Sans biodiversité, pas de durabilité

Anne Barrat

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Pour Nicolas Jacob de ODDO BHF Asset Management, «Biodiversité et réchauffement climatique forment un binôme indissociable. Leurs agendas doivent se compléter».

80% des 169 cibles des objectifs de développement durable (ODD) sont menacées par le déclin de la biodiversité. La biodiversité est par conséquent au cœur de la durabilité et de l’agenda 2030. Pour autant, seuls les ODD 14 (vie aquatique) et 15 (vie terrestre) mentionnent explicitement la biodiversité, assignant de facto sa préservation aux Etats. Il est temps de privilégier une approche transversale pour qu’elle occupe la place qu’elle devrait avoir auprès des investisseurs. Entretien avec Nicolas Jacob, gérant chez ODDO BHF Asset Management SAS, alors qu’a commencé hier la COP-15, 15e réunion de la Conférence de la Convention sur la diversité biologique à Kunming en Chine.

La biodiversité est sur toutes les bouches, pourtant peu de résultats tangibles depuis le protocole de Nagoya. Pourquoi?

C’est en effet le protocole de Nagoya signé par les membres de la Convention sur la diversité biologique (CDB) des Nations-Unies qui avait marqué le lancement du «plan stratégique pour la diversité biologique 2011-2020» fondé sur les 20 «Objectifs d'Aichi». Nous étions le 29 octobre 2010. Il a fallu attendre quatre ans pour que l'Union européenne le ratifie en 2014, si bien que la mise en œuvre par les pays européens n’a pas commencé avant la 2e moitié de la décennie. Il n’est dès lors pas étonnant que la plupart des objectifs d’Aichi n’aient pas été atteint, qui prévoyait par exemple de «mettre un terme à l'appauvrissement de la diversité biologique, afin de s'assurer que, d'ici à 2020, les écosystèmes soient résilients».

«En cinquante ans, environ 60% des espèces animales et végétales ont été perdues.»

Un nouveau cadre a été dévoilé par le secrétariat de la CDB en juillet dernier, qui est en ce moment-même débattu à la COP-15 par les 196 membres. Un des objectifs de ce nouveau cadre vise à conserver «au moins 30% des zones terrestres et maritimes mondiales (en particulier les zones d'importance particulière pour la biodiversité et ses contributions aux populations) par le biais de systèmes d'aires protégées efficaces, gérés équitablement, écologiquement représentatifs et bien reliés entre eux (et d'autres mesures efficaces de conservation par zone)».

L’enjeu est pourtant clé, non?

Les chiffres parlent d’eux-mêmes: en cinquante ans, environ 60% des espèces animales et végétales ont été perdues. Un autre indicateur est le moment dans l’année auquel l’humanité a consommé l’ensemble du capital naturel que la planète peut régénérer en un an. Le capital naturel, c’est-à-dire les matières biologiques, fossiles et minérales, ainsi que les services écosystémiques, qui forment la biodiversité. Ce jour du dépassement vient de plus en plus tôt dans l’année: le 14 mars 2021 aux Etats-Unis, le 11 mai en Suisse, tandis que, à l’autre bout du spectre, le Nicaragua, l’Equateur ou l’Indonésie tiennent jusqu’au mois de décembre. Là aussi, le demi-siècle passé a vu une forte accélération du calendrier du jour du dépassement, qui implique une surexploitation des ressources.

Comment renverser la vapeur et mettre fin à ce paradoxe?

Paradoxe il y a en effet: non seulement entre les bonnes intentions en termes de biodiversité et les réalisations tangibles, mais aussi entre la mobilisation que suscite le réchauffement climatique et l’attention portée à la biodiversité. Tous les yeux sont aujourd’hui braqués sur la COP26, alors que la COP15 sur la biodiversité s’est ouverte hier. 

Il est vrai que dans le paysage mondial des risques, la perte de biodiversité vient (juste) derrière le risque lié au réchauffement climatique en termes d’impact et de probabilité. Ce qui compte, c’est avant tout que ces deux risques sont hautement liés. Leurs agendas et plans d’actions devraient l’être aussi.

«Le plan onusien fixe un cadre mais cela ne suffit pas.»

S’agissant du plan d’actions pour assurer la préservation de la biodiversité, la première chose à faire est de tenir compte de la transversalité du thème. C’est la condition sine qua non pour mobiliser toutes les parties prenantes dans sa sauvegarde, les entreprises notamment. Le plan onusien fixe un cadre mais cela ne suffit pas. Et ce, parce que les deux ODD (14 et 15) qui concernent directement la biodiversité ont peu de matérialité ce qui les rend difficiles à traduire en objectifs tangibles à atteindre pour les entreprises. Les objectifs 2, 3, 6, 11, 12, 13 doivent être inclus dans la liste des ODD pertinents pour les stratégies de biodiversité des entreprises.

Comment inciter les entreprises à s’engager et prendre des mesures concrètes?

Le terrain est prêt: 86% des entreprises du Stoxx 50 Europe mentionnent le terme «biodiversité» dans leur document de référence 2020. Il suffit de leur mettre à disposition une approche qui leur permette de mesurer l’impact de leurs décisions, aussi bien en matière des produits et/ou services qu’elles vendent que de gestion opérationnelle, sur la biodiversité. Ce qui signifie d’une part que cet impact soit significatif – le critère de matérialité évoqué plus haut –, d’autre part que la mesure de cet impact consolide aussi bien celui des produits et/ou services que celui de la gestion opérationnelle. C’est dans cet esprit que ODDO BHF AM utilise une méthodologie pour mesurer l’impact net agrégeant des deux dimensions.  

En quoi consiste cette méthodologie de mesure de l’impact net?

L’impact net se mesure en agrégeant le score d’une entreprise sur les deux aspects: produits et services d’une part, opérations d’autre part. Ce score dépend de la contribution négative (énergie fossiles, métaux & mines, tabac, transport) et positive (recyclage, traitement des déchets et de l’eau, agriculture et pêche durable) de l’entreprise, lesquelles sont calculées en fonction du chiffre d’affaires (CA) pour la dimension produits et services. Concrètement, si la contribution négative d’une entreprise concerne entre 0 et 5% de son CA, elle obtient un score de -1; si cette contribution négative représente plus de 50% de son CA, son score sera de -10. Symétriquement, si une entreprise affiche une contribution positive de 0 à 5% de son CA, elle est créditée d’un point, et de 10 points si cette même contribution dépasse 50% de son CA. Sur la dimension gestion opérationnelle, cette méthodologie prend en compte par exemple la mise en œuvre de politiques de protection des ressources naturelles ou bien l’existence de controverses liées à des pratiques portant atteinte à la biodiversité.  L’addition de ces deux scores génère une performance d’alignement net.

Pouvez-vous donner des exemples?

Prenons l’exemple de deux entreprises par rapport à l’ODD 6 (Eau propre et assainissement). La gestion durable de l’eau représente 45% du CA de l’entreprise Xylem, 37% du CA de Metawater. Toutes deux obtiennent un score de 7.  Elles divergent en revanche au niveau des opérations: Xylem obtient un score de +6 – sur la base de programmes et objectifs dédiés à la consommation d’eau et d’Intensité eau en baisse tendancielle contre -1 pour Metawater – qui n’affiche aucun programme et objectif interne liés à l’eau et une intensité eau élevée. Au total, Xylem obtient un score d’alignement net de 6,5, Metawater de 3.

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