Erdogan réélu, l’économie turque à «l’heure de vérité»

AWP

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Reconduit pour cinq ans, Recep Tayyip Erdogan a englouti des milliards de dollars en promesses de campagne et plusieurs dizaines d’autres pour maintenir la livre turque à flot avant les élections.

L’économie turque est dans une situation délicate: selon des analystes, la politique actuelle du président Erdogan, réélu dimanche, fait courir le risque d’un péril imminent, mais toute solution impliquerait des mesures douloureuses.

Reconduit pour cinq ans, Recep Tayyip Erdogan a englouti des milliards de dollars en promesses de campagne et plusieurs dizaines d’autres pour maintenir la livre turque à flot avant les élections.

«L’heure de vérité pourrait approcher pour l’économie turque», estime le cabinet Capital Economics.

Autrefois portée par une main-d’oeuvre bon marché et un système bancaire efficace, l’économie turque est confrontée à un problème que l’exécutif a lui-même provoqué et auquel peu d’autres pays font face.

M. Erdogan s’est ainsi lancé dans une croisade contre les taux d’intérêt élevés, promus selon lui par un «lobby» étranger. Le chef de l’Etat a par le passé invoqué les préceptes de l’islam, qui interdit l’usure.

Chute de la livre

Pour mener à bien sa bataille, il a fait valser les gouverneurs de la banque centrale. Les résultats ont été désastreux: la livre turque a plongé et l’inflation annuelle officielle a dépassé les 85% à l’automne - plus du double selon un groupe d’économistes turcs indépendants.

Mardi matin, la livre turque continuait à s’enfoncer, à 21,69 pour un euro. Elle cotait 20,44 pour un dollar.

Fini le «miracle économique» turc des années 2000, durant la première décennie au pouvoir d’Erdogan: les investisseurs étrangers ont déserté, effrayés par l’instabilité et la reprise en main d’institutions autrefois dirigées par des technocrates impartiaux.

«On estime que la détention d’obligations turques par des obligataires étrangers a diminué d’environ 85% par rapport à 2013, année depuis laquelle la livre a perdu près de 90% face au dollar», souligne Bartosz Sawicki, du cabinet Conotoxia.

Le problème le plus urgent pour la Turquie est que sa banque centrale est à court de liquidités.

Cette dernière a dépensé près de 30 milliards de dollars pour soutenir la livre depuis le 1er janvier, propulsant ses réserves de change en terrain négatif pour la première fois depuis 2002.

«La configuration actuelle n’est tout simplement pas viable», juge Timothy Ash, analyste au cabinet BlueBay.

Compétitivité des exportations

Les experts avancent deux solutions: relever les taux d’intérêt ou laisser chuter la livre, les mesures de soutien monétaire ayant annulé l’avantage que représentent les taux d’intérêt bas dans une économie dominée par l’industrie manufacturière.

Selon les analystes d’Allianz, le taux de change effectif de la livre «s’est apprécié d’environ 35% depuis que l’orientation peu orthodoxe de la politique monétaire a pris pleinement effet en décembre 2021».

«Le retour à un régime de changes flottants sera nécessaire pour rétablir la compétitivité des exportations turques», estiment-ils.

De nombreux analystes prédisent une dégringolade de la livre dans les mois à venir, une chute qui affectera davantage encore le pouvoir d’achat des Turcs et pourrait contraindre le gouvernement à chercher des milliards de dollars pour des mesures de soutien aux ménages - en plus des nombreuses promesses électorales.

Une forte hausse des taux d’intérêt pourrait aider à briser ce cercle vicieux, mais le président Erdogan a exclu cette hypothèse pendant la campagne.

Atilla Yesilada, du cabinet de conseil Global Source Partners, redoute que la Banque centrale turque ne fasse tourner la planche à billets pour financer les hausses des salaires des fonctionnaires et des pensions de retraites promises par Erdogan.

Reconstruction post-séisme

La Turquie doit en parallèle financer la reconstruction des provinces affectées par le séisme du 6 février (50.000 morts), dont les dégâts ont été estimés à plus de 100 milliards de dollars.

«Comment le gouvernement financera l’effort de reconstruction sans imprimer d’argent et conduire à l’hyperinflation? C’est une question à laquelle personne ne souhaite répondre», relève M. Yesilada.

Pour les analystes, le gouvernement turc n’aura d’autre choix que d’augmenter les taux d’intérêt.

Emre Peker, du centre de réflexion Eurasia group, estime que la Turquie essaiera d’abord de contenir la demande de dollars par «des mesures macroprudentielles et de contrôles des capitaux».

Le président Erdogan pourrait aussi finir par être contraint de renoncer à sa croisade contre les taux d’intérêt.

«Mais une hausse des taux réduira les fonds propres des banques», qui «ne pourront pas prêter pendant longtemps», avertit Atilla Yesilada.

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