Quel sera l’impact des mesures mises en place par la nouvelle administration Trump non seulement aux Etats-Unis mais aussi ailleurs dans le monde? Comment la zone euro peut-elle s’adapter à des rythmes de croissance très différents d’un pays à un autre? L’évolution de la dette française est-elle une menace pour le pays et la stabilité de la zone euro? Le point sur ces questions avec Anton Brender, chef économiste, et Florence Pisani, directrice de la recherche économique chez Candriam, qui s’exprimaient cette semaine à Genève en marge d’une présentation sur les perspectives pour 2025.
Parmi les facteurs qui sont les plus susceptibles d'affecter l’économie américaine l’an prochain, vous mentionnez les différentes mesures annoncées par Donald Trump concernant l’immigration, les droits de douane, les baisses d'impôts et la suppression de l’Inflation Reduction Act. Concernant les droits de douane, vous estimez que les dernières annonces faites par la future administration Trump sont plus rassurantes, alors qu'elles sont plus inquiétantes s’agissant de l’immigration. Lequel de ces deux facteurs devra être suivi avec le plus d’attention?
Anton Brender (A.B.): Il faut être attentif aux deux. Concernant l’immigration, les restrictions promises par Donald Trump pourraient avoir des conséquences importantes. Le taux de chômage est toujours très bas aux Etats-Unis et la croissance de la population en âge de travailler serait pratiquement nulle sans l’apport de l’immigration. Des mesures visant à limiter l’immigration pourraient donc à la fois freiner un peu la croissance du PIB mais surtout tendre le marché du travail et aviver l’inflation. Arrêter complètement l’immigration illégale ferait baisser le taux de chômage de 0,3 point. Si en plus on devait déporter 1,2 millions de migrants, le taux de chômage baisserait cette fois de 0,8 point, ce qui conduirait forcément à des pressions à la hausse sur les salaires. Savoir quelle hypothèse est la plus probable est difficile, on peut juste observer que la nomination de Stephen Miller, l’un des «penseurs» de la politique anti-immigration de Donald Trump, comme chef adjoint du du Cabinet présidentiel laisse penser que dans ce domaine, la politique sera ferme.
A quels aspects faudra-t-il être attentif au sujet des droits de douane?
A.B.: Un éventuel durcissement de la politique tarifaire et les représailles que cela risquerait d’entraîner sera, dans un premier temps au moins, source de désorganisation et d’incertitude. Maintenant, il y a plusieurs estimations différentes sur l’impact des droits de douane. Le FMI a chiffré à près d’un point de PIB la perte de croissance mondiale associée à une hausse générale de 10% des droits de douane.
Aujourd’hui personne ne sait vraiment quelle sera l’ampleur des mesures tarifaires qui seront effectivement mises en œuvre par les Etats-Unis. La seule chose sûre c’est qu’elles risquent de freiner la croissance et de pousser aux Etats-Unis l’inflation à la hausse.
«Le FMI a chiffré à près d’un point de PIB la perte de croissance mondiale associée à une hausse générale de 10% des droits de douane.»
Concernant la Chine, dont la croissance du PIB devrait à peine dépasser 4% en 2025, vous observez que le pays est l’une des rares grandes économies dans le monde qui se trouve en situation de déflation. Pour les autres pays industrialisés qui ont souffert d’une forte inflation en 2022 et 2023, n’est-ce pas indirectement un avantage si ce pays peut exporter en quelque sorte de la déflation?
A.B.: Lorsque l’inflation était encore très élevée, cela a pu être le cas : aux Etats-Unis les prix à la consommation des biens qui étaient fortement montés pendant la pandémie, sont effectivement en baisse et les importations en provenance de Chine y ont contribué. Mais l’inflation des prix des biens étant maintenant maitrisés, les effets de la concurrence chinoise sont moins bienvenus et beaucoup de pays cherchent plutôt à s’en protéger.
Concernant la zone euro, vous avez souligné la grande hétérogénéité de l’évolution des économies de pays comme l’Espagne, en plein boom, et celle de l’Allemagne, qui croît très faiblement. N’est-ce finalement pas un avantage si un pays comme l’Espagne compense en partie la faiblesse actuelle de l’Allemagne dont l’économie était en 2024 très en deçà de sa croissance potentielle?
