Un sevrage douloureux

Salima Barragan

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Une deuxième vague menace le crédit au second semestre. Avec Alexis Renault d’ODDO BHF AM.

Durant la décennie passée de taux d’intérêt à zéro (voire négatifs), le crédit a affiché des performances au-dessus des attentes. Maintenant que les banques centrales durcissent le ton et qu’elles s’apprêtent à réduire les abondantes liquidités auxquelles les marchés sont devenus dépendants, à quoi s’attendre lors du second semestre sur la classe d’actifs qui a déjà cédé entre -8 à -10% depuis le début de l’année? Les réponses d’Alexis Renault, responsable des obligations à haut rendement chez ODDO BHF AM.

Comment la dette a-t-elle évolué durant cette décennie écoulée de taux historiquement bas?

D’une façon générale, le crédit a bénéficié des baisses des taux significatives et de l’excès de liquidité qui a entrainé la compression des spreads; donc des performances un peu au-dessus des attentes. Certains taux sont devenus négatifs, notamment sur le Bund allemand à 10 ans.

Depuis le début de l'année, la contre-performance du marché obligataire européen varie entre – 8 et -10%, du fait de la remontée conséquente des taux d’environ 1,5% sur 6 mois. Ajoutons à cela une élévation des spreads de crédit non négligeable. Sur le haut rendement et l’Investment Grade, l’écart s’est amplifié de, respectivement 150 et 60 points de base. Nous avons donc à faire à une double peine sur les obligations.

Après la prochaine hausse du taux directeur américain, vraisemblablement en juillet, comment anticipez-vous la poursuite du programme monétaire de la Fed?

La Fed continuera de relever le prix de l’argent pour contrer l’inflation, ce qui pourrait entrainer un fort ralentissement de l’économie américaine. De plus, elle va réduire la taille de son bilan, ce qui va réduire la liquidité des marchés et donc augmenter leur volatilité. Je m’attends à des incertitudes autour des augmentations des taux à venir ainsi qu’à une conjoncture plus morose qu’attendu. La Fed devra faire face à un dilemme: l’inflation ou le ralentissement; qui sont en fait les deux composantes de la stagflation, une condition de marché qu’on a plus connue depuis les années 1970 et sur laquelle très peu d’intervenants sont expérimentés.

Quel sera l’impact du virage de la Banque centrale européenne sur la dette de la zone euro?

Il était temps qu’elle prenne les mesures nécessaires. Face à une inflation européenne élevée comprise dans une fourchette entre 7 et 8%, la BCE est clairement en retard avec son programme de resserrement monétaire. D’autant plus que le renchérissement persistera plus longtemps que prévu. Les marchés obligataires seront plus volatils, car ils devront se normaliser avec un moindre soutien des banques centrales. Les valorisations seront plus faibles et les spreads plus conséquents.

Cependant, les marchés n’ont pas encore tranché sur un ralentissement qui s’arrête à une croissance modeste, mais positive, ou sur une récession. Le débat reste ouvert.

Comment s’annonce le sevrage des marchés devenus accros à la complaisance des grands argentiers?

Le bilan cumulé des banques centrales chinoise, américaine, européenne et japonaise est passé de 5’000 milliards de dollars en 2007 à 33’000 milliards de dollars en 2022, c’est-à-dire que leur bilan agrégé a été multiplié par 6 lors des 15 dernières années dans le but de soutenir les marchés. Elles n’ont plus d’autre choix que de réduire la taille de leurs actifs dans la douleur du fait d’une inflation bien au-dessus des attentes et aussi plus durable que prévue. Les excès de la décennie passée vont disparaitre.

Comment, selon vous, les titres à haut rendement évolueront-ils d’ici la fin de l’année?

Je table sur une deuxième vague d’écartement de spread au second semestre qui offrira des opportunités d’achat sur le high yield. Les spreads sont actuellement déjà élevés du fait des incertitudes sur la croissance. Une fois les sommets des spread atteints, nous verrons un resserrement très rapide ; donc des points d’entrée à ne pas manquer.

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