«Drive to survive»: les gérants de fortune ont passé la ligne d’arrivée

Laurent Pellet, Lombard Odier & Cie SA

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Les gérants indépendants vont pouvoir entrer de plein pied dans une nouvelle ère qui sera synonyme de reconnaissance et d’opportunités nouvelles pour cette profession.

Une nouvelle saison inédite commence pour les gérants de fortune indépendants. Non pas sur le bitume brulant des circuits – comme dans la série à succès Drive to survive – mais sur les nouvelles routes tracées par la Finma et la Loi fédérale sur les établissements financiers (LEFin).

La grande majorité d’entre eux ont passé la ligne d’arrivée le 31 décembre, date à laquelle seuls les gérants de fortune ayant obtenu une autorisation délivrée par la Finma (ou ayant une demande en cours) peuvent continuer à exercer leur profession en ce début d’année 2023.

«Tout nuage n’enfante pas une tempête», disait Shakespeare. Des nuages, il y en a eu, notamment dans la préparation des dossiers, tant pour l’affiliation à un organisme de surveillance que pour le dépôt d’autorisation auprès de la Finma, qui ont demandé beaucoup de travail et d’énergie pour ces sociétés qui sont aussi des PME, avec des ressources humaines et financières limitées.

Cependant, et bien que le nombre final de gérants de fortune indépendants ayant passé le cap ne soit pas encore connu, nous pouvons estimer que 10% au plus des sociétés sont restées à quai, sur les environ 2000 que compte ce secteur d’activité, d’après le recensement Finma en juin 2020.

Ceci peut s’expliquer principalement par deux raisons: soit par décision de cesser leur activité, souvent en lien avec l’âge du capitaine ou en raison d’un modèle d’affaires devenu obsolète, soit par regroupement avec une autre société (21 rapprochements ont été annoncés publiquement en 2022). Les nuages ont bien été présents, mais sans la tempête annoncée et tant redoutée.

Ce n’est pas pour autant que tout risque est écarté, loin s’en faut. Il s’agit en effet d’une étape très importante permettant aux gérants de fortune indépendants d’entrer de plein pied dans une nouvelle ère qui sera synonyme de reconnaissance et d’opportunités nouvelles pour cette profession. Mais cette nouvelle vie à un prix: elle se traduira par des exigences accrues et la mise en place de nouvelles procédures et directives de la Finma, des audits prudentiels et donc la nécessité pour ces acteurs de se doter de nouvelles compétences afin de faire évoluer leur modèle d’affaires et se tourner vers de nouveaux vecteurs de croissance et de génération de revenus.

Après la conformité, place à la technologie et aux projets de croissance

Ce qui était encore perçu hier comme un «nice to have» par ce secteur, devient une nécessité absolue aujourd’hui pour pérenniser sa société. Je parle bien entendu de l’importance d’optimiser et automatiser les processus internes, visant à rechercher un gain d’efficience et surtout une réduction de coûts et de risques d’erreurs humaines.

Dans cet esprit, les partenariats et la collaboration avec les banques et l’écosystème de fintechs en Suisse prennent tout leur sens. Ensemble, nous pouvons gagner en productivité et créer plus de synergies, permettant de minimiser le fardeau imposé par le millefeuille de réglementation.

Des solutions visant à rapprocher banques et gérants indépendants pour standardiser les processus existent déjà, comme Wecan Comply ou OpenWealth. Ces solutions résument une volonté commune des banques dépositaires et des EAM de définir ensemble des standards communs.

Dans le cadre du projet Wecan Comply, qui facilite les interactions entre les banques et les gérants de fortune indépendants, plusieurs banques ont rejoint l'initiative car les enjeux sont importants: rationalisation des processus, réduction de la charge de travail liée à la conformité et partage d'informations en temps réel grâce à la technologie blockchain. A l'avenir, il existera de nombreuses autres applications potentielles dans l'espace blockchain pour les services de gestion de patrimoine tels que la garde de NFT ou les contrats intelligents.

Rappelons aussi que la Suisse est l'une des places financières les plus avancées dans le domaine de la fintech et de la blockchain, avec des conditions cadres favorables à l'innovation.

Par ailleurs, tous les gérants de fortune externes ne sont pas encore équipés d'un système de gestion de portefeuille (portfolio management system, PMS). Or, il deviendra de plus en plus difficile pour ces entreprises de continuer à exercer leur métier sans disposer d'un système de type PMS ou système plus intégré avec notamment un CRM et/ou la gestion des processus «Suitability» et «Appropriateness». Bien entendu, les besoins en termes de technologie dépendront fortement des besoins spécifiques de chaque entreprise.

A ce titre, il devient indispensable pour une banque dépositaire travaillant avec des gérants de fortune externes de développer et de mettre en place un flux «digital» entre le système de la banque et le PMS utilisé par le gérant externe. Notamment en intégrant un flux «descendant», permettant d'envoyer des ordres de trading depuis son PMS et d'en recevoir l'exécution en temps réel.

Le contact humain restera naturellement au cœur de l’activité de gestion de patrimoine, mais les nouvelles technologies pourront assurément renforcer les relations, faciliter la communication et optimiser les processus, afin de permettre aux gérants de fortune indépendants d’aborder plus sereinement l’avenir et de se concentrer sur le cœur de leur métier.

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