Florence Pisani (F.P.): L’Espagne ne peut bien sûr pas compenser à elle seule la faiblesse actuelle de l’économie allemande. Si l’Espagne se porte bien, c’est une bonne nouvelle pour le pays mais les problèmes de l’Allemagne demeurent. Son modèle économique est fortement tourné vers les exportations. L’Allemagne est tirée par la croissance des autres pays. L’industrie allemande souffre aujourd’hui de la faiblesse de la demande extérieure, celle en provenance de Chine en particulier. Le secteur automobile est aussi pénalisé par l’arrivée sur le marché de véhicules électriques chinois bien moins chers. Au total, la Fédération des industries allemandes (BDI), a estimé à 1400 milliards d'euros les investissements à faire d’ici 2030 pour rendre l’industrie allemande à nouveau compétitive.
«Actuellement, ce n'est pas tant le poids de la dette en France qui est une source d’inquiétude pour les agences de notation mais plutôt la capacité du gouvernement français à gérer son déficit primaire.»
S’il y a un aspect positif en Europe à l’orée de 2025, c’est que l'inflation n’est plus un sujet de préoccupation. N’est-ce pas un point rassurant compte tenu de l'endettement élevé de pays comme la France?
F.P.: Effectivement, l’inflation n’est plus du tout le problème majeur du moment. Les prix des biens, n’augmentent pratiquement plus dans la zone euro. Les prix des services, eux, continuent de monter assez rapidement mais le marché du travail se détend et les salaires, qui expliquent une bonne partie de la hausse du prix des services devraient maintenant ralentir. Ceci devrait conduire assez rapidement à une modération des hausses du prix des services.
Il est beaucoup question du coût de la dette française actuellement. Faut-il s’inquiéter du fait que les rendements des emprunts d’Etat de la France soient plus élevés que ceux de la Grèce?
F.P.: Il faut replacer les choses dans leur contexte. Beaucoup de gens évoquent les risques d’un effet boule de neige qui pourrait être semblable à celui connu par la Grèce au début des années 2010. A l’époque toutefois, la conjoncture économique grecque s’était effondrée en même temps que le coup de la dette augmentait. Ce n’est pas le cas aujourd’hui en France. Certes, le déficit budgétaire de la France est trop élevé, proche de 6% du PIB, mais la croissance nominale reste nettement supérieure au coût moyen de la dette française. Actuellement, ce n'est pas tant le poids de la dette qui est une source d’inquiétude pour les agences de notation mais plutôt la capacité du gouvernement français à gérer son déficit primaire. C'est plutôt l’incapacité du gouvernement à définir et à tenir un cap budgétaire qui peut être une source d’inquiétude pour les marchés. Du reste, la dette de la France rapportée à son PIB n’est pas plus élevée qu’aux Etats-Unis.
Justement, l’absence de gouvernement qui se dessine n’est-il pas une raison de s’inquiéter actuellement?
F.P.: Certains pays, comme la Belgique par exemple, ont déjà été régulièrement confronté à une absence de gouvernement, parfois pendant de longues périodes. En France, une telle situation est nouvelle – et c’est d’ailleurs un aspect qui avait été mentionné par l’agence Standard & Poor’s lors de sa dernière évaluation de la note accordée à la dette française. Encore une fois, l’important est que le prochain gouvernement parvienne à trouver un accord budgétaire et restaure la crédibilité financière du pays.
Le fait que le dollar ait regagné du terrain par rapport à l'euro ne reflète-t-il pas cette situation. Va-t-on vers un retour à la parité entre l’euro et le dollar?
F.P.: Ce qui influe le plus souvent sur les évolutions de change entre l’euro et le dollar, c’est l’écart des politiques monétaires attendues. Il est bien résumé par l’écart entre les taux à deux ans des deux économies : depuis plusieurs années, le cours de l’euro par rapport au dollar suit l’évolution de cet écart. Aux Etats-Unis, l’inflation sera sans doute plus soutenue qu’attendu, ce qui réduit les anticipations des marchés sur les baisses de taux de la FED. En Europe, une conjoncture plus déprimée qu’attendu risque de conduire à des anticipations de taux directeurs en baisse. Tout cela pourrait pousser l’euro vers la parité.