourrait laisser place à une alternance de résultats plus équilibrés entre les grandes zones que sont les Etats-Unis, l’Europe et les marchés émergents. Le niveau du dollar et le degré de confiance internationale envers les bons du Trésor seront déterminants dans l’établissement d’une potentielle nouvelle donne pour allouer géographiquement en actions.

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